Blick a rencontré sa mère: «Yevhen ne savait rien»
Que sait-on de l'espion ukrainien de Poutine réfugié en Suisse?

L'Ukrainien arrêté à Kreuzlingen était-il un saboteur de sang-froid ou bien un homme innocent? Blick a remonté sa trace et s'est entretenu avec sa mère.
Publié: 09:42 heures
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Yevhen B. dans un spa au bord du lac de Constance. Mardi, il a été arrêté à Kreuzlingen.
Photo: zVg
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Robin Bäni et Fabian Eberhard

Il pose dans l’eau turquoise d’un spa sur les rives du lac de Constance, les muscles saillants, un cou de taureau, tout sourire face l’appareil photo. Ce cliché publié le 19 février 2025 sur Facebook est, pour l’instant, la dernière image publique de Yevhen B.*. Il ne devrait pas partager sa vie sur les réseaux sociaux de sitôt.

Mardi, des policiers suisses ont arrêté Yevhen B. sur ordre du procureur général allemand. Celui-ci accuse le jeune Ukrainien et deux complices d’avoir mené «des activités d’agent à des fins de sabotage».

Le trio aurait projeté des incendies criminels et des attentats à l’explosif visant le transport de marchandises en Allemagne. D’après le ministère public, les suspects étaient en contact avec une ou plusieurs personnes liées aux services secrets russes. Quelques semaines avant leur arrestation, ils auraient envoyé des colis équipés de balises GPS, prétendument pour analyser des itinéraires logistiques. Selon les enquêteurs, leur objectif était ensuite d’expédier en Ukraine des paquets contenant des explosifs et d’en provoquer la détonation depuis le sol allemand.

Des profils en ligne révélateurs

C’est apparemment Yevhen B. qui a acheté les GPS en Suisse. Il aurait aussi commandé les envois tests. Mais qui est ce présumé agent russe? Un saboteur cynique? Un simple pion manipulé par Moscou? Ou bien un innocent tombé dans un engrenage qu’il ne comprenait pas?

Blick a pu s'entretenir avec sa mère. Ses profils sur les réseaux sociaux, ainsi qu’un avis de recherche publié par la police polonaise en 2020, offrent les premiers éléments de réponse. À l’époque, Yevhen B. était recherché à Lublin, dans l’est de la Pologne, pour une «infraction» non précisée. On y apprend aussi qu’il est né à Marioupol, ville aujourd’hui occupée par les forces russes.

Un passionné d’adrénaline et de judo

Dans sa vie privée, Yevhen B. semble être un drogué de l'adrénaline. Sur Instagram, on le voit sauter d’un avion, faire du saut à l’élastique, boxer ou poser en judogi blanc. La musique qui accompagne ses vidéos donne le ton, notamment le morceau «Many Men (Wish Death)» de 50 Cent. Un ancien camarade de jeunesse le décrit ainsi: «C’est un gars pacifique, passionné de sport. Le voir accusé d’espionnage? C’est ridicule.»

La mère de Yevhen B. estime, elle aussi, que ces accusations sont absurdes. Certes, elle ne nie pas que son fils ait été impliqué dans l'histoire des colis. Mais elle estime qu'il aurait été trompé: «Il n'était pas au courant. C'est sûr à 100%.»

Yevhen B. a toutefois des liens avec la Russie. Une de ses sœurs vit à Moscou. Elle travaille pour le même groupe sidérurgique que celui pour lequel Yevhen B. a travaillé. C'est du moins ce que l'on peut lire sur leurs profils Facebook respectifs. Une autre sœur vit en Crimée, annexée par la Russie. Se pourrait-il que Yevhen B. soit prorusse? «Bien sûr que non», répond sa mère – «la Russie nous a tués et continue de nous tuer».

Des cœurs aux couleurs de l’Ukraine

En fait, son profil Instagram indique plutôt une position pro-ukrainienne. Ainsi, Yevhen B. y a posté des images de drones de l'agence de presse Reuters sur lesquelles on peut voir des maisons détruites à Marioupol. Il écrit à ce sujet en ukrainien: «Je poste cette vidéo pour ne pas oublier la maison et me souvenir de ce que nous avons traversé ensemble.» Son post se termine par un petit cœur bleu et jaune – les couleurs nationales ukrainiennes.

Il est peu probable que Yevhen B. ait séjourné à Marioupol pendant l'invasion. Une photo le montre quelques jours avant la grande attaque russe dans un café de Lviv – tout à l'ouest de l'Ukraine. Selon l’hebdomadaire «Stern», il serait arrivé en Allemagne en mai 2022 comme réfugié. Il aurait ensuite monté de petites affaires dans le sud du pays, proposant divers emplois dans des groupes Facebook: poseurs de panneaux solaires, plâtriers ou carreleurs à Dortmund.

Ce qu’il a fait ensuite en Suisse reste flou. Sur Facebook, on trouve une annonce où il cherche un nouveau locataire pour un appartement de 3,5 pièces à Kreuzlingen, disponible dès mai. On ignore aussi quand exactement il est arrivé en Suisse. Son premier post Instagram local date du 5 janvier 2023: une photo prise au bord du lac des Quatre-Cantons, avec le Pilatus en arrière-plan. D’autres images le montrent en randonnée dans les Alpes ou dans la vieille ville de Zurich.

Yevhen B. a même créé un dossier nommé «Nouvelle patrie» sur Instagram, dédié à son séjour en Suisse. Aujourd’hui, il est en détention administrative dans une prison suisse, dans l’attente d’une éventuelle extradition. L’Allemagne a officiellement demandé son transfert. Un procès l’attend – et peut-être la prison pour de longues années.

*Nom connu de la rédaction

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