Quel montant de fonds propres une grande banque doit-elle posséder? Doit-elle prendre des risques pour faire des bénéfices à tout prix? Pendant 15 ans, la gauche s’est heurtée à une forte résistance bourgeoise pour mettre en place des durcissements dans ce domaine. Mais la roue tourne. Le président du Centre Gerhard Pfister vient d’annoncer qu’il avait changé d’avis et a expliqué les raisons de son revirement à Blick.
Le conseiller national zougois promet que la majorité politique pourrait changer de camp sur cette question. Mais une contre-offensive est déjà au programme. Et, avec elle, un nouveau débat sur la réglementation de la place financière. Explications.
Depuis dimanche dernier, la Suisse compte une grande banque de moins après le sauvetage express de Credit Suisse (CS). A-t-on bien géré la situation politiquement?
Il faut dans tous les cas reconnaître aux responsables le mérite d’avoir obtenu un résultat: aucun crash bancaire de portée internationale n’a été déclenché par notre pays. Les responsables politiques y ont veillé et en ont fait une priorité. Mais un point m’a agacé au plus haut point lors de la conférence de presse donnée ce dimanche soir.
Lequel?
Les clients et les collaborateurs du Credit Suisse ont été à peine évoqués. Comment peut-on prendre une décision aussi difficile en ne s’adressant pas aux personnes concernées et en se concentrant uniquement sur l’aspect technique et les marchés financiers? C’était un manquement de la part de la ministre des Finances Karin Keller-Sutter, des patrons de CS ou de l’UBS.
Mis à part ce point, êtes-vous satisfait de leur décision?
Elle soulève de nombreuses questions au Parlement. On nous a toujours dit que la législation actuelle était suffisante et on nous avait clairement énoncé après le sauvetage de l’UBS en 2008 qu’une telle situation ne se reproduirait plus. Ce qui n’a pas été le cas.
Qui est responsable?
La direction de CS est évidemment en première ligne. Mais d’autres entités ont aussi leur part de responsabilité. Je pense à l’autorité de surveillance des marchés, à la Banque nationale mais aussi au Conseil fédéral. Il faut oser le dire: si la volonté politique est qu’une telle débâcle ne se reproduise pas, il n’y a qu’une solution. Nous devons établir des lois pour l’empêcher. Je suis convaincu que la population veut savoir ce que nous mettons en place pour ne pas se retrouver encore, une troisième fois, à devoir repêcher une grande banque après les chutes de 2008 et 2023.
Il faudrait alors voler au secours d’une entité encore plus grande. Cette précision n’est-elle pas essentielle?
Si, évidemment. Il s’agit d’ailleurs d’une entité que beaucoup jugeraient «too big to be rescued» («trop grande pour être sauvée», en français). Aurions-nous les épaules pour le faire? Impossible de le garantir. Les montants utilisés proviennent de l’argent des contribuables, rappelons-le. Au Parlement, nous partons parfois en croisade pour des montants qui représentent une bouchée de pain en comparaison – quelques centaines de milliers ou un million de francs. Et là, du jour au lendemain, on est capable de débloquer 209 milliards de francs en un claquement de doigts par le biais du droit d’urgence. La crédibilité de l’économie et de la politique pourrait bien en souffrir.
Cette histoire pourrait-elle influencer l’attitude des étages supérieurs de la banque?
Je l’ignore, mais j’y compte bien. Dimanche, ces personnes diabolisaient l’État, le lendemain, elles appelaient la Confédération à la rescousse. Cette mentalité n’est plus acceptable. J’appelle les responsables de l’économie à s’exprimer à l’avenir de manière plus nuancée sur le rôle de l’État. L’arrogance de certains banquiers, qui voulaient jouer dans la cour des grands avec l’argent des autres, était indécente. Depuis, j’ai entendu le président de l’UBS dire qu’un bon banquier doit être ennuyeux. J’en suis ravi. Et j’espère sincèrement que cette belle et grande UBS restera très ennuyeuse. Car une banque barbante est une institution solide. Si les personnes qui sont à sa tête ne sont pas à la hauteur de leur tâche, même la réglementation la plus stricte ne pourra pas les sauver.
