Mardi après-midi, à 14h35, Thierry Burkart a envoyé un email, ou plutôt «le» mail. Il y annonçait sa démission en tant que président du Parti libéral-radical (PLR). Il en a profité pour énumérer les éléments qui ont marqué ses quatre années de mandat, comme son combat pour la «cause libérale» ou ses échanges avec les citoyens de «ce pays unique». Mais aussi son besoin accru de «politique objective» et son envie d'avoir «à nouveau plus de temps pour le travail en commission». Seuls deux thèmes n'ont pas été mentionnés: la migration et l'Europe.
Le silence de Thierry Burkart et ses omissions autour de ces deux sujets sensibles ne sont pas dus à un manque d’intérêt sur le fond. Le chef du PLR a considérablement durci la ligne de son parti sur les questions migratoires. L’an dernier, il a notamment critiqué le Secrétariat d’Etat aux migrations, l’accusant d'encourager les demandes d’asile en Suisse à travers une simple publication sur Instagram. Et puis, il figure aussi parmi la poignée de parlementaires qui ont pris connaissance du traité négocié avec l’Union européenne (UE).
Un accrochage avec un membre du parti
Que ce soit pour la migration comme pour l'Europe, le président sortant a dû relever plusieurs défis et prendre part à des débats brûlants. En décembre dernier, un débat a éclaté sur la position que devait adopter le PLR face aux tentatives de l'Union démocratique du centre (UDC) d'interdire le regroupement familial pour les personnes admises à titre provisoire. Le PLR s'est prononcé en faveur de cette mesure, mais le conseiller aux Etats zougois, Matthias Michel, a attiré l'attention de la direction sur la réponse du parti à la consultation, dans laquelle des critiques avaient été émises.
Une démarche qui a fait sortir le président du PLR de ses gonds. «La réponse à la consultation était, rétrospectivement, une erreur!», s’est emporté Thierry Burkart dans un courriel acerbe adressé le 17 décembre à son collègue de parti, que Blick a pu consulter. Le libéral rappelle aussi que l'interdiction du regroupement familial reflète la volonté de l'Assemblée des délégués au Tessin. Et d'ajouter: «Tu n'étais pas présent et tu n'as pas défendu ta position. Je dois dire que je commence à en avoir assez. Chaque fois que nous nous positionnons clairement en tant que parti (et la décision prise à l'AD était digne d'un vote soviétique), nous parvenons toujours à ce qu'il y ait des gens de chez nous qui ne s'alignent pas sur les positions de notre base lors de la mise en œuvre parlementaire.»
Il ne prend pas de pincettes: selon lui, il y a «toujours quelqu'un qui est simplement plus intelligent que le reste» et qui fait primer sa position avant celle du parti en recourant à des «subterfuges». Dans de nombreux thèmes, cela peut se justifier «mais pas dans ce domaine politique, sur lequel nous avons pris une position claire avec une grande attention du public!»
Sa réunion avec le négociateur en chef sur l'Europe
Cet email illustre à quel point il est délicat pour un parti de naviguer dans un débat aussi fortement chargé sur le plan émotionnel. Thierry Burkart, de son côté, semblait de plus en plus réticent à jouer les équilibristes en matière de politique de sécurité. Au début de la guerre d'agression russe, il s'est imposé comme un spécialiste de politique sécuritaire sur le terrain. Mais lorsque l'heure est venue d'augmenter le budget de l'armée, Thierry Burkart s'est finalement rangé derrière la position de la ministre des Finances PLR, Karin Keller-Sutter. Il a entre-temps quitté son poste de président de l'Alliance Sécurité Suisse. «Le mérite de Thierry Burkart a été d'exiger qu'un pour cent du produit intérieur brut soit mis à la disposition de l'armée d'ici à 2030. Malheureusement, cet objectif n'a pas été atteint», déplore Stefan Holenstein, président de la Fédération des sociétés militaires suisses.
A cela s'ajoute le dossier européen, autre terrain sensible. Récemment, Thierry Burkart s'est rendu chez le négociateur en chef, Patric Franzen, pour étudier le texte de l'accord de façon méticuleuse. Il aurait posé une douzaine de questions précises au diplomate. Patric Franzen, de son côté, a vanté le résultat de ses négociations, en mettant en avant plusieurs avancées sur le dossier: les agriculteurs seraient exemptés de toute mesure imposée par Bruxelles, le champ des reprises de droit futur serait nettement plus restreint que dans l’accord-cadre avorté de 2021, et le mécanisme de règlement des différends serait, grâce à l’effet suspensif, particulièrement avantageux pour la Suisse. Thierry Burkart a salué le travail de la délégation suisse, se contenant de quelques remarques critiques, et s'en est allé sans faire de vagues. Peu après, il annonçait sa démission du poste de président du PLR.
