Une alliance qui vacille?
La Chine lance des hackers contre son allié russe pour voler ses secrets militaires

Derrière l’alliance affichée entre la Chine et la Russie, Pékin multiplie les cyberattaques contre Moscou pour récupérer des secrets militaires. Une stratégie opportuniste qui révèle les vraies tensions d’un partenariat bien moins solide qu’il n’y paraît.
Publié: 20.06.2025 à 18:42 heures
Partager
Écouter
La Chine aurait intensifié ses piratages contre la Russie depuis l'invasion de l'Ukraine.
Photo: Getty Images
SOLENE_FACE (1).png
Solène MonneyJournaliste Blick

Poignées de main chaleureuses, sourires appuyés et promesse d’un partenariat «sans limite» entre Pékin et Moscou pour lutter contre l'ingérence américaine. Mais derrière cette alliance de façade, datant de 2022, l’ambiance est tout autre. Pire, depuis le début de la guerre en Ukraine, des groupes de hackers liés au régime de Xi Jinping ont intensifié leurs attaques contre des entreprises et des agences gouvernementales russes, relate le «New York Times» jeudi 19 juin. Objectif: dérober des secrets militaires.

En s’attaquant à l’appareil sécuritaire russe, Pékin cherche à combler une faiblesse majeure de son armée: le manque d’expérience sur le terrain. Car si la Chine surpasse la Russie en matière de puissance économique et d’innovation technologique, elle reste en retrait sur le plan opérationnel.

Le conflit ukrainien, où les tactiques de guerre moderne sont mises à l’épreuve chaque jour, représente pour elle un laboratoire à ciel ouvert. C’est aussi un moyen pour la Chine de se préparer à un éventuel conflit autour de Taïwan, tout en observant les réactions de l’Occident face à une invasion.

La Chine, l'«ennemi» de la Russie

Les résultats de ces cyberattaques restent flous: le Kremlin n’a jamais reconnu officiellement de brèches. Mais un document confidentiel obtenu par le «New York Times» révèle l’inquiétude croissante des services de renseignement russes sur le sujet. Rédigé par le FSB, l'agence de sécurité intérieur russe, il affirme que la Chine cherche à s’approprier l’expertise militaire russe et qualifie même Pékin d’«ennemi». Une formulation qui tranche avec la rhétorique officielle d’une entente indéfectible entre les deux puissances.

Espionner ses alliés n’est pas nouveau. Mais l’ampleur des intrusions chinoises illustre la méfiance persistante entre Moscou et Pékin. Le Kremlin se montre de plus en plus réticent à partager les enseignements tirés du front ukrainien. Les deux pays avaient tout de même conclu des accords en 2009 et 2015, s'engageant à ne pas mener de cyberattaques l'un contre l'autre. Mais déjà à l'époque, les spécialistes prédisaient une annonce plutôt symbolique que réelle.

Dans cette relation de plus en plus asymétrique, Vladimir Poutine n’a guère de marge de manœuvre: la Russie est dépendante de la Chine pour écouler son pétrole, pour obtenir des composants électroniques et des pièces essentielles à sa machine de guerre. En 2023, selon une analyse du Carnegie Endowment, 89% des importations «hautement prioritaires» nécessaires à la production d’armes russes venaient de Chine.

Des groupes liés à l'Etat chinois

Tous les pirates informatiques chinois n’agissent pas au nom de Pékin. Mais selon les experts en sécurité, plusieurs groupes entretiennent des liens avérés avec le gouvernement. Parmi eux: Mustang Panda, l’un des plus actifs, souvent présent là où la Chine investit massivement à l’étranger. Après l’invasion de l’Ukraine, ce groupe aurait intensifié ses attaques contre la Russie et l’Union européenne. «Je les considère comme l'un des principaux outils dont dispose l'Etat chinois pour collecter des renseignements politiques et économiques», estime Che Chang, chercheur en cybersécurité.

Autre exemple: en 2023, le groupe Sanyo aurait usurpé les adresses e-mail d’une grande entreprise d’ingénierie russe afin d’obtenir des informations sur des sous-marins nucléaires. Selon la société taïwanaise TeamT5, l’opération aurait été commanditée par Pékin.

Parmi les cibles figurait aussi Rostec, le géant public russe de l’armement. Les hackers cherchaient des données sensibles sur les communications satellitaires, les radars et la guerre électronique. D’autres groupes encore ont utilisé des fichiers piégés pour infiltrer le secteur aéronautique russe, profitant de failles dans des logiciels comme Microsoft Word.

Des tensions entre les deux alliés

Ce climat de défiance technologique se double de tensions plus larges. Alors que Xi Jinping effectuait début mai une tournée européenne destinée à rassurer ses partenaires économiques, Vladimir Poutine ordonnait simultanément des exercices militaires simulant l’utilisation d’armes nucléaires tactiques. Une démonstration de force perçue comme un avertissement explicite à l’Occident, dans le contexte de la guerre en Ukraine, mais aussi comme un geste susceptible de mettre Pékin dans l’embarras

Partager
Vous avez trouvé une erreur? Signalez-la