Elle était jusque-là passée plutôt inaperçue. La dernière affiche de promotion d'un événement gratuit de l'aumônerie de l'Université de Lausanne (UNIL) a toutefois fait tiquer un ancien étudiant, Cédric*, la quarantaine, désormais collaborateur sur le campus. On peut y lire sans ambage: «Prie pour tes exas! Avant les révisions, viens vivre une célébration réformée 'spéciale étudiant-e-s'. Avec prédication, Sainte Cène et bénédiction individuelle (...)».
Une invitation qui a d'abord surpris le Vaudois, l'a fait beaucoup rire, avant de le rendre un peu perplexe. Avec cette injonction, l'aumônerie ne verse-t-elle pas dans un prosélytisme déguisé? Ne déresponsabilise-t-elle pas les étudiants vis-à-vis de leur travail et de leurs révisions?
Étudier, c'est bien. Prier, c'est mieux?
Contactée, la pasteure de l'UNIL Anouk Troyon se défend de vouloir marcher sur les platebandes éducatives de la faculté. «Nous voulons avant tout offrir un moment de ressourcement aux étudiants qui le souhaitent en leur proposant de se ressourcer à la parole biblique, pour se remettre en confiance et évacuer le stress, assure-t-elle. Et ceux qui nous connaissent savent que nous ne cherchons pas à déresponsabiliser les étudiants et que nous ne faisons pas de prosélytisme sur le campus.»
Elle se réjouit toutefois de pouvoir attirer du monde: «Nous sommes bien conscients de l'aspect un peu 'gag' et provocateur du titre de notre flyer. C'est super si des gens intrigués finissent par venir prier avec nous!» En outre, l'aumônerie propose aussi une semaine de retraite méditative dans un chalet, pour 120 francs.
Loin des organisateurs l'idée de faire croire que Dieu peut tout régler ou décrocher un 6 à la place des universitaires: «Nous voulons aider les étudiants à trouver un équilibre spirituel et à relativiser, justifie Anouk Troyon. Tout ne dépend pas que de moi ou que de Dieu. Parfois, on a beau faire tout ce qui est possible pour réussir, y compris prier, cela ne fonctionne pas toujours. Mais je crois que Dieu est avec nous aussi dans ces moments difficiles.»
Cédric fréquente l'UNIL depuis vingt ans. Il n'avait jamais été vraiment dérangé par la présence de l'aumônerie, ses événements ou sa communication. Cette fois, il l'a remarquée: «Si c'est un coup de comm' c'est réussi. Mais le message est ambigu, on ne peut pas faire croire qu'il est possible de réussir uniquement en priant.» Pour le Lausannois, cet appel à la prière porte donc à confusion et entre en conflit avec la mission première de l'université: former ses étudiants. «Le dopage spirituel n'existe pas. D'autre part, on peut se demander si cette affichette ne va pas toucher des étudiants désespérés qui risquent de se jeter vers la foi, en ultime recours. C'est comme si le message transmis était: 'Étudier c'est bien, mais il y a d'autres moyens de réussir'!»
Débat sur la laïcité en toile de fond
Le débat sur les pratiques religieuses dans les universités romandes est vif depuis quelques semaines. Difficile de ne pas penser à la polémique qui agite l'Université de Genève (UNIGE). Une pétition pour demander un espace de prière pour les étudiants musulmans crée le malaise et les défenseurs d'une certaine forme de laïcité sont montés au créneau. Du côté de Lausanne, cette discussion est close depuis longtemps. Les campus de l'UNIL et de l'École polytechnique fédérale (EPFL) accueillent déjà trois salles de «méditation» — officieusement, des salles de prière — ouvertes à toutes les religions.
Comment expliquer ces deux approches? Pour Anouk Troyon, la réponse est à chercher du côté de l'histoire de chacun de ces deux cantons. «Le Conseil d'État vaudois a reconnu la dimension spirituelle de l'être humain en l'inscrivant dans la Constitution en 2003, relève la pasteure. Depuis il accompagne et soutient financièrement la mission des aumôneries.»
Ce n'est pas le cas à Genève, et pour une raison assez simple. «Neuchâtel et Genève sont les deux seuls cantons de Suisse à avoir fait figurer le mot de 'laïcité' dans leur Constitution, comme la France, explique Julien Norberg, qui termine actuellement son master en sciences des religions et sciences sociales à l'UNIL. Ceci peut expliquer les différences de rapport entre l'État et les religions dans ces deux républiques.» Précisons encore: comme dans la Constitution vaudoise, le mot «laïcité» n'apparaît pas dans la Constitution suisse, qui consacre la «liberté religieuse». Les cantons sont libres de légiférer sur ce sujet.
Dieu n'a pas encore déchaîné les foules
Revenons à nos psaumes. La session de prière collective organisée par l'aumônerie de l'UNIL prévue le 12 juin sera la première à se tenir en présentiel. À cause de la pandémie de Covid, la toute première édition de l'initiative «Prie pour tes exas!» n'avait pas pu avoir lieu en 2020. Les religieux avaient diffusé des capsules vidéo avec des conseils de méditation pour gérer le stress sur Facebook.
Mais cette fois, l'aumônerie voit les choses en grand. «Nous n'avons pas encore beaucoup communiqué dessus, mais nous avons proposé aux aumôneries des autres hautes écoles du canton, comme l'École hôtelière de Lausanne, d'inviter leurs étudiants à se joindre à notre événement», précise la pasteure. Mais pour l'instant, confie Anouk Troyo, l'intérêt pour l'événement est resté discret.
*Prénom d'emprunt