Honoraires limités pour les avocats gratuits
L'accès des «pauvres» à la justice toujours plus difficile

Dans plusieurs cas, les honoraires pour des avocats gratuits ont été limités par les tribunaux cantonaux. Les «pauvres» ont-ils toujours accès à la justice en Suisse? Plusieurs avocats estiment qu'il s'agit d'une entrave «dangereuse» à la Constitution.
Publié: 18.04.2023 à 06:36 heures
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Dernière mise à jour: 18.04.2023 à 07:49 heures
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Le Tribunal fédéral ne s'est pas estimé compétent pour trancher la question des limitations d'honoraires pour les avocats-conseils.
Photo: AFP via Getty Images
Daniel Benz («Beobachter»)

C'est la Constitution fédérale qui le stipule: chacun doit pouvoir se défendre contre les injustices, quelle que soit sa situation financière. C'est la raison pour laquelle les Cantons paient des avocats pour représenter les personnes sans le sou. En théorie.

Dans la pratique, les choses sont différentes, dénonce Soluna Girón. L'avocat zurichois l'expérimente lui-même régulièrement: les tribunaux ont tendance à réduire l'indemnisation des conseils juridiques gratuits. Cela ne laisse que deux options aux femmes et hommes de loi: soit bâcler leur travail, soit accepter de compenser en travaillant en partie gratuitement.

Selon le Zurichois, le noble principe constitutionnel est donc une coquille vide, ce qui est «extrêmement préoccupant». Soluna Girón cite un exemple: il représentait un client contre une compagnie d'assurance. Un scénario classique du petit contre le puissant, d'un avocat «gratuit» contre un service juridique bien doté.

La procédure civile a été très complexe, avec un dossier très touffu et de nombreux documents juridiques, des preuves et des expertises médicales pour obtenir une juste indemnisation. «Je veux faire mon travail avec la même conscience professionnelle, quel que soit le cas, indépendamment de la richesse personnelle de mon client», explique Me Girón.

Honoraires réduits de deux tiers!

L'avocat a donc consacré le temps nécessaire à l'étude minutieuse de ce dossier. Beaucoup de temps: 53,2 heures de travail, comme il l'a mentionné plus tard dans sa note d'honoraires au Tribunal des assurances sociales de Zurich. Beaucoup trop, a estimé la Cour.

Sans vouloir préciser quelle partie du travail était inutile, le tribunal a réduit l'indemnisation à 15 heures à 220 francs — le taux horaire (déjà réduit) dans l'assistance juridique gratuite. Cette masse de travail est «adaptée» et aucune heure supplémentaire ne sera payée, a fait savoir la Cour.

Pour Soluna Girón, il est impossible de faire son travail correctement avec un «budget-temps» aussi restreint. Ce n'est pas un cas isolé, selon lui: la marge de manœuvre prévue par la justice est insuffisante pour défendre de nombreux clients, estime-t-il. Une réduction a posteriori des indemnités, qui plus est des deux tiers, est néanmoins un pas de plus: le franchissement d'une ligne rouge. «C'est une violation de la Constitution», affirme l'avocat.

L'enjeu est si important aux yeux de Soluna Girón qu'il a porté le cas devant le Tribunal fédéral. Or, les juges de Mon-Repos ont rendu leur jugement en 2022. «Une non-décision», déplore l'homme de loi zurichois. Le Tribunal fédéral a évité, selon lui, de prendre position et a même botté en touche: l'arrêt estime qu'il n'est «pas du ressort de l'instance suprême de vérifier l'opportunité des différents postes d'une note d'honoraires d'avocat».

En d'autres termes, ce sont les tribunaux cantonaux qui doivent décider en dernier ressort de l'indemnisation des conseils juridiques gratuits.

«Tout dépend du juge»

Détail très piquant: pratiquement en même temps que le cas Girón, le Tribunal pénal fédéral a dû traiter plusieurs recours quasi identiques contre des décisions de réduction d'honoraires, en Argovie. Et contrairement au Tribunal fédéral, les juges de la plus haute instance pénale ont brandi le carton rouge.

