L’empereur Néron avait autrefois incendié une grande partie de Rome pour construire son palais d’apparat, la «Domus Aurea», sur les ruines de la ville. Près de 2000 ans plus tard, un autre dirigeant s’attaque aux fondements de son empire pour modeler la Rome postmoderne à sa manière. Le président américain Donald Trump passe à l’action. Non pas sur le plan architectural – à l’exception d’une salle de bal de 200 millions de dollars prévue à côté de la Maison Blanche – mais sur le plan politique.
Pour ses détracteurs, le shutdown constitue un nouvel outil dans son arsenal autocratique. Ils dénoncent le «Project 2025», un document de 920 pages publié par le groupe de réflexion conservateur Heritage Foundation. On y retrouve noir sur blanc ce que Trump entend mettre en œuvre. Blick l’a examiné, avec un résultat surprenant.
Car à aucun endroit, les auteurs ne recommandent de provoquer un shutdown. Ils suggèrent certes de réduire certains programmes fédéraux, comme l’agence d’aide USAID, ce que Trump a déjà fait. Mais l’actuelle paralysie du gouvernement découle de blocages budgétaires au Parlement, et non d’une décision du président lui-même.
Reste que l’influence des stratèges conservateurs derrière ce texte est considérable. Russ Vought, co-auteur du «Project 2025», dirige depuis janvier le Bureau de l’administration et du budget, véritable centre névralgique de la Maison Blanche. C’est là que s’exercent les contrôles sur le respect des directives présidentielles.
Des mesures du «Project 2025» déjà en place
Trump a déjà appliqué plusieurs mesures du «Project 2025». Jeudi, il a écrit sur son réseau Truth Social qu’il rencontrait Russ Vought, «du fameux 'Project 2025', pour décider quels postes contrôlés par les démocrates il veut dissoudre». En clair, l’architecte du document est devenu le chef d’orchestre du plan de bataille présidentiel. Le shutdown lui offre l’occasion de pousser plus loin la transformation des Etats-Unis.
Un coup d’œil sur les mesures les plus radicales mises en oeuvre par Trump depuis son investiture, le 20 janvier 2025, montre à quel point Russ Vought parvient à imposer sa stratégie de sabordage administratif:
Le redoutable «Annexe F» pour discipliner les fonctionnaires
Dès son premier jour de mandat, Trump a décrété que les employés fédéraux qui ne soutiennent pas sa politique pourraient être licenciés plus facilement. Environ 50'000 postes administratifs, soit 2% de la fonction publique, sont concernés. C’est exactement ce que prévoit le «Project 2025».
Les efforts d'inclusion et de diversité abolis
Le texte propose de ne plus prendre en compte le sexe, l’origine ethnique ou l’orientation sexuelle dans le recrutement au ministère des Finances. Trump est allé plus loin en supprimant les programmes d’inclusion et de diversité dans toute l’administration fédérale.
Contrôle aux frontières renforcés
Le «Project 2025» recommande au gouvernement américain de rétablir la règle «Rester au Mexique», qui oblige les demandeurs d'asile à attendre la décision de leur demande de l'autre côté de la frontière américano-mexicaine. Trump a immédiatement mis en œuvre cette politique, allant même plus loin en déclarant l'état d'urgence nationale et en déployant des milliers de soldats à la frontière sud.
Durcissement de l'octroi des visas
Le document préconise un examen plus strict des demandes de visas. Trump a imposé des frais de 100'000 dollars pour les visas de travail destinés aux travailleurs hautement qualifiés (H-1B). Cette mesure a anéanti les rêves de carrière de nombreux ingénieurs, médecins et informaticiens qui souhaitaient travailler aux Etats-Unis.
Retrait d'accords et d'organisations internationales
Dès son retour au pouvoir, Trump a fait sortir les Etats-Unis de l’accord de Paris sur le climat, conformément aux recommandations du «Project 2025». Il multiplie par ailleurs les critiques contre l’OTAN et l’ONU.
Trump veut aller beaucoup plus loin
Le «Project 2025» contient d’autres propositions qui réjouiraient ses partisans et feraient frémir ses opposants. Mais le président, à la tête de la première armée du monde, a récemment confié qu’il se lassait de ce travail administratif.
Au lieu de s’en tenir à des coupes budgétaires ou de nouvelles lois, il évoque l’idée d’utiliser des villes démocrates comme «terrains d’entraînement» pour l’armée américaine. Ces projets n’apparaissent pas dans le «Project 2025», mais dans d’autres écrits. Même Russ Vought, architecte de l’ouvrage, pourrait frémir à l’idée que Trump menace d’envoyer ses soldats contre sa propre population.