Un style fin et épuré, une couverture beige ornée de deux traits rouges… Sobres et classes, les livres de la maison d’édition parisienne Gallimard sont reconnaissables entre mille. Pas moins de 38 prix Goncourt, autant de prix Nobel de littérature et 10 écrivains récompensés par le Pulitzer… Et depuis le 13 janvier, sur les étagères où trônent les publications de cette maison d’édition considérée comme l’une des plus influentes de France, le nom d’une Romande inconnue des milieux littéraires côtoie les monuments de la littérature française.
Après Sartre, Saint-Exupéry ou encore Patrick Modiano, une Lausannoise, sans aucune expérience préalable, vient en effet d’être publiée par cette véritable institution française. Pas mal, me direz-vous, pour une jeune femme qui n’avait «pas de contacts, le néant total!», rigole-t-elle. Mais comment a-t-elle fait? Blick vous raconte un conte de fées des années 2020.
Si Emmanuelle Fournier-Lorentz n’est pas née en Suisse – «ce n’est pas si simple», sourit-elle – l’écrivaine de 31 ans se définit comme une Lausannoise pur jus. Mais alors, d’où vient-elle? «Ah, c’est ce que tout le monde veut savoir!, s’exclame la jeune écrivaine. Mais il est très difficile de répondre clairement à cette question.»
Aucun carnet d’adresses
Ce qui est sûr, c’est qu’elle est arrivée en Suisse il y a dix ans. Sans carnet d’adresses, sans repère. «J’ai toujours voulu écrire et on m’avait dit que c’était impossible, confie-t-elle. Je viens d’une famille où il n’y a pas du tout d’écrivains et personne ne pariait un copek sur moi!». Entre ses 23 et 27 ans, elle travaille comme pigiste chez nos confrères du quotidien genevois «Le Courrier». C’est là qu’elle fait ses premières armes dans le monde de l’écriture.
Puis tout bascule: «Je me suis rendu compte que je ne voulais pas vieillir dans ce métier». Résignée, elle se fixe une deadline. «Même si on ne croyait pas en moi, je me suis dit tant pis! Pour mes 30 ans, je m’offrirai les ateliers d’écriture de Gallimard, qui coûtent un peu plus de 1000 euros». Le but étant d’être «coachée» par un écrivain de la prestigieuse maison d’édition. «Et j’ai quand même commencé à écrire un roman – celui que vous avez entre vos mains – pendant deux ans. Durant cet atelier, si je sentais que ça ne plaisait à personne et qu’on me conseillait de trouver une autre voie, je devais en rester là et abandonner le projet».
Heureusement, les choses ne se sont pas déroulées ainsi. L’écrivain responsable de son atelier, Jean-Baptiste Del Amo, a même été très enthousiasmé par ce qu’Emmanuelle Fournier-Lorentz lui a montré. Et lui a demandé de lui présenter le manuscrit terminé un an plus tard. «Le processus était hyper long, glisse-t-elle. Mais j’ai fini par le lui envoyer.» Et là, deuxième coup de pouce du destin: il adore… et transmet le texte directement à l’éditeur-star de Gallimard, Jean-Marie Laclavetine – qui s’occupe notamment de Leila Slimani et de Daniel Pennac.
Ce dernier accepte de la représenter au comité de lecture, comité chargé de voter sur les prochains livres qui sortiront dans la maison d’édition. «C’est assez nébuleux comme processus», commente-t-elle. Mais, comme elle le souligne, le plus dur restait à faire: il a fallu attendre des mois, guetter l’e-mail tant attendu, désespérer par moments… «Vraiment, j’ai eu de la peine à y croire, sourit la Lausannoise. J’ai attendu pendant des mois, en me disant que ça n’allait jamais le faire.»
Etapes passées une par une
Mais, surprise, elle passe ces trois étapes une par une! Et si, comme elle le concède elle-même, «c’était surtout un concours de circonstances», il faut aussi bien évidemment dire que son livre est bon. Très bon, en réalité. Il nous plonge dans l’histoire d’une petite fille en mal de repères, ballottée entre de nombreux déménagements. Un sentiment que l’autrice de Villa Royale connaît bien. «C’est vrai que j’y décris mes ressentis, explique-t-elle. Je n’ai pas eu une enfance ordinaire. Mes parents nous ont fait déménager dans des bleds pourris. Il y a eu en effet le deuil de mon père, et j’ai aussi deux frères.»
