La pépite du breakdance suisse
B-Boy Lotus: «Mon style, c'est un peu un crash test!»

À 18 ans, Mateo Prinz, alias Lotus, est l'un des plus grands espoirs du break suisse. Le 31 mai, il se battra pour un troisième sacre national à Lausanne. L'occasion pour Blick de s'entretenir avec lui. Interview.
Publié: 30.05.2025 à 00:47 heures
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B-Boy Lotus ici à Zurich en avril 2024.
Photo: Jean-Christophe Dupasquier/ Red Bull Content Pool
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Thibault GilgenJournaliste Blick

Le 31 mai prochain, Mateo Prinz, alias Lotus, dansera lors de la finale nationale du Red Bull BC One à Lausanne. Au palais de Beaulieu, les meilleurs B-Boys et B-Girls de Suisse (c’est le nom donné aux athlètes qui font du breakdance) se disputeront le droit de représenter le pays lors de la finale internationale prévue au mois de novembre à Tokyo.

À 18 ans, Lotus, qui a grandi à Prêles sur les hauts du Lac de Bienne, a déjà plus de dix ans d’expérience dans les jambes. En Suisse comme à l’international, ses performances font de lui un grand talent d’une discipline qui ne cesse de se renouveler depuis sa vitrine (pas toujours parfaite) aux Jeux olympiques de Paris. Pour Blick, l’athlète évoque avec beaucoup de maturité son approche du break, son style, mais aussi ses ambitions et son quotidien. Interview.

Salut Lotus! Tu as l’occasion de devenir le meilleur breaker de Suisse pour la troisième fois de ta carrière, comment gères-tu la préparation d’un tel rendez-vous?
Les deux premières fois où j’ai gagné, j’avoue que ne me sentais pas très bien. Pour cet événement, il y a beaucoup de gens qui se mettent de la pression. C’est un événement sponsorisé par Red Bull, ça prend de l’ampleur et à la clé, il y a un voyage international. Donc les deux dernières fois, je me suis mis tellement de pression que j’ai gagné. Mais je n’ai pas vraiment pris de plaisir à danser. Surtout la deuxième fois. Et du coup, je dirais que mon objectif principal, c’est, pour une fois, de pouvoir bien danser. À mes yeux, en tout cas. Parce que les gens ont aimé, mais moi, pas trop. Pour le reste, je me prépare à l’académie, à Neuchâtel, là où je m’entraîne. Pour ce genre de grands rendez-vous, on commence vraiment à bien se préparer un mois à l’avance. Mais en réalité, cette préparation a lieu tout le temps. Chaque jour, j’essaie d’évoluer.

Tu as 18 ans, mais cela fait déjà dix ans que tu fais du break. Tu te souviens de tes débuts, de tes premiers pas dans ce milieu?
Bien sûr! J’ai commencé parce que ma maman faisait de la danse africaine. Elle donnait des cours à Cressier (NE) et elle avait des amis qui sont devenus mes deux profs: Arthur Libanio et Polo Da Silva. Elle m’avait amené à un cours de breakdance et j’ai tout de suite accroché. Il me semble que j’ai passé deux cours à regarder et à essayer. Et puis c’est comme ça que je suis tombé dedans. Ensuite, j’ai commencé à Cressier et il y a eu comme un recrutement afin de construire une compagnie pour des shows. C’est comme ça que j’en suis venu à m’entraîner à Neuchâtel.

On va dire que pour le grand public, le sport que tu pratiques est plutôt confidentiel, surtout en Suisse. Quelles sont les difficultés principales pour se hisser auprès des meilleurs quand on est un jeune talent suisse comme toi?
En Suisse, il faut savoir que la mentalité est un peu différente qu’à l’international. Ici, les gens sont plus calmes. Il y a beaucoup de gens qui restent en Suisse sans en sortir. Du coup, on se connaît quand même pas mal. Le pays étant déjà petit, c’est un peu comme une grande famille. Quand on s’affronte dans les compétitions Red Bull par exemple, on se connaît tous bien, ce qui est aussi un peu embêtant parfois, parce qu’on danse pratiquement toujours contre des amis. Cela provoque aussi un manque de concurrence.

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Pour moi, le plus important dans le break, c’est la créativité
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Mais la scène suisse est certainement remplie de qualités…
C’est sûr! Actuellement, on a justement une nouvelle vague, à l’image du reste du monde d’ailleurs, avec des jeunes qui ramènent un vrai truc. C’est un peu une nouvelle ère avec des nouveaux mouvements, des styles différents. L’approche est aussi différente avec la manière dont on vit tout cela. Et je trouve que la Suisse prend très bien ce virage en termes d’évolution. Chez les jeunes, on essaie aussi de voyager et de montrer qu’on existe.

Selon toi, le breakdance est-il davantage un sport ou un art?
Ça, c’est la grande question. Moi, je le vois toujours plus comme un art parce qu’il faut vraiment être créatif. Pour moi, le plus important dans le break, c’est la créativité. C’est le seul moyen de se rendre un peu unique. C’est aussi comme ça que les gens se souviennent de nous. Mais après, c’est bien sûr un sport parce que c’est très physique. Il y a des parties acrobatiques, athlétiques, on fait des saltos ou même des figures issues de la gymnastique artistique. Donc c’est tout un mélange. Mais la partie artistique joue un grand rôle, même au niveau du développement personnel. Avec la musique par exemple, on doit prendre en compte aussi notre environnement et comment on se sent. Il n’y a pas que du physique.

