Animaux aux petits soins
La cynothérapie, des exercices qui ont du chien

Ziva le saint-bernard, Aïko le shiba inu ou Dubaï le labrador, travaillent en tandem avec leurs maîtresses dans des hôpitaux romands. Ces adorables loulous favorisent la motivation des patients, les aident à se soigner et leur redonnent le sourire.
Publié: 01.05.2025 à 21:57 heures
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Dernière mise à jour: 01.05.2025 à 22:29 heures
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Cookie, croisement de cocker anglais et de jack russell terrier, a participé à un projet pilote à l’Hôpital Nestlé, à Lausanne.
Olaya Gonzalez
Olaya GonzalezJournaliste L'illustré

En Valais, l’imposante Ziva s’endort presque en se laissant brosser par une malade. Du côté de Fribourg, le beau Dubaï joue au foot avec des personnes âgées. Et dans le canton de Genève, la charmante Shelby va chercher les jouets qu’un patient a déposés pour elle sur des cônes. Etonnamment, ces scènes ont lieu au sein d’hôpitaux, pourtant hauts lieux de l’hygiène, car de plus en plus d’établissements prennent conscience des bienfaits de la cynothérapie. Confiance réciproque entre thérapeute et chien, tendresse et respect de l’animal sont les clés de sa réussite.

Leur présence fait fleurir des sourires sur les visages de celles et ceux qu’ils aident à soigner. Certains malades mettent entre parenthèses la douleur le temps d’une séance ludique. D’autres viennent bien plus volontiers pour avoir l’occasion de câliner un toutou. «La thérapie assistée par l’animal peut favoriser l’engagement et la motivation des patients dans leurs soins, confirme la professeure Chantal Berna Renella, responsable du Centre de médecine intégrative et complémentaire du CHUV. Par ailleurs, c’est un outil supplémentaire dans notre arsenal thérapeutique qui peut diminuer l’anxiété ou la douleur dans certaines situations de soins.» 

Les chiens sont des collaborateurs appréciés en milieu hospitalier: «Ils sont d’excellents assistants thérapeutiques car ils sont intelligents, très sensibles aux émotions présentes, et peuvent participer à divers types de séances, par exemple de psychothérapie, de physiothérapie et d’ergothérapie.» Sous réserve, bien entendu, que les patients n’aient pas peur des chiens, n’y soient pas allergiques et ne souffrent pas de pathologies incompatibles avec leur présence.

Cookie, vétéran fan de grattouilles

Si Sanka Suru, un bouvier des Flandres blond, participe aux séances d’ergothérapie aux côtés de sa maîtresse Maureen Tournay à la Clinique Valmont, à Glion (VD), depuis 2021, le Centre hospitalier universitaire vaudois, lui, n’a mis en place un projet pilote qu’en 2024. Sibylla Protze, infirmière certifiée en thérapie assistée par animal, et son Cookie, un joli croisement de cocker anglais et de jack russell terrier âgé de 12 ans, y ont participé durant six mois au sein du Service de neuroréhabilitation de l’Hôpital Nestlé, à Lausanne. Son enthousiasme à participer aux séances de physiothérapie et d’ergothérapie lui a valu plein de grattouilles derrière les oreilles, son péché mignon. 

Après cette phase de test, il est officiellement devenu l’un des trois «dog-teurs» du CHUV, avec Jam le golden retriever et Curry le boston terrier. A l’automne, ce vétéran «joueur, curieux, patient et tolérant» reprendra du service dans un projet en pédiatrie au sein du nouvel hôpital des enfants, à condition qu’il soit encore en forme. Sa «coéquipière» souligne en effet l’importance du respect de l’animal. «Le chien n’est pas juste un instrument de travail, c’est un être vivant. Il est d’ailleurs essentiel que les personnes qui travaillent avec leurs compagnons à quatre pattes suivent une formation, aussi bien pour la sécurité des patients que pour le bien-être des chiens.»