En résumé, leur jugement estime que des réductions de 50% et plus sont «arbitraires» et «excluent une défense efficace». Soluna Girón veut bien que le Tribunal fédéral ne s'estime pas compétent pour trancher, mais cela ne règle pas pour autant la question. Problème: personne ne sait qui doit s'en emparer.

Quand, où et pourquoi les indemnités des avocats-conseils sont-elles réduites, parfois considérablement? Les avocates et les associations interrogées ne reconnaissent pas une image uniforme. Il existe de grandes différences entre les cantons, les domaines juridiques et les différents tribunaux. «Cela dépend même parfois du juge qui, au sein de la même autorité, examine la demande», souligne l'avocate Melanie Aebli, membre du comité directeur des Juristes démocrates de Suisse (JDS).

Dans la jungle du système judiciaire

Lorsque les tribunaux font appel à des avocats payés par l'État, il n'est pas rare qu'ils ne soient pas assez proches de la pratique. C'est du moins l'avis du juriste Isaak Meier qui, en tant qu'expert en procédure civile, s'occupe souvent de questions relatives à l'accès au droit: «Pour les juges qui n'ont jamais exercé eux-mêmes en tant qu'avocats, il est parfois difficile d'estimer correctement la charge de travail».

Dans le domaine de l'assistance juridique gratuite en particulier, les clients sont souvent complètement perdus dans la jungle du système judiciaire. En droit d'asile, par exemple, il faut fournir beaucoup d'explications préalables pour que toutes les personnes concernées par la procédure la comprennent — un travail «invisible», mais indispensable pour une représentation correcte devant la justice.

Les tribunaux cantonaux, eux, doivent contrôler — avec une certaine marge d'appréciation — si les conseils juridiques ne fournissent que les efforts «nécessaires et requis». Le «Beobachter» a interrogé de nombreux tribunaux, et tous mettent en avant cette obligation. Même le Tribunal zurichois des assurances sociales, qui a procédé aux coupes massives des honoraires dans le cas avancé par Me Girón, ne se laisse pas désemparer.

«Pour fixer une indemnité, nous nous appuyons sur les dispositions légales et la jurisprudence pertinente», écrit le tribunal. Fait rare, ce dernier accepte de fournir des chiffres détaillés: en 2022, 122 cas d'assistance judiciaire gratuite ont été traités, pour des indemnisations de 286'992 francs.

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«Une justice qui fonctionne, cela ne peut pas être rentable.»
René Rall, secrétaire général de la Fédération suisse des avocats
»

Des comparaisons sont difficiles à établir. Mais, en tout cas, la justice est de plus en plus chère, même lorsqu'elle est «gratuite». Ainsi, dans le canton de Saint-Gall, autre endroit où des chiffres sont disponibles, 1793 procédures civiles avec assistance judiciaire gratuite ont été menées en 2017 au niveau des deux instances inférieures, pour un montant de 2,7 millions de francs. En 2022, moins de cas (1540) ont débouché sur une facture plus grande (3,7 millions).

Idem dans le canton de Lucerne : entre 2017 et 2022, le nombre de cas a baissé de 1555 à 1327, mais les coûts ont augmenté de 3,6 à 5,6 millions. «Une justice qui fonctionne, ça coûte, et ce ne sera jamais rentable», analyse René Rall, secrétaire général de la Fédération suisse des avocats (FSA).

Le spécialiste soupçonne la pression générale pour des économies d'être le principal moteur de la réduction des honoraires et s'inquiète de cette «évolution dangereuse, impulsée par la politique, qui empêche directement ou indirectement l'accès à la justice pour les personnes moins fortunées». Afin de sensibiliser à ces dangers, l'association mène depuis un certain temps des discussions avec les acteurs du système juridique.

C'est un secret de polichinelle que les avocats ne s'arrachent pas les mandats d'assistance juridique gratuite. Mais s'ils doivent s'attendre à ce que leurs efforts ne soient que partiellement indemnisés, l'attractivité diminue encore. Qui fera alors encore ce travail? Seulement ceux qui sont particulièrement bienveillants? Pour René Rall, «se fier uniquement à la conscience de l'avocat est une option très insatisfaisante».

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