Best-seller littéraire
Une femme de ménage phénoménale

La lecture n°1 des vacances, c’est elle. Adorée ou détestée, cette série de livres écrase le classement des ventes, en Suisse comme ailleurs. Mais quelle est l’histoire de son écrivaine américaine, Freida McFadden, qui se dit craintive et se veut discrète?
Publié: 29.07.2025 à 15:33 heures
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L'auteure américaine et médecin de profession Freida McFadden, 45 ans, pensait publier un livre puis s'arrêter. C'est manqué.
Photo: KIERAN KESNER/The New York Times/Redux/Redux/laif
Marc David
Marc David
L'Illustré

Les tribulations d’une femme de ménage pas si propre en ordre et de sa patronne au comportement en apparence méchamment perverso-dépressif, tout cela dans l’univers cossu d’une riche propriété de Long Island, dans l’Etat de New York.

Contée dans une langue simplissime, il a suffi de cette trame pas férocement originale mais fertile en rebondissements pour que les compteurs des ventes de livres s’affolent. L’autre jour, un coup d’œil au classement du top 10 des librairies Payot était édifiant. Les quatre premières positions étaient occupées par des livres signés par la mystérieuse Freida McFadden. Soit, dans l’ordre, La femme de ménage, La psy, Les secrets de la femme de ménage (tous chez J’ai Lu) et La femme de ménage se marie (City poche).

Fascination pour une auteure discrète

N’en jetez plus: sacrée écrivaine la plus lue de France en 2024 (près de 2 millions d’exemplaires écoulés), la nouvelle venue armée de son plumeau a pris la tête des ventes dans sept autres pays, dont le Brésil, le Royaume-Uni, l’Espagne. Impossible de ne pas penser à des triomphes éditoriaux plus ou moins récents, à Harry Potter, à Joël Dicker, à Hunger Games. Si la comparaison littéraire est acrobatique, elle partage avec ces ouvrages le même grand écart dans les opinions, jusqu’à la violence. En gros, on adore ou on déteste. Sur le site Babelio, largement ouvert aux commentaires, cela va de: «Ce roman est époustouflant, ne passez pas à côté de cette pépite, une histoire qui se lit à vitesse grand V» à: «L’histoire est complètement débile. Les personnages sont insipides. Comme d’habitude dans ce genre de livre, il y a des beaux muscles et des pectoraux, moi ça ne me fait pas rêver.»

La fascination vient aussi de la discrétion de son auteure. On n’est pas au niveau de Salinger ou de Kundera, rétifs à toute interview, mais il y a de l’idée. L’écrivaine l’explique par une crainte viscérale de l’exposition publique. Le nom de McFadden, par exemple, est un pseudonyme; cette médecin spécialisée dans les troubles cérébraux veille à ne pas révéler son identité, par crainte que ses patients ne se sentent mal à l’aise d’être traités par une auteure de thrillers à succès. «Beaucoup de mes livres traitent de sujets médicaux et je ne veux pas que les gens se demandent: «Est-ce que c’est basé sur moi?» Cela me semble peu professionnel.» Dans le même élan, elle évite les événements littéraires et trouve les appels vidéo et les interviews stressants. «Toute situation qui sort de ma routine habituelle me rend nerveuse, explique-t-elle. Je peux aller travailler et parler à une douzaine de nouveaux patients sans problème, mais dans une situation où les gens réagissent en disant «Oh mon Dieu, c'est Freida!», cela me terrifie absolument.»

Des débuts en autoédition sur Amazon

Les rares informations biographiques proviennent ainsi de quelques rencontres accordées, dont une principale au New York Times, en juin 2024. On y apprend qu’elle vit dans la région de Boston avec son mari ingénieur, leurs deux enfants âgés de 14 et 18 ans et un chat nommé Ivy. Qu’elle a grandi dans le centre de Manhattan, qu’elle y fut une enfant brillante qui adorait lire, membre d’une équipe de mathématiques qui remplissait des cahiers de composition avec ses histoires. Son père, psychiatre, lui mettait sans cesse des romans entre les mains, tandis que sa mère, podologue, lui faisait découvrir des auteurs de thrillers tels que Mary Higgins Clark et Robin Cook.

Puis l’auteur de thrillers le plus vendu aux Etats-Unis a fait ses débuts en autoédition sur Amazon, il y a une dizaine d’années. Aux prises avec une profession exigeante, élevant deux jeunes enfants, elle se dit avoir été persuadée que ce premier roman, The Devil Wears Scrubs, sorti en 2013, marquerait à la fois le début et l’hallali de sa carrière littéraire. «Je pensais que je publierais ce livre, que 1000 personnes l'achèteraient peut-être et que ce serait fini», dit-elle. Raté: douze ans, 23 livres (dont six traduits en français) et plus de 6 millions d'exemplaires vendus plus tard, McFadden jongle avec les best-sellers.

Le cinéma ne pouvait ignorer ce raz-de-marrée

Quelques histoires pénibles vécues pendant sa période en faculté de médecine lui ont servi pour son premier roman, qui narrait son quotidien d’interne médicale martyrisée par un supérieur hiérarchique. Ces quelques milliers d’exemplaires vendus lui ont fait réaliser qu’il existait un potentiel extraordinaire pour les «romans féminins à caractère médical». Le déclic final fut La femme de ménage, terminé en 2019. Elle a pourtant hésité à le publier, tant il était différent de ses premiers ouvrages: «Je me suis dit que cela ne correspondait pas à mon image, que c’était un peu trop sombre, je l’ai mis de côté», explique-t-elle. Plus tard, quand un éditeur de livres électroniques, Bookouture, lui propose de publier un de ses livres et d’en faire la promotion sur sa liste de diffusion, elle accepte de leur vendre La femme de ménage. Dès le printemps 2022, le livre époussette tout sur son passage et s’impose comme un monstre des librairies.