Ziva, 70 kilos de zénitude

En assistant à des séances avec Ziva, une saint-bernard de 6 ans, à l’hôpital de Brig (VS), aucun doute n’est permis, son bien-être est au cœur des préoccupations de son binôme. Claudia Müller est d’ailleurs toujours présente lorsque sa chienne, qu’elle a formée elle-même à la célèbre Fondation Barry, prodigue un accompagnement thérapeutique. «Les interactions reposent sur l’hypothèse que les chiens mobilisent les forces tant physiques, spirituelles, intellectuelles que sociales des bénéficiaires, précise-t-elle. Le saint-bernard offre une présence particulièrement réconfortante et calme.» En effet, malgré ses 70 kilos, Ziva est la douceur même.

Née dans l’élevage de la Fondation Barry, «elle est joyeuse, proche de l’humain dès qu’elle a confiance, et elle adore les câlins», souligne sa maîtresse. Cela tombe bien puisque «Zivelette», comme elle la surnomme affectueusement, est régulièrement caressée et brossée par les patients lors des séances menées par l’ergothérapeute Jolien Verhulst. Cette dernière apprécie beaucoup sa collaboration avec ce cœur sur pattes: «C’est motivant pour les personnes hospitalisées dans le service de gériatrie ou en réhabilitation de pouvoir jouer avec elle et elles font des exercices sans même s’en rendre compte. Ziva leur fait aussi du bien au moral. Elle est très gentille. Elle dort beaucoup. Elle est idéale pour nos patients.» 

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Ziva motive les patients, les aide à travailler et leur fait du bien au moral
Jolien Verhulst, ergothérapeute
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Elle dort beaucoup? C’est bien la première fois que s’assoupir au boulot est considéré comme une qualité! Pourtant, effectivement, en observant la chienne somnoler tandis qu’une femme souffrant d’une maladie pulmonaire la brosse, on se laisse envahir par une vague de sérénité. Mais la session suivante, avec un septuagénaire qui s’est cassé une jambe, est plus active. Pour mobiliser ses bras et ses épaules, il va lancer une balle en peluche en visant un seau. S’il rate son coup, Ziva va la chercher. Après avoir enchaîné deux séances de trente minutes, la «thérapeute» à quatre pattes a terminé son travail et, après un dernier câlinou, quitte les lieux par l’arrière. En effet, elle n’a pas le droit à l’entrée principale car les chiens sont officiellement interdits dans l’hôpital de Brig.

Dubaï, la mascotte de l'hôpital

Rien de tel à l’hôpital de Riaz (FR), où Dubaï est une star qui se laisse caresser avec bonheur par les soignants, les visiteurs et les malades lorsqu’il se promène dans les couloirs avec la physiothérapeute Valérie Currat. «Il est intelligent, patient, calme et sensible», assure-t-elle. Ce labrador de six ans a été formé par la Fondation Le Copain pour aider au quotidien une personne en situation de handicap. «Mais il était un peu trop vif à l’extérieur – il avait une fâcheuse tendance à vouloir courir après les chats et les écureuils – pour être le parfait chien d’assistance, qui doit savoir se contrôler en toute circonstance. Et finalement, il est devenu un parfait chien de thérapie.» 

Dubaï, un labrador de 6 ans a été formé par la Fondation Le Copain pour aider au quotidien une personne en situation de handicap.

Avant de se voir confier Dubaï, Valérie Currat a suivi une formation auprès des éducateurs de la fondation. «Ensuite, j’ai adapté à la thérapie les ordres qu’il avait appris pour l’assistance.» Dès qu’ils l’aperçoivent, les patients ont le sourire. «Dubaï est bon pour le moral. Il est un 'moteur' et donne une dynamique positive à une séance, se réjouit la physiothérapeute. C’est une bulle d’oxygène qui fait du bien aux personnes hospitalisées, tout en les aidant à se mobiliser. Elles se concentrent mieux et sont plus motivées quand il est là.»

«On ne va pas faire de folies, mais travailler en toute sécurité», explique-t-elle à ses quatre patients du jour, tous âgés, et aux soignants qui les accompagnent. Lors de cette séance collective de physio, chacun donne son prénom et tente de mémoriser celui des autres. Si Suzanne, Claude, Béatrice et Renée-Claire ne se souviennent pas tous du premier coup des noms des autres participants, tous enregistrent immédiatement celui du beau Dubaï. Les exercices commencent: ils se renvoient un gros ballon rouge en annonçant qui ils visent. Puis chacun cache un jouet que Dubaï va devoir chercher. Ensuite, séance de tirs au but, avec gardien à quatre pattes. 

