Un expert zurichois met en garde
Comment «The White Lotus» minimise la dépendance à certains médicaments

Dans la série américaine populaire «The White Lotus», l'un des personnages principaux consomme avec insouciance des benzodiazépines. En Suisse, la dépendance aux «benzos» arrive en troisième position, après le tabac et l'alcool. Un expert nous explique les risques.
Publié: 05.04.2025 à 22:18 heures
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Dernière mise à jour: 05.04.2025 à 23:00 heures
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Les consommateurs de benzodiazépines sont de plus en plus jeunes.
Photo: IMAGO/Cinema Publishers Collection
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Jonas Dreyfus

Dans la troisième saison de la série américaine «The White Lotus» dont le dernier épisode sera diffusé le 7 avril, un personnage en particulier s’est attiré les faveurs du public: celui d’une jet-setteuse en quête de bien-être lors d’un séjour familial en Thaïlande. 

Victoria Ratliff, incarnée par Parker Posey, ne trouve pas la sérénité grâce aux massages, mais plutôt grâce à ses benzodiazépines, les fameux «benzos». Mère de trois enfants, elle avale un calmant au moindre malaise, par exemple lorsqu’elle aperçoit d’autres clients de l’hôtel.

Elle se met alors à débiter un flot de paroles, confond la Thaïlande avec la Chine et amuse la galerie. C’est léger, souvent drôle, mais le problème est que de cette façon, la série tend à banaliser l'usage de ces médicaments très puissants et dont le sevrage peut devenir un véritable enfer.

Des usagers de plus en plus jeunes

En Suisse, les benzodiazépines figurent parmi les substances les plus souvent associées à des comportements addictifs, juste après le tabac et l’alcool. On estime que 200'000 à 400'000 personnes en consomment de manière problématique, et les usagers sont de plus en plus jeunes.

«Ceux qui prennent des benzodiazépines pour atténuer des émotions désagréables tombent rapidement dans la dépendance», explique Philip Bruggmann, responsable des centres zurichois de médecine des addictions (Arud). Selon lui, environ une personne sur dix développe une addiction en cas d’usage prolongé.

Les médicaments ont un effet calmant, anxiolytique et, selon le produit, fortement sédatif. Ils sont généralement utilisés pour traiter les troubles anxieux ou l'insomnie et sont soumis à une prescription médicale. 

Au fil du temps, le corps s'habitue au principe actif. Pour obtenir le même effet, des doses de plus en plus élevées deviennent donc nécessaires. Les consommateurs ayant développé une tolérance peuvent supporter des quantités qui, pour d'autres personnes, seraient mortelles. 

L'alcool pour atténuer le manque?

Dans un épisode, la jet-setteuse de «The White Lotus» se retrouve un jour à court de médicaments. Pour compenser le manque, elle boit davantage de vin, ce qui semble apaiser toutes ces angoisses. Mais dans la réalité, l'addiction ne se résout pas si aisément.

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Les personnes ayant traversé un sevrage aux benzodiazépines décrivent souvent les symptômes comme étant plus intenses que ceux du sevrage alcoolique
Philip Bruggmann, responsable des centres zurichois de médecine des addictions
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«L'alcool peut atténuer temporairement les symptômes de sevrage, confie Philip Bruggmann. Cependant, il est illusoire de croire que l’alcool permettrait de pallier durablement l’arrêt des benzodiazépines. Les personnes ayant traversé un sevrage aux benzodiazépines décrivent souvent les symptômes comme étant plus intenses que ceux du sevrage alcoolique, qui sont déjà considérés comme particulièrement violents».

Parmi ces symptômes figurent l’anxiété, l’agitation intérieure, les tremblements, la transpiration, les douleurs à la tête et aux membres. «Dans les cas les plus graves, des convulsions peuvent survenir», ajoute le spécialiste.

Un processus qui peut durer des mois

Avant même l’apparition des symptômes physiques de sevrage, des phénomènes dits de rebond peuvent survenir: les émotions qui étaient initialement censées être supprimées par les benzodiazépines refont surface, souvent de manière amplifiée. 

Un sevrage médical et psychologiquement accompagné se fait généralement de manière progressive et peut durer plusieurs semaines, voire plusieurs mois. La dose est réduite lentement, généralement en ambulatoire. Il est donc d’autant plus important que l'entourage joue un rôle de contrôle et de soutien, selon Philip Bruggmann. 

Même une faible dose, utilisée régulièrement pour dormir, peut mener à une dépendance. Beaucoup de personnes âgées sont touchées. «Dans ces cas, l’objectif est d’améliorer l’hygiène du sommeil et renforcer le besoin naturel de dormir chez les personnes concernées.»

Consommation combinée

Selon le Panorama suisse des addictions 2025, la consommation chronique de benzodiazépines dans la population générale s’est stabilisée, y compris chez les personnes âgées. 

Ce qui est inquiétant, c’est que l’âge moyen des personnes dépendantes a considérablement baissé: en sept ans, il est passé de 47 à 38 ans. Un nombre particulièrement élevé de jeunes de moins de 25 ans ont récemment commencé un traitement. Chez les 11-20 ans, la distribution de benzodiazépines a presque doublé depuis 2015. 

«Par internet et grâce aux contacts, on peut se procurer presque n'importe quelle substance», explique Philip Bruggmann. «Ce qui nous inquiète chez les jeunes, c’est la consommation combinée, explique-t-il. Les benzodiazépines sont souvent simplement essayées, puis mélangées avec de l’alcool et d’autres substances sédatives. Ceux qui ne sont pas habitués risquent une réduction de la respiration allant jusqu’à l'arrêt respiratoire.» conclut l'expert.

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