Dans le film «The Housemaid», qui sort en fin d'année, Amanda Seyfried (à g.) joue Nina, la patronne, alors que Sydney Sweeney campe MIllie, la femme de ménage.
Photo: WireImage

Le cinéma ne pouvait ignorer pareil remue-ménage. Le tournage de l’adaptation a eu lieu de janvier à mars derniers dans le New Jersey sous les ordres de Paul Feig, réalisateur de Mes meilleures ennemies. Le rôle de Millie, la femme de ménage, a été confié à Sydney Sweeney, star de la série Euphoria, tandis qu’Amanda Seyfried campe Nina, sa patronne. Brandon Sklenar et Michele Morrone, le bellâtre de 365 jours, tiennent les rôles masculins. Sortie mondiale prévue pour Noël prochain.

Bon côté de l’opération, machine TikTok à l’appui et réseaux sociaux en ébullition, des milliers d'anonymes avouent que grâce aux aventures de Millie, ils et elles se sont mis à la lecture. Quant à Freida McFadden, plutôt low profile, elle ne réclame que le droit de divertir: «Je n’essaie pas d’écrire Guerre et paix...»

«On veut savoir ce qui se passe dans cette maison»

Grâce à «La femme de ménage», la libraire de chez Payot Lausanne Alexandra Swierc se réjouit de voir arriver «un lectorat qui ne lisait pas forcément, qui était beaucoup sur les écrans».
Photo: Darrin Vanselow

Complices, les deux libraires du rayon polars de Payot Lausanne se souviennent comme hier de leur première fois avec un livre de Freida McFadden, en 2023. Alexandra Swierc l’a dévoré en cuisinant un risotto: «Normalement, je pose tout ce que je suis en train de lire, mais là, j’ai tout fait en même temps…» Pour sa collègue Stéphanie Berg, c’était un trajet en train Lausanne-Paris: «Quand je pars en vacances, j'embarque quatre poches et je lis un chapitre de chacun pour savoir lequel je vais choisir. Là, j’ai terminé La femme de ménage, je n’ai pas touché les trois autres…» Elles ont compris, presque simultanément, combien le titre était accrocheur. «Des chapitres courts, rapides à lire, ultra-addictifs, des retournements de situation.

On a vite senti combien cela pouvait être un succès, on l’a porté. Parce qu’il y a un truc qui fait qu’on veut aller au bout. On veut savoir ce qui se passe dans cette maison», dit Alexandra. Ensuite, elles ont observé qu’elles avaient été parmi les premières à lancer le mouvement en Suisse, avant que le phénomène se répande. «On a d’abord vu arriver des femmes du même âge que les héroïnes, puis un public plus large. Un lectorat qui ne lisait pas forcément, qui était beaucoup sur les écrans, et qu’on a pu orienter vers le polar, le roman noir.» Depuis octobre 2023, ces volumes n’ont plus cessé de hanter le haut des ventes. On pense à Dicker, à Harry Potter, à Hunger Games? Stéphanie opte plutôt pour Cinquante nuances de Grey, «pour l’attente de la suite. Pour ce public qui n’est jamais venu ici et qui découvre.»

Pour Feuz, c’est une entrée vers le vrai thriller

Expert en intrigue, l'auteur de polars Nicolas Feuz a assez vite deviné le dénouement de «La femme de ménage».
Photo: KEYSTONE

Il se montre beau joueur, l’auteur de thrillers à succès neuchâtelois Nicolas Feuz, devant le triomphe de sa consœur ménagère. Il se réjouit d’abord de l’aubaine pour les libraires, qui souffrent. Et puis pour lui-même: «C’est un brin égoïste, mais je me dis qu’une fois que les lecteurs mettent le pied à l’étrier avec cela, ils passeront ensuite au vrai polar, au vrai thriller. Je ne la classe pas dans cette catégorie.» Il remarque d’ailleurs que la moyenne d’âge de ses lecteurs baisse: «J’avais un lectorat de plutôt 40-90 ans, je commence sérieusement à être lu par les 18-20, je l’ai vu lors de mes dernières dédicaces.»

La qualité littéraire? «Je ne m’y arrête jamais, je n’aurais pas cette prétention. Pour juger de musique, de tableaux ou de livres, il y a zéro barrière. Parfois, on s’en prend plein la figure. Au début, c’est dur. Puis on vit avec, d’autant que, pour ma part, je dénombre environ 95% de bonnes critiques et 5% de mauvaises.» S’il refuse donc de critiquer un auteur, il glisse cependant que, même s’il trouve Freida McFadden très bonne dans les cliffhangers (les suspenses en fin de chapitres), il a vite deviné le dénouement: «Ce n’est pas le thriller où on n’avait pas vu venir la fin...» Alors bon vent à Freida, dont il se demande cependant si sa posture discrète est aussi désintéressée... «J’en souris un peu. Aujourd’hui, on construit un personnage et on aime bien les auteurs un peu en retrait plutôt que d’autres avec les deux mains levées. Je pense qu’elle a été coachée dès le départ.»

Un article de «L'illustré» n°30

Cet article a été publié initialement dans le n°30 de «L'illustré», paru en kiosque le 24 juillet 2025

Cet article a été publié initialement dans le n°30 de «L'illustré», paru en kiosque le 24 juillet 2025

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