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Dubaï donne une dynamique positive à une séance. Les patients ont envie de lui faire plaisir, donc ils font des efforts
Valérie Currat, physiothérapeute
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«Tout le monde a envie de lui faire plaisir, donc chacun fait l’effort, par exemple, de lancer la balle, sans se rendre compte que c’est un exercice de physio. C’est un jeu pour le chien comme pour les patients.» Mais tout travail mérite salaire. Il a droit à des friandises et à un nombre incalculable de caresses. «J’essaie de l’amuser, je fais mon possible pour que ce soit aussi distrayant pour lui. Ensuite, après avoir bossé, il tourne la page et fait une grosse sieste. Il ne garde pas de traces des ressentis de la séance.» C’est très important pour la physiothérapeute, qui estime que ce travail ne devrait jamais provoquer une souffrance, même émotionnelle, à un chien.

Shelby, une collègue en or

Dans une salle de l’hôpital de Bellerive, non loin de Genève, Shelby, 4 ans, accueille chaque personne qui passe la porte en lui apportant un de ses jouets. Impossible ne pas craquer pour son regard tendre. L’ergothérapeute Myriam Chabloz a choisi un croisement de berger australien et de golden retriever en tenant compte des patients en neurorééducation dont elle s’occupe, des adultes atteints dans leur autonomie à la suite d’un AVC ou d’un traumatisme crânien, ou encore souffrant de la maladie de Parkinson.

Shelby, croisement de berger australien et de golden retriever, est un véritable rayon de soleil à l’hôpital de Bellerive.

Shelby est énergique, mais sait se montrer calme quand c’est nécessaire. Bien que gourmande, elle prend les friandises qu’on lui donne avec délicatesse. «C’est d’ailleurs l’un des items du test de maîtrise et de comportement (TMC) qu’elle a dû passer à la demande des Hôpitaux universitaires de Genève (HUG) afin de prouver qu’elle était bien éduquée.» Myriam Chabloz, elle, a suivi une formation auprès de l’Association suisse romande de zoothérapie, comprenant des cours théoriques et pratiques, des stages et la rédaction d’un mémoire.

«Shelby m’offre la possibilité de proposer quelque chose de différent à mes patients et ça, c’est magique. Elle adore apprendre, est très sociable et très à l’écoute, elle interagit beaucoup avec tout le monde, quel que soit le handicap», assure l’ergothérapeute. Sa collègue à quatre pattes, qui travaille un jour par semaine et effectue au maximum quatre séances de trente minutes, est la bienvenue à l’hôpital, qui accepte les chiens.

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Shelby permet de dédramatiser, car elle ne juge jamais la performance d’un patient
Myriam Chabloz, ergothérapeute
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Comme pour tous les «thérapeutes» canins, ses vaccins doivent être à jour, elle doit être vermifugée et se rendre deux fois par an chez le vétérinaire pour qu’il délivre une attestation de parfaite santé. Elle est aussi brossée avant chaque visite à l’hôpital, sa maîtresse désinfecte les accessoires utilisés pour la thérapie et le nettoyage du local a lieu plus fréquemment.

«Les exercices permettant de travailler la dextérité et l’équilibre font beaucoup plus de sens que dans une séance classique», assure Myriam Chabloz. Et cela se confirme en observant un patient de 68 ans placer soigneusement des friandises dans un jeu à cachettes conçu pour les chiens, puis se baisser pour le déposer par terre afin que Shelby puisse chercher ses récompenses. C’est bien plus motivant que d’aligner bêtement des pions sur un socle ou de se plier en deux sans objectif. «Sa présence permet aussi de dédramatiser. Moi, en tant que thérapeute, je vais «juger» la performance du patient. Le chien, lui, ne juge jamais. Et si, par maladresse, le malade laisse tomber des croquettes, Shelby sera ravie!»