Lors d'une interview, Thierry Burkart a relativisé le rôle du dossier européen dans sa décision de quitter la présidence. Il a affirmé en avoir assez de l'exposition, du durcissement de la politique du parti et de sa personnalisation dans les médias. Mais l'Argovien, capitaine dans l'armée, fait des choix bien réfléchis et stratégiques.
L'Europe, raison de sa démission?
Le départ de Thierry Burkart après la conclusion des négociations semble logique, d'un point de vue extérieur. Le tacticien aurait-il remarqué qu'occuper la présidence, dans un contexte dans lequel la question européenne est au cœur de l'agenda, deviendrait encore plus difficile? Le Conseil fédéral veut mettre en consultation les 35 lois qui résultent de l'accord, avant les vacances d'été. S’ouvrira alors une phase décisive, qui aboutira à une votation cruciale.
Le lien avec le dossier européen se matérialise clairement par la date prévue du départ de Thierry Burkart: le 18 octobre, jour où les délégués du PLR doivent se prononcer sur la position du parti concernant le traité européen. Au sein de son parti, Thierry Burkart s’était imposé comme un opposant ferme à tout rapprochement avec l’UE. Il avait même tourné le dos à sa prédécesseure Petra Gössi, fervente défenseure de l’accord-cadre institutionnel. Et voilà que, désormais, ce même Thierry Burkart devrait soutenir un rapprochement avec Bruxelles sur la politique européenne? Avec sa démission, ce dilemme semble dorénavant réglé.
Par ailleurs, un premier aperçu avait déjà été donné en mars, lorsque le ministre des Affaires étrangères, Ignazio Cassis, avait demandé au chef du parti un soutien plus marqué dans ce dossier. Selon une lettre révélée par Blick, cette demande faisait suite à un accord conclu par le Département de l’économie avec les partenaires sociaux concernant la protection des salaires, un geste que Cassis estimait insuffisamment reconnu par le PLR. «Il était comme hors-jeu», commente un membre du PLR au sujet de l’intervention du magistrat.
Ignazio Cassis, le contre-pied
Contrairement à la réserve affichée par Thierry Burkart sur la question européenne, des observateurs proches du dossier relèvent une évolution notable chez Ignazio Cassis. Le Tessinois adopte une position de plus en plus affirmée et déterminée sur ce sujet.
Alors que son chef de parti quitte le terrain à reculons, le ministre des Affaires étrangères s'investit de plus en plus dans le dossier: il a dirigé plus de 100 réunions sur le sujet. Les observateurs estiment qu'il est très à l'aise dans ce domaine, ce qui est plutôt inhabituel pour un chef de département. Avec une obsession frénétique digne du capitaine Achab, le chef du DFAE place son projet ambitieux au-dessus de tous ses adversaires, qu’ils soient réels ou supposés, allant des partisans de la ligne dure de l’UDC jusqu’à ses propres alliés PLR.
Il garde une certaine distance méfiante vis-à-vis de la ministre des Finances, Karin Keller-Sutter. Plus largement, il manifeste son mécontentement envers le groupe eurosceptique au sein de son propre parti, dont font partie l’éternel candidat à la relève Christian Wasserfallen, le conseiller aux Etats nidwaldien Hans Wicki, membre du comité d’initiative de la Boussole, ainsi que le président du canton de Zurich et conseiller municipal, Filippo Leutenegger.
La démission, des raisons privées?
Bien que Thierry Burkart préfère ne pas s'exprimer sur ce point, son entourage révèle que sa démission comporte aussi une dimension personnelle. Le PLR aura 50 ans en août prochain, à quoi s'ajoutent l'échec de son mariage et la séparation avec sa compagne l'année dernière. Contrairement à son quarantième anniversaire, qu'il a fêté en grande pompe, rien d'important n'est prévu pour ses 50 ans. Reconnu pour sa fiabilité mais aussi pour sa sensibilité, Thierry Burkart montre les signes d’une lassitude après 33 ans de politique – lui qui a commencé à s’impliquer dès l’âge de 16 ans. Il souhaite désormais changer de vie, ne plus sacrifier ses soirées au profit du parti.
Son départ lui permet aussi d’éviter un conflit exacerbé avec son propre conseiller fédéral. Ce changement constitue une victoire importante pour Ignazio Cassis, d’autant plus si quelqu’un de plus europhile, comme Damian Müller ou Susanne Vincenz-Stauffacher, devait lui succéder. «Le bon moment pour changer de direction, c’est maintenant», a-t-il résumé dans son communiqué mardi.