Entretien avec le co-auteur de l'étude sur l'amitié
En Suisse, il est très difficile de se faire des amis

Une nouvelle étude analyse les amitiés en Suisse. Jakub Samochowiec, coauteur de l'étude, explique la place que prend l'amitié en Suisse, son fonctionnement et son rôle dans notre société.
Publié: 07.08.2023 à 14:07 heures
|
Dernière mise à jour: 07.08.2023 à 15:53 heures
Partager
Écouter
1/2
Jakub Samochwiec fait de la recherche à l'Institut Gottlieb Duttweiler et a interrogé des personnes sur ce qui est important pour elles en amitié.
Photo: zVg
BlickMitarbeiter07.JPG
Aleksandra Hiltmann

Monsieur Samochowiec, vous êtes co-auteur de la première étude sur les amitiés à l'échelle de la Suisse. Qu'en est-il de vos amis?
Depuis la pandémie, j'ai moins de contacts avec mes amis. Mais c'est aussi parce que j'ai deux enfants en bas âge et que je travaille.

Les parents ont-ils en général moins d'amis?
Non. Dans notre étude, nous n'avons pas trouvé de grands effets de corrélation entre le fait d'avoir des enfants et d'avoir moins d'amis. C'est plutôt qu'en principe, avec l'âge, le nombre de nos amis a tendance à diminuer. Toutefois, cela pourrait aussi être dû aux enfants. Si tous nos amis ont des enfants, on court le risque de perdre peu à peu contact, même si on n'en a pas soi-même.

Et pour les jeunes parents?
Pour les jeunes entre 20 et 25 ans, les enfants peuvent avoir un effet négatif sur leurs relations sociales, car ils ont souvent peu d'amis dans leur entourage qui ont en également. En revanche, si l'on a une quarantaine d'années, avoir des enfants peut au contraire être un réel avantage.

Qu'est-ce qui vous a le plus surpris dans les résultats de votre étude?
La solitude est souvent considérée comme un problème de personnes âgées. Pourtant, nous avons remarqué que ce sont plutôt les jeunes qui se sentent seuls, bien qu'ils aient plus d'amis et les voient plus fréquemment que les personnes âgées. Les plus jeunes rencontrent généralement leurs amis à l'école tandis que les personnes plus âgées se tournent vers des options comme Internet pour faire des rencontres et créer des liens. Une autre chose m'a surpris...

Quoi?
La Suisse fait partie des pays où il est difficile de se faire des amis. Pourtant, sa population n'hésite pas à se monter solidaires avec des inconnus.

Comment cela se fait-il?
Notre étude le montre: En Suisse, on prend les amitiés très au sérieux. Les Suisses sont, de ce fait, peut-être plus réticents à entrer en contact les uns avec les autres, parce qu'ils craignent, même dans le cas de contacts occasionnels, d'avoir ensuite l'autre personne «sur le dos». Dans le cas où l'amitié se concrétise, les Suisses veulent être des amis fiables. Ils s'engagent réellement.

Selon votre étude, l'effort pourrait cependant en valoir la peine, car de bons amis renforcent la santé psychique. Mais que se passe-t-il en cas de dispute?
Les crises peuvent être précieuses pour les amitiés, elles peuvent approfondir les relations. Des amitiés sans passes difficiles ne doivent pas forcément être un but en soi. Même si c'est ce que nous suggère souvent la culture populaire ou les réseaux sociaux.

Que voulez-vous dire?
La culture populaire véhicule une image de l'amitié, par exemple dans les séries et les films, où les amis partagent tout et sont des sortes d'âmes sœurs. Sur les réseaux sociaux, l'amitié est un symbole de statut social. Cela peut fausser notre perception de nos amitiés et nous donner un sentiment, notamment aux jeunes, de solitude. Nous avons par ailleurs constaté que ceux qui sont plus présents sur Internet et les réseaux sociaux sont bien moins heureux et se sentent plus seuls, même s'ils ont beaucoup d'amis. Je pense ici particulièrement à ces grands groupes d'amis, assis ensemble, mais qui passent leur temps sur leur téléphone portable.

Selon votre étude, les bonnes amitiés contribuent même à la stabilité politique d'un pays. Comment cela se fait-il?
Nous avons remarqué que si les individus ont beaucoup d'amis et les voient souvent, ils s'engagent davantage socialement et politiquement. Plus les personnes se sentent responsables, non seulement d'elles-mêmes mais aussi de leur entourage, plus elles s'engagent au-delà de leurs propres intérêts, plus le système est stable.

Avez-vous des preuves de cela?
Nous n'avons pas fait d'étude plus poussée à ce sujet, mais cela nous semble plausible. Si tout le monde ne se souciait que de sa propre personne, cela pourrait nuire à notre société. Mais il y a bien sûr d'autres raisons que l'amitié qui poussent les gens à s'engager pour un plus grand nombre.

Quelle a été la conclusion la plus précieuse de votre étude, selon vous?
Les résultats de l'étude d'intervention. Dans celle-ci, nous avons demandé aux participants d'appeler d'anciens amis avec lesquels ils n'avaient plus de contact depuis longtemps. La plupart d'entre eux, en particulier les jeunes, ont été agréablement surpris par cette expérience. 80% des participants se sont donnés rendez-vous pour se revoir après cet appel. Mais il faut aussi être prudent.

Pourquoi ?
Lorsque les gens souffrent d'une forte solitude, on ne peut pas simplement leur dire: «Appelle donc une ancienne connaissance.» Il y a des formes de solitude que l'on ne peut pas surmonter avec ce simple conseil et qui peuvent peut-être même nécessiter un soutien professionnel.

Pour les personnes qui hésitent à rappeler de vieux amis, que leur conseilleriez-vous?
Faites-le, tout simplement!

Partager
Vous avez trouvé une erreur? Signalez-la
Articles les plus lus
    Articles les plus lus