Et si la pandémie avait favorisé la cohésion nationale? Un effet secondaire aussi positif qu’inattendu: tandis que les Romands découvraient les charmes des chutes du Rhin ou des Grisons, nombre d’Alémaniques ont, face à la difficulté momentanée de se rendre à l’étranger, troqué leurs envies de large pour des séjours à Charmey, Romainmôtier ou Versoix.
Voilà, du moins, comment Eva Hirschi explique la mission particulière qui lui a été confiée. La journaliste de 31 ans vient de publier son «Reiseführer» pour la Suisse romande. Il s’agit du premier guide touristique (!) consacré à notre coin de pays publié en Suisse alémanique.
La Bernoise installée à Lausanne affiche la couleur dès les premières pages. «Les Alémaniques sont un peu jaloux du savoir-vivre des Romands, ils s’énervent d’ailleurs parfois de leur désinvolture («laisser-faire», en allemand dans le texte). Pourtant, beaucoup d’entre eux n’ont jamais franchi le Röstigraben, alors que la Suisse romande représente plus d’un cinquième du territoire national.»
«Cette séparation n’est pas qu’une question de langue, poursuit-elle en introduction à son guide. En Suisse romande, l’ambiance est plus tranquille que dans le reste du pays, l’ambiance est plus joviale. Mais ce serait un faux-pas (bis!) de comparer les Romands avec les Français. D’ailleurs, même entre eux, les Romands n’aiment pas être tous mis dans le même panier.»
Face à cette mise en bouche, il était trop tentant de contacter la jeune femme pour évoquer cette bible de 185 pages. Dans un français devenu plus parfait que fédéral avec les années passées de ce côté-ci du Röstigraben, celle qui préside par ailleurs le réseau suisse des journalistes d’investigation (Investigativ.ch) nous raconte son périple.
«Auteure du premier guide touristique sur la Suisse romande», ça sonne bien, mais cela paraît fou!
Absolument! J’ai été la première surprise que cela n’existe pas encore. Il y a beaucoup d’ouvrages spécifiques, par exemple pour des randonnées, des tours à vélo ou autres, mais aucun ne couvre tout le territoire de la Suisse romande.
Comment est-ce qu’on décide ce que l’on veut faire découvrir aux Alémaniques?
J’ai eu la chance de pouvoir partir de zéro. On m’a commandé un guide, mais c’est moi qui ai pu en choisir la structure. J’ai choisi de ne pas proposer un itinéraire précis mais de découper la Suisse romande en cinq régions. En ne respectant pas forcément les frontières cantonales, qui sont parfois absurdes avec de nombreuses enclaves entre Fribourg, Vaud et Neuchâtel dans la région des Trois-Lacs, par exemple. Et en ne proposant pas de parcours précis: chacun peut picorer, quitte à revenir souvent en Suisse romande.
Passer de journaliste à rédactrice d'un guide de voyage, même pour un seul ouvrage, c’est quand même un changement d'exercice…
Oui, mais j’avais déjà écrit des articles touristiques par le passé. J’ai passé quatre ans à l’étranger (de 2016 à 2020). Je suis passé par plus de 25 pays, donc j’ai pu m’inspirer de ce qui m’avait moi-même aidée. J’ai commencé par miser sur le bouche-à-oreille: j’ai demandé aux Romands eux-mêmes ce qu’ils recommanderaient. Et j’ai pu profiter de mon bon réseau dans le tourisme local.
Bon, honnêtement, pour beaucoup d'Alémaniques, la Suisse romande c’est le Salon de l’Auto, non?
Ah, c’est vrai, on dit ça? (Rires) Vous me l’apprenez.
Ce n’est en tout cas pas plus cliché que «les Romands sont moins sérieux que les Alémaniques»...
Mais c’est vrai! (Rires) Vous êtes un peu moins à l’heure, mais la vie est plus joyeuse que de l’autre côté de la Sarine grâce à votre science de l'apéro. Nous, nous sommes… Il faut que je fasse attention à ce que je dis… Moins drôles, disons. Mais vous avez raison, ce sont un peu des clichés. D’ailleurs, vous voulez un scoop? Je n’aime pas les röstis.
Parlons un peu du guide. Avez-vous découvert des choses que vous ignoriez sur la Suisse romande?