Ce qui nous ramène à la question de la législation. Comment les textes législatifs devraient-ils être modifiés afin d’éviter une nouvelle catastrophe bancaire?
Le montant des fonds propres est pour moi le cœur du débat. Un particulier qui veut acheter un appartement doit apporter lui-même 20% du capital avant que la banque ne soit prête à prendre des risques en lui accordant une hypothèque. Pourquoi n’en est-il pas de même pour les banques? Je suis convaincu qu’un ratio de fonds propres élevé remplacerait de nombreuses dispositions réglementaires et enverrait les bons signaux.
Les détracteurs de cette idée affirment que cela limiterait la compétitivité.
Dans le contexte actuel, une base de fonds propres solide est ce que les clients demandent. Une quantité trop faible fait courir un péril aux contribuables. Elle est une fausse incitation à prendre plus de risques afin d’augmenter le rendement des fonds propres à court terme. Voilà comment les directions justifient les bonus élevés. Et si cela ne passe pas, ce sera à la population de rattraper les pots cassés. Nous ne pouvons plus lui faire porter une telle responsabilité.
Aujourd’hui, les fonds propres des établissements financiers doivent représenter 5% du total de leur bilan. Quel montant exact demandez-vous?
Il faut impérativement que le taux de fonds propres soit de 20%. C’est le chiffre que divers experts renommés avancent.
Votre changement de position est frappant. La gauche demande d’augmenter ce taux de fonds propres depuis longtemps. Or, elle n’a jamais pu accéder à la majorité à cause de la résistance des partis bourgeois.
En politique, nous devons cesser de balayer une idée pour la simple raison qu’elle vient de notre adversaire politique.
Suggérez-vous que cette demande n’a jamais passé la rampe uniquement parce qu’elle venait de la gauche?
Oui, c’était certainement dû à l’émetteur, il faut bien le dire. Bien sûr, des représentants d’intérêts font déjà du lobbying contre cette demande. Mais nous devons nous serrer les coudes et garder, tous partis confondus, à l’esprit l’essentiel: le bien du pays. J’attends de tous et toutes qu’ils dépassent leurs propres limites si nécessaire. En tant que parlementaire élu et président de parti, je dois rendre des comptes à mes électeurs et à mon pays. Je ne peux donc pas dire que je n’ai pas fait d’erreur.
À l’inverse, vous reprochez au Centre, au PLR et à l’UDC de s’être trompés au cours des quinze dernières années. Ce qui ne favorise pas le soi-disant rapprochement en cette année électorale.
Je trouve que cette attitude de bloc n’est plus d’actualité. Celui qui, en tant que citoyen, affirme qu’il n’a pas fait d’erreurs, commet à mon avis la même erreur que celle qu’il reproche à la direction de Credit Suisse.
Le président du PLR Thierry Burkart et le conseiller national UDC Thomas Matter voudraient séparer les activités suisses de CS et qu'elles soient gérées de manière indépendante sous une autre forme. Quelle est votre position sur ce sujet?
Nous sommes d’accord pour dire que l’UBS a atteint une taille critique. Mais si l’on actait une telle séparation, l’UBS ne deviendrait pas pour autant beaucoup plus petite. Il n’est pas sûr non plus que le monde politique puisse la contraindre à le faire. Mais nous devons discuter de toutes les options, y compris de celle-ci. Et si l’UBS reste colossale, le monde politique lui imposera forcément des contraintes législatives.
Va-t-on vers une «Lex UBS»?
C’est une option. Je pense que cette institution devrait alors se poser la question de savoir si elle veut abandonner sa taille gigantesque ou être cadrée par une législation grâce à laquelle notre pays pourrait s’assurer que cet établissement ne devrait pas lui aussi être sauvé un jour aux frais du contribuable.
Certains demandent que les anciens top managers de CS rendent des comptes. Soutenez-vous cette idée?
Je trouverais judicieux et décent que ces cadres très bien payés remboursent volontairement un certain montant. S’ils ne le font pas, il faudra examiner ce qui peut être fait par voie juridique. Comme je l’ai dit, il en va de la confiance de la population dans l’économie et la politique. Ce sont des décisions capitales à prendre.