Au moins 1,3 millions de pertes
Les entreprises suisses impuissantes face aux factures impayées des diplomates étrangers

Les entreprises suisses sont souvent impuissantes lorsque des diplomates étrangers ne paient pas leurs factures. C'est ce que montre un cas de prédation à Berne. Les diplomates ont des dettes de plus de 1,3 million de francs en Suisse – au minimum.
Publié: 06.12.2024 à 11:55 heures
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Dernière mise à jour: 06.12.2024 à 11:56 heures
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Photo: KEYSTONE
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Sven Altermatt

Le traiteur pour la fête, une réparation urgente dans l'appartement ou une belle décoration florale – tout cela a un coût et est facturé. Mais si le client est un diplomate, la réalité est souvent différente. De nombreuses factures restent impayées et les créanciers sont impuissants.

La raison? Les émissaires d'autres États jouissent d'un statut spécial en vertu de traités internationaux. Et certains diplomates savent en tirer profit. En raison de l'immunité diplomatique, les créanciers privés sont perdants lorsqu'une ambassadrice ou un consul refuse de régler une facture. Même les autorités ont souvent les mains liées.

Les voleurs à la tire avec un passeport diplomatique sont un problème. C'est ce que montrent de nouveaux chiffres obtenus par Blick: Les diplomates d'autres pays ont des dettes d'un montant total de 1,35 million de francs auprès des entreprises locales. Et il ne s'agit là que des dettes qui ont été officiellement annoncées au Département fédéral des affaires étrangères (DFAE) du conseiller fédéral Ignazio Cassis. Les débiteurs sont généralement issus de l'entourage des représentations étrangères à Berne.

Un traiteur bernois désespéré

Le DFAE ne dit pas quels sont les Etats qui se font mal voir et quelles sont les sommes en jeu dans chaque cas. «Le montant de la dette varie de trois à six chiffres», se contente-t-on de dire pour rester diplomate. Le nombre de cas non déclarés devrait être considérable, car de nombreuses factures impayées ne sont même pas signalées au DFAE, comme on l'entend dans le secteur du recouvrement.

Blick connaît par exemple le cas d'un traiteur bernois. Il a livré des amuse-bouches et des boissons pour la fête nationale d'une ambassade – il ne veut pas donner son nom ni le pays concerné en public. Tout s'est déroulé à son entière satisfaction. Mais le traiteur n'a jamais vu ses 5000 francs.

Un traiteur suisse attend encore aujourd'hui qu'un diplomate étranger paie sa facture de 5000 francs.
Photo: Shutterstock (Symbolbild)

Les rappels sont restés sans réponse, il s'est fait rembarrer lors d'appels téléphoniques. «Il vaut mieux laisser tomber», lui a finalement conseillé son agent fiduciaire. Une poursuite? Ce n'est pas une option. Le traiteur a renoncé à une déclaration auprès des autorités. Après tous ces ennuis, il a simplement voulu tirer un trait sur cette affaire. En 2020, Blick avait déjà rendu public un autre cas: pendant le Forum économique mondial, la délégation congolaise avait séjourné à Arosa et s'était vu réclamer le paiement de deux hôtels.

Les diplomates sont immunisés

Le problème: les dettes des diplomates ne peuvent souvent pas être recouvrées par l'office des poursuites. L'immunité les protège dans de nombreux cas contre les ordres de paiement ou les saisies. Rémy Küng est la deuxième génération à diriger une société de recouvrement bernoise. «Nous avons régulièrement affaire à des diplomates en retard de paiement», explique-t-il. Dans de tels cas, une question est centrale: «Une dette est-elle née parce que l'employé d'une ambassade a accompli une tâche relevant de la souveraineté de l'Etat?» On entend par là les activités qu'un État doit accomplir.

Rémy Küng explique cela par un exemple: «Si l'employé d'une ambassade achète un arrangement floral pour fêter son anniversaire de mariage avec sa femme, il s'agit d'une tâche privée et non d'une tâche souveraine.» On peut donc en principe exercer une activité normale. Mais voilà: «Si l'employé de l'ambassade commande les fleurs pour la fête nationale de son pays, à laquelle sont également invités des hôtes officiels de la Suisse, il devrait s'agir d'une tâche relevant de la souveraineté». Une poursuite ordinaire serait alors impossible.

Il y a une différence entre un diplomate qui commande des fleurs pour son anniversaire de mariage et pour la fête nationale de son ambassade.
Photo: AFP

Dans la pratique, la délimitation est souvent difficile. «Il vaut la peine de demander avec insistance à la représentation concernée et d'insister sur le paiement», rapporte Rémy Küng par expérience. Si cela ne porte pas ses fruits, il ne reste plus qu'à s'adresser au Département fédéral des affaires étrangères avec les factures impayées.

Réclamation auprès des ministères des Affaires étrangères

Et ensuite? «En règle générale, la représentation étrangère est invitée par les canaux diplomatiques à veiller au règlement de la dette», explique le porte-parole du DFAE, Jonas Montani. Au département d'Ignazio Cassis, on se montre combatif. En principe, même les personnes «qui bénéficient de privilèges et d'immunités sont tenues de respecter les lois et la législation de l'Etat de résidence». Dans les cas graves, la représentation suisse fait même une démarche officielle auprès du ministère des Affaires étrangères de l'Etat concerné.

Seulement voilà: le DFAE a lui aussi rapidement les mains liées. Il est peu probable que l'on provoque un incident avec un autre pays uniquement pour des factures impayées. Les chiffres montrent à quel point la Confédération est finalement impuissante face aux profiteurs. Ainsi, au cours des quatre dernières années, les dettes diplomatiques n'ont pu être réduites que de quelques dizaines de milliers de francs.

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