Bien sûr! J'ai étudié à Genève et je vis à Lausanne. Je me suis décloisonnée, en quelque sorte, et j’ai réalisé à quel point la Suisse romande était bien plus diverse que l’Arc lémanique. J’ai découvert tellement de choses!
Par exemple?
Je n’avais jamais entendu parler du lac souterrain de Saint-Léonard par exemple, alors que c’est une merveille. Je ne savais pas non plus qu’on pouvait faire de la tyrolienne sur un barrage. La Suisse romande gagnerait à être plus connue en matière de tourisme.
Vous avez vraiment tout testé vous-même?
Il y a plus de 150 recommandations et je suis effectivement allée presque partout. Il y a quelques endroits où je n’ai pas pu aller, mais très peu. Et j’ai fait toutes les randonnées, même celles de huit heures. Bon, je suis un peu biaisée, parce que j’adore ça.
Votre randonnée coup de cœur?
Le Vanil noir, dans le canton de Fribourg. Elle est un peu plus compliquée qu’une randonnée standard, mais cela en vaut vraiment la peine. La vue est incroyable, au milieu d’une réserve naturelle… Encore un endroit sous-estimé.
A l’inverse, avez-vous eu des déceptions?
Pas vraiment une déception, mais je n’ai pas mis le Creux du Van dans le guide, par exemple. L’endroit est déjà très connu en Suisse alémanique et il a surtout souffert de «l’over-tourisme» durant le Covid où tout le monde a voulu y aller. Les offices du tourisme locaux ne font plus de publicité, en ont fermé certaines parties et essaient de préserver l’endroit. Mais c’est aussi une volonté de ma part de privilégier des alternatives aux lieux déjà trop connus, notamment les trois principaux.
On parle du château de Chillon, c'est cela?
Tout à fait! A la place, je propose le Fort de Chillon, qui vient d’ouvrir. Le parcours est très bien fait, avec des ressources multimédia. Plutôt que la Maison Cailler à Broc (FR), je suggère d’aller dans le Jura bernois à Courtelary pour visiter l’usine de Camille Bloch. Il y a un parcours découverte intéressant, que l’on peut finir en mangeant un Ragusa. Et pour remplacer le Creux du Van, je conseille une randonnée le long des gorges de l'Areuse. C’est magnifique et la cascade est une belle récompense.
Parmi les différentes sections (culture-histoire, découvertes-expériences, randonnées, …), il y en a une consacrée à la gastronomie. On mange mieux, de ce côté de la Sarine?
Disons que les Alémaniques pensent que les Romands ne font que de manger de la fondue et de la raclette! (Rires) Je connaissais plutôt bien votre coin de pays avant d’écrire le guide, mais la gastronomie est le domaine où j’ai eu le plus de surprises. Mon must: les malakoffs du Léman. Pour ceux qui ne sauraient pas ce que c’est, il s’agit de boules de fromage frit. Dit ainsi, ça n’a pas l’air excellent, mais je vous assure que c’est formidable. D’ailleurs, pendant que l’on est dans le canton de Vaud, les salines de Bex sont très instructives: je n’avais aucune idée de comment on produit le sel.
Et pour se «rincer le gosier», comme vous l’écrivez dans votre dictionnaire des termes locaux?
De l’absinthe! Parce que la Maison qui lui est consacrée à Môtiers (NE) est très intéressante. C’était une autre grande découverte pour moi que d’apprendre qu’une boisson a été interdite durant un siècle en Suisse puis réhabilitée en devenant la fierté culturelle d’une région. Mais à consommer avec modération: j’ai fait attention à écrire un guide grand public avec un accent sur les familles et pour tous les budgets.
Les coups de coeur d’Eva Hirschi
La pierre d’Avoi (VS). On peut y accéder uniquement à pied et il y a une splendide vue. D’une manière générale, le Valais fait honneur à sa réputation touristique.
A vélo le long du Léman. Lavaux est splendide, évidemment, mais j’ai réalisé que les bords du Léman avaient beaucoup à offrir. Montez sur votre vélo et poussez jusqu’à Genève! Jusqu’à l’entrée de la ville, il y a des villages authentiques et des vignes.
Les grottes de la Réclère (JU). J’aime beaucoup les grottes, je trouve que ce sont des endroits hors du temps. Et vous pourrez vous familiariser en famille avec les stalagmites et les stalactites.