Tu parles de développement personnel. Si tu prolonges l’expérience breakdance, c’est-à-dire en dehors de la performance, qu’est-ce que cette discipline t’apporte au quotidien?
Je pense que la créativité en soi, ça aide dans la vie de tous les jours. Je pense que n’importe qui développe cette part de soi. Être créatif, inventer… Ensuite, le break me permet de beaucoup voyager et de me faire inviter ici ou là. On découvre alors d’autres cultures, on comprend mieux le monde. Et ça, ça m’a rapidement permis d’être mieux structuré, mieux organisé.

J’imagine que tout cela influence aussi ton style de danse. Comment le définirais-tu par rapport à d’autres concurrents?
Je dirais que je suis pas mal dans le laisser faire. C’est assez souple, on va dire. En fait, c’est un peu désorganisé. Ça veut dire que j’ai parfois des mouvements qui sont assez risqués. Ça m’arrive souvent de glisser ou de mal atterrir. Mais ça me donne d’autres idées. Et au final… c’est un peu un crash test. C’est une manière de s’exprimer qui est risquée, mais au final ça donne quelque chose de cohérent.

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Je ne suis pas souvent à la maison
»

Ton nom d’athlète, ou de scène, c’est selon, est Lotus. D’où te vient ce surnom?
On pourrait croire que c’est parce qu’au début, quand j’étais petit, et même jusqu’à l’année passée, je faisais souvent un mouvement en lotus qui ressemble à la position de yoga. Mais c’est plutôt ce surnom qui m’a poussé à faire ça. Quand j’étais petit et que j’avais des concours, je n’avais pas encore de nom. Ma maman me cherchait un nom original. Comme j’étais assez calme en battle et que je n’étais pas très agressif, elle m’a appelé Lotus, comme la fleur. Dès lors, tout s’est enchaîné.

Tu fais donc de ta sérénité une force! Comment gères-tu une carrière comme la tienne à ton âge? Je pense que tes proches sont présents, mais que tu as aussi beaucoup de pression…
Ça dépend. Je ne suis pas souvent à la maison. J’ai des journées assez remplies. Le matin, je me lève. Après, je vais aux cours (ndlr: il suit un programme de sport-études et va bientôt passer sa maturité). Je ne rentre pas à la maison. Je vais à l’entraînement et je ne reviens que tard le soir. Je voyage aussi beaucoup, même les week-ends. Mais si je prends l’exemple des cours, ça m’arrange pas mal parce que je peux vraiment travailler. Ça me motive. Je travaille durant les trajets, par exemple. Après, tous les petits moments où j’ai du temps à la maison, j’en profite réellement. Je vois ma famille et j’ai du plaisir à être avec eux. Quand mon emploi du temps est chargé, j’essaie toujours de m’organiser pour les voir. Donc ça rend les moments plus spéciaux. Je pars quand même toujours en vacances avec eux. Aux cours, j’ai des allégements donc je n’ai pas beaucoup à rattraper. Je demande à mes amis de m’envoyer les notes, du coup, ça va… En tout cas, pour l’instant. On verra pour la suite avec l’université.

Ah parce que tu vises en plus des études universitaires en parallèle? Chapeau.
Oui! La semaine prochaine, je commence mes examens de maturité. Un temps, mes parents voulaient que je fasse médecine. Je pense que j’ai été un peu influencé par ça et maintenant, j’aimerais plutôt aller à Saint-Gall en économie. Mais je ferai d’abord une année sabbatique l’an prochain. Je voyagerai vraiment pour le break et pour danser, ou même pour profiter de la vie.

Tu stresses plus pour la finale à Lausanne ou pour la maturité?
Il rit. Je n’ai pas trop de stress pour la maturité, je suis assez serein avec les moyennes que j’ai, donc ça va. Pour Lausanne, comme je le disais au début, je préférerais perdre au premier tour et être content de ce que j’ai fait que de regagner et de ne pas avoir eu de plaisir.

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Le break, c’est un sport qui tue le corps
»

L’an dernier, ta discipline a été sous le feu des projecteurs aux Jeux olympiques de Paris. On se souvient de l’Australienne Raygun qui a été largement moquée pour sa prestation. Comment as-tu ressenti cet emballement médiatique, toi qui rêves peut-être un jour de danser devant le monde entier?
Au début, j’avoue que j’ai trouvé ça marrant. Mais à la fin, c’était juste du harcèlement. Je me suis dit que les gens pouvaient se moquer d’elle, mais elle a juste saisi sa chance et elle avait gagné le droit d’être là. Je pensais bien qu’il y aurait une polémique dans ce genre parce que, comme on l’a dit avant, le break est un art et les gens ne s’attendent pas à ça. Alors bien sûr, parmi les concurrents, il y a eu ceux qui mettent plus l’accent sur les figures et ceux qui veulent créer quelque chose d’artistique. Et les gens n’ont pas compris ce que ça venait faire aux Jeux olympiques. Cette situation a créé un buzz. Même si ça peut être 'mauvais' pour notre image, les gens ont quand même parlé de notre discipline. Ils peuvent aussi s’intéresser à ce qu’on fait et voir d’eux-mêmes que ce n’est pas que ça.

Et de ton côté, comment vois-tu ton avenir dans le breakdance?
Ce serait bien sûr génial si je pouvais vivre de ça. Mais d’un autre côté, j’aime cette liberté, car cela doit rester un plaisir pour continuer. J’aimerais évidemment aller le plus loin possible, jusqu’à ce que mon corps lâche. Le break, c’est un sport qui tue le corps. Si je peux gagner la finale mondiale du circuit Red Bull une fois dans ma vie, je ne dis pas non. Mais encore une fois, j’aimerais vraiment juste réussir à bien danser et être content de ce que je fais. C’est ça, le plus important.

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