Née à Tours, en France, la jeune autrice a, quand elle était petite, vu de nombreuses villes… et villages. Et n’a donc pas grandi dans un endroit en particulier. Pas de racines fixes, de port d’attache réconfortant. Pour simplifier les choses, elle dit qu’elle vient de Paris – capitale qu’elle connaît bien, dans laquelle elle a vécu, où elle a toujours des liens et qu’elle décrit d’ailleurs bien dans son ouvrage. «Mais je suis Lausannoise depuis 10 ans, coupe-t-elle. Je suis là par amour et je me suis vraiment attaché aux personnes de cet endroit. J’ai aujourd’hui tous mes amis ici.»
«C’est assez prestigieux d’être publiée par Gallimard»
La promotion est-elle différente à distance? Aurait-elle préféré être publiée par un éditeur local? «Non, j’ai toujours du plaisir à me rendre à Paris, rétorque Emmanuelle Fournier-Lorentz. Je suis attachée à la littérature française, aux maisons d’édition françaises que je connais depuis l’enfance. Et j’avoue: c’est assez prestigieux d’être publié par Gallimard. C’est clair.» Cependant, si elle devait avoir l’opportunité de publier en Suisse, elle n’hésiterait pas une seconde. «Il y a ici de super maisons d’édition!», insiste-t-elle.
L’idéal pour elle serait toutefois de faire son œuvre à Gallimard. «Elle est très loin des clichés que j’avais sur les maisons d’édition parisiennes», précise l’autrice. Elle rebondit, et s’amuse: «Je pensais qu’il fallait s’exprimer d’une certaine manière, peut-être venir d’un certain milieu dont je ne venais pas. En réalité, ce sont des gens adorables! Particulièrement mon éditeur. Dans ma tête, c’est un peu Dumbledore». Cette référence populaire fait miroir à celles qui ponctuent son livre très imagé et rappelle que la littérature n’est pas uniquement réservée à une élite.
L’ouvrage n’a pas vu le jour que grâce à un magicien solitaire, mais plutôt à une armée de mages, s’émerveille Emmanuelle Fournier-Lorentz. «J’ai été surprise par le nombre de personnes qui travaillent dans une grande maison d’édition, détaille la Vaudoise d’adoption. Entre les attachés de presse, le photographe, l’assistant de l’éditeur, beaucoup de gens vous accompagnent. Il existe toute une équipe dont l’intérêt principal est votre livre, c’est un travail de fou! Mais vous n’êtes pas forcément le centre d’attention: tous gèrent également d’autres ouvrages.» Une personne en particulier l’a-t-elle marquée? Elle répond du tac au tac: «La collaboration avec l’attaché de presse est même émouvante. Il y a des piles de livres que l’on doit signer pour des journalistes et c’est la première fois que vous voyez l’objet!»
Et depuis la publication, comment se sent-elle? «J’ai eu un peu de mal à vivre l’attente, lorsque je ne savais pas si mon roman serait publié, sans rien pouvoir faire, lâche-t-elle. C’était très dur. Quand il l’a finalement été, ça a été un immense soulagement et une vraie joie! Je n’ai aujourd’hui plus qu’à laisser les gens le découvrir, et il s’agit d’une partie formidable de ce métier.» Un métier avec lequel on peut gagner sa croûte? Pas évident, confirme-t-elle: «Pour vivre en dehors de la littérature, j’écris des scénarios, comme un long-métrage pour le réalisateur suisse Pierre Monnard».
Et Emmanuelle Fournier-Lorentz ne souhaite pas vraiment tout arrêter pour se consacrer exclusivement à ses romans. «Ces deux activités me plaisent autant l’une que l’autre, souffle-t-elle. Ecrire un scénario, c’est plutôt un travail d’équipe. Tandis que la littérature est vraiment une activité solitaire.» Et tout le monde a besoin de ses moments à soi mais aussi de partager avec les autres, non?