Madame Lehmann, vous avez été ou êtes footballeuse, joueuse de hockey, saxophoniste, flûtiste à bec, experte à la télévision, arbitre, podcasteuse, conférencière et cheffe d’entreprise. Y a-t-il quelque chose que vous ne savez pas faire?
Kathrin Lehmann: (rires) Si vous voulez vraiment me mettre en difficulté, il suffit de me placer devant une feuille blanche et des crayons de couleur. Là, je suis complètement perdue.
Que vouliez-vous faire quand vous étiez enfant?
Devenir chanteuse d’opéra. Quand j’avais dix ans, ma mère m’a emmenée à l’Opéra de Zurich. Nous espérions obtenir des billets de dernière minute pour La Flûte enchantée de Mozart, et nous avons effectivement réussi à en avoir deux, dans une loge en plus! J’avais mis exprès mon plus beau pantalon vert et un gilet assorti, mais à mes pieds, je portais des baskets à scratch...
Et comment c’était?
Magique. À un moment, la Reine de la Nuit est apparue dans la loge voisine et a chanté son air. Elle portait une jupe splendide, avait des ongles incroyablement longs, et quand elle chantait, elle tremblait de tout son corps tant elle mettait d’intensité et de force dans sa voix. Je l’ai même touchée ce soir-là, et j’ai été complètement fascinée par cette énergie que dégage la musique classique. Vous voyez, rien que d’en parler, j’en ai encore la chair de poule. Dès cet instant, j’ai su que je voulais devenir chanteuse d’opéra.
Mais au lieu de ça, vous êtes devenue footballeuse et hockeyeuse. Quel sport avez-vous commencé en premier?
Le hockey sur glace. À l’époque, ma mère dirigeait l’école de patinage de Küsnacht. Elle n’a accepté de poursuivre cette activité qu’à condition de pouvoir m’emmener avec elle à l’entraînement. C’est comme ça que je me suis retrouvée régulièrement sur la glace dès l’âge de quatre ans.
Et comment en êtes-vous venue au football?
Je m’en souviens comme si c’était hier. Au terrain de sport de Heslibach, à Küsnacht, il y avait un escalier en pierre devant le kiosque. J’avais neuf ans quand j’ai dit au président du club que je voulais moi aussi jouer au foot. Il m’a d’abord répondu qu’il devait se renseigner, parce qu’il ne savait pas si les filles avaient le droit de jouer dans le club. Je ne comprenais pas. Pour moi, au FC, il y avait ceux qui aimaient le football – et j’aimais le football. Heureusement, peu après, j’ai pu intégrer l’équipe.
Ensuite, tout s’est enchaîné très vite. À 14 ans, vous étiez championne de Suisse de football et faisiez vos débuts en équipe nationale de hockey. À 19 ans, vous avez déclaré: «J’ai tout accompli en Suisse».
C’était vrai. J’avais été élue footballeuse de l’année, j’étais numéro une en Suisse, j’avais remporté le championnat avec Schwerzenbach, et je n’avais plus vraiment d’objectifs ici. C’est pour cela que je suis partie à l’étranger.
À propos de ce titre de footballeuse de l’année: lors de la remise des prix, vous avez aussi déclaré à l’époque: «Enfin, je suis reconnue pour mon sport, au lieu d’être toujours tournée en dérision».
J’ai vraiment dit ça? Avec du recul, je dirais plutôt qu’on ne se moquait pas de moi, mais que j’ai subi beaucoup d’injustices.
Lesquelles?
À l’époque, le sport féminin était systématiquement dévalorisé par les hommes. Je l’ai surtout ressenti dans le hockey. Je n’ai jamais pu jouer avec l’équipe première, parce que cela aurait signifié prendre la place d’un garçon moins bon que moi. Et souvent, nous, les filles, n’avions même pas de vestiaire – les garçons passaient toujours en priorité.
À quel point cela vous agaçait-il?
Beaucoup, parce que je ne comprenais pas. Mais c’était souvent une question d’ego. Tout à coup, l’équipe féminine connaissait plus de succès que celle des hommes, et même le livreur de pizzas local sponsorisait les femmes – ce que certains hommes avaient du mal à accepter.
À l’époque, on disait souvent qu’une carrière comme la vôtre n’aurait jamais été possible chez les hommes.
Quand j’entends ça, ça me met en colère.
Pourquoi?
Parce que cela insinue, de manière subtile, que le niveau était si bas chez les femmes que c’est la seule raison pour laquelle j’ai pu mener une double carrière. Mais c’est faux. Je suis convaincue qu’un Roger Federer, une Mikaela Shiffrin ou un Marco Odermatt seraient capables de figurer parmi les meilleurs mondiaux dans presque n’importe quelle discipline, parce qu’ils ont une intelligence corporelle exceptionnelle, une grande variété de mouvements.
