Ils ne vivaient qu'à une soixantaine de kilomètres l'un de l'autre mais il y avait peu de chances que Yahli* et Aizen* se rencontrent un jour. En effet, sur Google Maps il n'existe aucun chemin reliant la ville de Rishon LeZion à Gaza.
Depuis l'attentat du Hamas le 7 octobre 2023, la guerre fait rage Israël et Gaza et Yahli et Aizen ont dû fuir leur terre natale pour le Liechtenstein, un pays calme et plein de verdures, très différent de chez eux.
Yahli est une jeune Israélienne de 16 ans, Aizen un Gazaoui de 18 ans et ils font tous les deux partie du projet «Rebuilding Peace». Depuis le mois d'août, ils vivent dans des familles d'accueil et vont à l'école dans ce nouveau pays. Ce projet a été imaginé par Maximilien Marxer, avocat et ancien élève de l'organisation American Field Service (AFS). «Je n'ai aucun espoir que les adultes construisent la paix, mais la jeune génération peut faire changer les choses», déclare Maximilien Marxer.
«Pendant trois mois, j'ai vécu sous une tente»
Aizen téléphone une fois par semaine à ses parents et à ses frères et sœurs. Lui et sa famille ont fui en Egypte, comme 120'000 autres Palestiniens. Il n'a aucun contact avec la bande de Gaza et selon l'ONU, environ 70% du territoire a été évacués et est considéré comme dangereux. La situation humanitaire est catastrophique.
Dans ses bagages pour son année d'échange à l'étranger, Aizen n'a pris que des vêtements. Yahli, quant à elle, a emporté des photos de sa famille et un savon parfumé à la vanille, qui lui rappelle sa maison.
Aizen refuse de parler du 7 octobre 2023. Il détourne le regard pendant que les yeux de Yahli se remplissent de larmes. Selon elle, beaucoup d'Israéliens avaient prévenu que des terroristes se trouvaient dans la ville via WhatsApp. «Ma mère a tout verrouillé et nous sommes allés dans notre 'Safe Place'.»
De nombreux Israéliens ont des abris de ce genre chez eux. «Nous avons d'abord pensé que c'était une fausse alerte», raconte Yahli. «Pendant trois jours, je n'ai pas pu ouvrir la fenêtre et je n'ai pas pu sortir de la maison de toute la semaine.»
Quelques jours après notre entretien, Aizen change d'avis et nous contacte par écrit. Il aimerait quand même dire quelque chose au sujet du 7 octobre. Il a déjà vécu cinq guerres, mais ce jour a été décisif: «La bande de Gaza a été rasée, des enfants, des femmes et des civils ont été tués. Beaucoup de mes proches et amis ont été tués, j'ai dû quitter ma maison. Pendant trois mois, j'ai vécu sous une tente, jusqu'à ce que l'opportunité de quitter la bande de Gaza se présente». Il conclut son message par ces mots: «Et si je voulais parler de tout ce qui s'est vraiment passé, ce serait sans fin».
«Les Gazaouis et les Israéliens sont pareils»
Lorsque Yahli a dit à ses amies qu'elle faisait un échange à l'étranger avec un Palestinien, elles ont eu peur pour elle. Malgré tout, c'est précisément pour cette raison que Yahli est partie. Elle pense que la rencontre avec une personne qui vit «l'autre côté de la guerre» peut faire changer les choses.
Elle croit à la paix, même dans sa région: «Les gens en Israël et à Gaza sont les mêmes, ils veulent vivre leur vie». Pour elle, cette guerre est celle du gouvernement israélien et du Hamas et fait souffrir les civils.
«Ils attisent la peur, c'est ainsi qu'ils peuvent nous contrôler. Si j'ai peur d'Aizen, je ne veux rien avoir à faire avec lui», poursuit-elle. L'autre est un ennemi et ce récit perdure depuis de nombreuses années et générations.
Maximilien Marxer est convaincu que la rencontre de ces deux jeunes gens issus de camps ennemis a plus d'impact sur le monde que sur ces deux élèves. L'homme de 41 ans souhaite ainsi montrer que la paix ne naît pas de nulle part, mais qu'elle est créée par tous nos contacts individuels.
Mais ce contact n'est pas toujours facile et l'avocat ne reçoit pas que des réactions positives. On lui a souvent répondu: «Ça ne sert à rien». Certains de ses amis ont pris leurs distances lorsqu'ils ont appris qu'il allait héberger un Gazaoui.
Projet similaire pendant la guerre de Bosnie
Maximilien Marxer a eu l'idée de faire venir au Liechtenstein deux élèves de régions ennemies en novembre 2023. L'organisation AFS avait déjà lancé un projet similaire dans les années 1990, pendant la guerre de Bosnie. Trois élèves de différents groupes ethniques étaient venus à Marseille pendant un an durant la guerre et à la fin du séjour, ils étaient devenus de bons amis.
Yahli et Aizen quitteront eux aussi le Liechtenstein en juillet. Maximilien Marxer fera le bilan de cette aventure. Leur aura-t-elle apporté quelque chose? En 2026, deux jeunes de cette région participeront à nouveau à une année d'échange. Quelle sera alors la situation au Proche-Orient? Et Yahli et Aizen resteront-ils en contact?
* Noms modifiés