Aïko, le chouchou un peu têtu

Lorsque Aïko fait connaissance avec l’un des jeunes hospitalisés dans le Service de psychiatrie et de psychothérapie de l’enfant et de l’adolescent, c’est toujours lors d’une promenade dehors avec sa maîtresse, car les chiens ne sont pas admis à l’hôpital de Sierre. Sauf si la météo est mauvaise, les séances suivantes, consacrées à des exercices, ont aussi lieu en plein air. Mais c’est une parenthèse bienvenue pour les patients, qui souffrent par exemple d’un état dépressif ou d’anxiété. «Cela favorise leur bien-être, cela les sort du cadre purement hospitalier, assure l’infirmière Kathleen Bagnoud. C’est une bulle d’oxygène, un moment pour eux, sans pression, et parfois des choses se débloquent.»

Le shiba inu de deux ans et demi n’en a pas conscience, mais il fait partie d’un projet pilote lancé l’an dernier, Ani’Mobile, créé avec deux autres infirmières, Jessica Vergères et Amandine Emery. «J’ai beaucoup travaillé sur la sociabilisation d’Aïko pour qu’il ne soit pas craintif, ni angoissé lorsqu’il accompagnerait des patients», précise la jeune infirmière qui suit une formation de zoothérapeute à l’école Ther’Animal.

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Si Aïko n’obéit pas à un ordre, cela permet de travailler sur la frustration
Kathleen Bagnoud, infirmière
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«Il est calme, très à l’écoute, et sa façon de comprendre les jeunes m’impressionne. S’il est très sociable pour un shiba inu, il peut aussi se montrer têtu, avoue-t-elle. Mais s’il n’obéit pas à un ordre, cela nous permet de travailler sur la frustration, d’évoquer les problèmes de confiance en soi. Donc les petits défauts d’Aïko peuvent être utilisés de façon positive.» 

La preuve sera faite lors d’une séance avec Taïna, 14 ans, qui explique d’une voix douce, presque inaudible, pourquoi elle a été hospitalisée: «Je me sentais mal, triste, déprimée et j’ai fait une tentative de suicide.» La jeune fille confie à l’infirmière être un peu stressée à l’idée de quitter l’hôpital le lendemain et, surtout, de recommencer l’école, même si l’établissement a mis en place des aménagements afin qu’elle ne risque pas de croiser ses harceleurs. Aïko est prêt à l’aider en lui offrant une bonne dose de confiance en elle. Le mini-«thérapeute» met de la bonne volonté pour réaliser des exercices, sauter par-dessus de petites barrières et zigzaguer entre des cônes. Mais la traversée du tunnel en tissu est problématique. Monsieur ne veut rien savoir. Taïna, à ses côtés, tente de l’inciter, mais il résiste. Alors elle a l’idée de se placer de l’autre côté de l’obstacle et de l’appâter avec des friandises. Et ça marche! Tunnel franchi!

Lors du débriefing, systématique en fin de séance, Taïna explique que, au début de cet exercice, elle a été stressée par la peur de l’échec, une crainte qu’elle ressent fréquemment. L’infirmière lui explique que l’échec est permis, qu’il fait partie de la vie, lui confiant avoir raté son permis de conduire la première fois et avoir beaucoup pleuré. Mais à la deuxième tentative, elle l’a réussi. «Et puis, lorsque Aïko a refusé de traverser, tu as mis au point une autre stratégie, tu as eu l’idée de l’attirer de l’autre côté du tunnel, et tu as réussi. Dans la vie, parfois, il faut contourner le problème, essayer une autre méthode, changer de perspective...»

Au final, en se montrant récalcitrant, le petit chien a aidé Taïna à développer son autonomie, à s’affirmer, et cette interaction bienveillante et positive lui a permis d’expérimenter quelque chose qu’elle pourra adapter au quotidien. «Ça s’est bien passé et je me sens détendue après cette séance», conclut la jeune fille, le visage éclairé par un sourire. «Une séance avec Aïko vaut tous les médicaments du monde», résume parfaitement le supérieur de Kathleen Bagnoud.

Un article de L'illustré

Cet article a été publié initialement dans le n°17 de L'illustré, paru en kiosque le 24 avril 2025.

Cet article a été publié initialement dans le n°17 de L'illustré, paru en kiosque le 24 avril 2025.

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