Le sport d’équipe féminin reste encore aujourd’hui confronté à beaucoup de préjugés.
Le mot «préjugé» contient déjà l’idée de jugement. Et ce sont presque toujours des hommes qui le prononcent. Ça m’énerve encore aujourd’hui, car j’ai grandi dans un environnement sans a priori. Enfant, on jouait tous ensemble, filles et garçons, et ça ne posait de problème à personne. Mais en grandissant, j’ai commencé à entendre des remarques insidieuses, des formes de discrimination. Une fois, par exemple, l’équipe masculine a reçu 20 nouvelles cordes à sauter. Quand nous, les filles, avons demandé les mêmes, on nous a simplement répondu: «Vous n’en avez pas besoin». Point final.
Est-ce que les choses se sont améliorées aujourd’hui?
De telles remarques existent encore, mais aujourd’hui, les femmes savent les contourner et refusent de les accepter. Heureusement, on ne garde plus le silence comme avant.
À première vue, vous avez mené deux carrières de rêve. Y a-t-il eu aussi des moments difficiles?
Je n’ai jamais pensé les choses en ces termes. Mais ma plus grande déception a sans doute été notre non-qualification pour les Jeux olympiques de 2002. Lors du match décisif contre le Japon, nous avons fait match nul à Engelberg, et notre rêve s’est envolé. J’ai ensuite donné une interview restée célèbre à la SRF, où j’ai dit: «J’ai l’impression que quelqu’un est mort». Cette phrase a eu des conséquences inattendues.
Lesquelles?
À ce moment-là, je jouais au football pour Turbine Potsdam. Le «Berliner Zeitung» a repris l’interview, et mon entraîneur m’a alors mise sur le banc. Il m’a dit qu’il ne pouvait pas faire jouer quelqu’un dans un état pareil.
Vous êtes souvent sortie du terrain en gagnante. En êtes-vous fière?
Je n’ai jamais eu pour objectif de remporter des titres. Ce que je voulais, c’était jouer avec et contre les meilleurs. Et quand on fait ça, les titres viennent d’eux-mêmes. C’est pour ça que je suis partie en Suède et aux États-Unis. C’est là que se trouvaient les meilleures. Je n’ai d’ailleurs jamais pleuré après une finale perdue, parce que ça fait partie du jeu. Si tu veux avoir la chance d’en jouer une, tu dois aussi accepter de pouvoir la perdre.
Il y a quelques années, vous faisiez ce constat: «Mon mental a été très affecté. J’étais devenue une machine à calculer les résultats. La règle, c’était: performance, performance, performance». Cela ne semble pas très sain.
Le sport était mon métier, et c’est moi qui ai choisi cette voie. En tant que sportive de haut niveau, tu es une prestataire de services avec ton corps. Tu vends ton corps, mais aussi tes émotions et ton esprit. Et plus tu es performante, plus tu génères de revenus.
Beaucoup de sportifs tombent dans un profond vide après leur carrière. Comment cela s’est-il passé pour vous?
Je ne suis pas tombée dans un gouffre, parce que j’ai toujours eu d’autres projets et centres d’intérêt en dehors du sport. Mais j’ai dû passer par une vraie transition. Toute ma vie, j’ai eu des entraîneurs pour me dire ce qui était bien ou mal. Et dans le sport, tout est simple: tu gagnes ou tu perds. Quand tu marques un but, tu sautes dans les bras de tes coéquipières, tu jubiles. Puis, du jour au lendemain, ces émotions disparaissent, il n’y a plus personne pour te guider, plus de résultats nets du type: «Avec cette performance, tu as gagné» ou «tu as perdu». La vie professionnelle classique est bien différente. À un moment, j’ai eu besoin de calme, de clarté dans ma tête. J’avais envie de faire le point sur qui j’étais, moi, l’ancienne athlète de haut niveau.
Avez-vous rencontré des difficultés pour entamer cette introspection?
Non. À l’époque, je sentais juste que je devenais irritable, que je n’avais plus cette paix intérieure qui me caractérisait. Et surtout, je n’arrivais plus à profiter du moment présent – ce qui, chez moi, a toujours été une grande force. Ce n’était pas une crise de la quarantaine, mais je me suis demandé: qu’est-ce que je veux encore accomplir dans ma vie? J’ai compris que j’avais besoin d’aide, que je voulais mettre de l’ordre. Il faut accepter que le sport de haut niveau est une parenthèse. Il faut dire adieu à ce corps d’athlète, qui était ton capital, et reconnaître que tu ne vivras plus jamais ces émotions-là. Pour se libérer de cette forme d’addiction au haut niveau, il faut une thérapie. Et au même moment, un autre événement est venu compliquer la donne.
