«Berne nous laisse tomber!»
Au bord du gouffre, ces paysans clashent la Confédération

Les paysans protestent contre la Confédération. Ils se plaignent de trop de directives, d'un manque d'estime et d'une bureaucratie débordante. Reportage dans le Seeland, terre très importante pour la production maraîchère suisse.
Publié: 06:11 heures
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Dernière mise à jour: 06:40 heures
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Des brocolissemblent bien verts chez le jeune maraîcher Kevin Pfister. Mais ils souffrent des parasites.
Photo: Thomas Meier
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Joschka Schaffner et Thomas Meier

Kevin Pfister, 27 ans, regarde son champ de brocolis qui brille d'un vert intense sous le soleil de l'après-midi. «Mais à y regarder de plus près, les apparences sont trompeuses.» Des parasites ont fait de gros trous dans de nombreuses plantes, les pointes des feuilles sont souvent d'un violet profond – le signe d’un manque de nutriments.

Le maraîcher pointe la culture du doigt. «Une grande partie finira en biomasse.» Entre les puces et les blattes, les insectes mènent la vie dure à l'agriculteur de Kerzers (FR). Pour Kevin Pfister, le jeune chef d'exploitation, et ses collègues, la responsabilité incombe clairement à la Confédération. 

Ses brocolis sont rongés par les parasites.
Photo: Thomas Meier

En tracteurs contre la Confédération

Trop de directives, peu d'estime et une bureaucratie débordante: l'Office fédéral de l'agriculture (OFAG) attire la rancœur des paysannes et paysans suisses. Pour se défendre, ces derniers n'hésitent pas à monter sur leurs tracteurs pour manifester leur mécontentement à Berne.

Même une table ronde organisée en 2024 par le ministre de l'Agriculture Guy Parmelin n'a pas réussi à calmer les agriculteurs et agricultrices. Actuellement, le «mouvement paysan de base» se forme à nouveau, par exemple contre le nouvel outil de notification des pesticides Digiflux.

Photo: Thomas Meier

«L'OFAG laisse tomber l'agriculture productrice», déclare l'agricultrice et professeure bernoise Rosmarie Fischer-von Weissenfluh. Elle est assise dans le bureau de vente de la ferme que Kevin Pfister dirige avec son père Martin. Cet après-midi-là, lors de la visite de Blick, l'ambiance y est électrique: Stefan Krähenbühl, agriculteur bio, et Markus Lüscher, vice-président de l'Union des paysans bernois, participent également à la discussion.

«Les paysans font partie de la solution»

Au printemps, le mouvement de protestation a d'abord érigé symboliquement un sapin de mai devant le siège de l'OFAG à Liebefeld (BE), puis il a voulu planter des pommes de terre. Début juin, les agriculteurs ont ensuite protesté à Ostermundigen (BE). Stefan Krähenbühl et Rosmarie Fischer-von Weissenfluh étaient en première ligne.

Pour lutter contre la Confédération, les paysans n'hésitent pas à se rendre au Palais fédéral. C'est ce qu'ils ont fait début juin lors de la session d'été.
Photo: keystone-sda.ch

Car cette année, la Confédération élabore la politique agricole à l'horizon de 2030. «Quand nous voyons ce qui y est envisagé, on ne peut que constater que cela empire encore la situation de nos exploitations», déclare Rosmarie Fischer-von Weissenfluh. «Nous ne cessons de demander que la prochaine politique agricole soit élaborée avec nous. Les agriculteurs font partie de la solution et ne doivent pas être considérés comme le problème.»

Beaucoup de fonds fédéraux pour l'agriculture

Bien que les paysans se sentent négligés, selon les estimations de l'OCDE, près de la moitié de leurs revenus proviennent de la Confédération – par le biais des paiements directs et des droits de douane agricoles. Sur le papier, les producteurs suisses paraissent bien protégés.

Eux-mêmes voient les choses différemment. Car d'un autre côté, les agriculteurs et agricultrices suisses ne reçoivent souvent plus que quelques centimes pour leurs produits de la part des transformateurs et du commerce de détail avec une tendance à la baisse. Le revenu des ménages dans les fermes diminue, les heures de travail augmentent. Et la relève n'est clairement pas assurée.

A cela s'ajoute le fait que le taux d’autosuffisance alimentaire de la Suisse a baissé au cours des dernières décennies. «Lorsque j'étais étudiant il y a 25 ans, l'OFAG nous avait promis que le taux d'autosuffisance augmenterait», dit Stefan Krähenbühl. «C'est maintenant à Monsieur Parmelin d'agir.»

La situation géopolitique a changé

Markus Lüscher, représentant de l'Union des paysans, met lui aussi en garde contre le fait de laisser la production locale hors de portée. «La politique agricole actuelle a été bricolée dans le contexte des grands accords de libre-échange», explique Markus Lüscher. «Mais avec les développements géopolitiques actuels, nous pouvons vraiment parler d'un changement d'époque.»

C'est pourquoi, selon lui, la Confédération doit maintenant faire en sorte que les agriculteurs suisses puissent s'équiper pour l'avenir. «Nous devons pouvoir investir», déclare Markus Lüscher. «Et la Confédération doit redonner des perspectives à la relève.»

Pour cela, les paiements directs ne suffisent pas. Pour beaucoup, ils sont un signe de la bonne santé des agriculteurs, mais ils représentent en moyenne un cinquième du revenu d'une exploitation. «Les paiements directs ne sont pas des subventions», dit Stefan Krähenbühl. «Ils font partie d'un mandat de prestations que nous remplissons avec beaucoup de zèle.»

Des négociations déséquilibrées

Et lorsqu'il s'agit de négocier les prix ou de bonnes conditions-cadres, le rapport de force serait déséquilibré. «Si les employeurs et les syndicats mènent leurs négociations salariales, il y a égalité, déclare Rosmarie Fischer-von Weissenfluh, mais chez nous, il y a tellement de groupes d'intérêts autour de la table que nous, les paysans, n'avons plus aucun poids.»

Les tristes brocolis de Kevin Pfister en seraient la preuve en image. «Ces dernières années, la Confédération s'est empressée d'interdire les produits phytosanitaires», explique Kevin Pfister. «Ce serait bien s'il existait des alternatives.» Mais il n'y en a pas puisqu'il n'est possible de demander une autorisation spéciale que pour quelques produits, ce qui pêcherait au rendement des agriculteurs.

Toujours plus de directives

Le canton a toutefois dû accorder une autorisation spéciale à Kevin Pfister. Elle n'a pas servi à grand-chose, dit le jeune agriculteur. En effet, pour en faire la demande, il a d'abord dû prouver qu'un produit régulier n'était pas efficace contre les pucerons. Le temps que l'autorisation arrive, la moitié des brocolis avait déjà été mangée par les insectes. «Tu te demandes alors: dois-je encore pulvériser ou fraiser directement?»

Pour Stefan Krähenbühl, un point critique a été atteint entre-temps. «Nous travaillons de manière très précise avec les produits phytosanitaires ou vétérinaires que nous utilisons, dit-il. Mais au lieu de nous soulager, l'OFAG veut nous imposer encore plus de directives avec Digiflux.»

Résultat: une baisse de la production nationale et une augmentation des importations de cultures moins contrôlées. «De plus, les légumes proviennent souvent de pays où les conditions de travail sont nettement moins bonnes. Est-ce que c'est socialement acceptable?» Tant que rien ne changera, l'agriculteur bio continuera lui aussi à monter aux barricades.

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