Lequel?
Depuis 2008, je savais que j’étais porteuse d’une maladie auto-immune: le lupus érythémateux. Elle était restée silencieuse… jusqu’à ce qu’elle se déclare en 2022, après une opération pourtant bénigne de l’épaule.
Que s’est-il passé ensuite?
Quand cette maladie se déclenche, c’est ton propre corps qui se retourne contre toi. Pendant deux mois et demi, je n’ai pas pu dormir. J’ai été hospitalisée longtemps, des poussées de polyarthrite sont apparues aux mains et aux pieds. Il m’était parfois impossible de marcher, et au lit, je devais poser un carton sur mes pieds, car le simple contact de la couverture était insupportable. Il a fallu beaucoup de patience. Mais j’ai traversé cette période avec calme et dignité. En tant qu’ancienne sportive de haut niveau, je savais ce que c’était que dialoguer avec son corps. Heureusement, nous avons rapidement pu stabiliser la maladie. Et la thérapie m’a aussi beaucoup aidée à retrouver cette paix intérieure. Aujourd’hui, je me sens bien plus sereine et solide qu’il y a quelques années.
Comment allez-vous aujourd’hui, sur le plan de la santé?
Très bien. Depuis l’apparition de la maladie, je fais une sieste d’environ une heure chaque jour. Si ce n’est pas possible pendant plusieurs jours d’affilée, ce qui arrive heureusement rarement, je ressens vite de la fatigue. Je sens bien que le lupus est toujours là, mais je le gère parfaitement.
En 2023, vous avez aussi subi une opération de la hanche. Le sport de haut niveau est-il mauvais pour la santé?
Je suis lucide là-dessus. J’ai tiré tout ce que je pouvais de mon corps. Heureusement, je vis à une époque où la médecine peut faire beaucoup. Mais ce n’est qu’une question de temps avant que ce soit au tour de mes genoux.
Ces dernières années, je vous ai croisée deux fois par hasard. Une fois en tant qu’arbitre lors d’un match amateur à Munich, une autre fois en tant que joueuse dans un tournoi senior de football féminin. Pourquoi êtes-vous toujours aussi active?
Parce que j’aime le football, et parce que j’aime être sur le terrain. J’ai déjà arbitré près de 400 matchs.
Combien gagnez-vous pour un match?
Environ 50 euros. Mais ce n’est pas la question.
Alors, de quoi s’agit-il?
Quand j’arbitre, je suis au cœur du jeu. Et puis je fais environ huit kilomètres par match. Sur une piste d’athlétisme, ça ferait une vingtaine de tours — et je n’aurais aucune envie de les faire toute seule.
Récemment, en Suisse, un père a frappé un arbitre lors d’un match de juniors C. Avez-vous déjà vécu des situations difficiles?
Malheureusement, oui. J’ai déjà été insultée, qu’on me crache dessus, ou suivie jusqu’à ma voiture. Mais heureusement, je n’ai jamais été agressée physiquement. Je suis favorable à l’introduction d’une «carte de supporter». Pour l’obtenir, il faudrait notamment réussir un test de connaissances sur les règles du jeu. Sans cette carte, personne ne devrait être autorisé à approcher un terrain.
Lorsque je vous ai vue à Munich, votre chienne Fleur vous accompagnait. Comment va-t-elle?
Je l’ai malheureusement fait euthanasier juste avant Pâques. C’était très douloureux. Pour la première fois en 16 ans, je n’ai plus de chien à mes côtés. Fleur m’accompagnait partout, même lors de mes conférences. C’était toujours prévu avec les organisateurs: un petit lit pour elle sur la scène. D’ailleurs, il y a eu quelques événements récemment où le petit lit était encore là, vide. Les organisateurs ne savaient pas qu’elle n’était plus parmi nous.
L’Euro approche à grands pas. À quel point êtes-vous impatiente?
Enormément. Je serai à nouveau l’experte principale de la ZDF. Ce sera un défi passionnant: des millions de personnes vont nous regarder. Mais j’aime cette pression, même si je suis très consciente de ma responsabilité.
Quelle responsabilité?
En tant qu’experte, je ne parle pas uniquement de tactique ou de systèmes comme le 4-4-2. Le football a aussi une portée politique, économique et sociale. Je dois donc bien réfléchir à ce que je dis — et aussi à ce que je choisis de ne pas dire.