Meurtre et ablation d'organes
Qui était vraiment Victoria Rochtchina, journaliste ukrainienne morte dans une prison russe?

Victoria Rochtchina enquêtait sur les prisons russes où la torture est pratiquée. C'est dans l'une d'elles qu'elle a vraisemblablement été assassinée. Des organes ont été prélevés sur son corps, qui portait également des traces de torture.
Publié: 06:36 heures
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Dernière mise à jour: 07:44 heures
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La journaliste ukrainienne Victoria Rochtchina est morte en captivité en Russie à l'âge de 27 ans.
Photo: zVg
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Sara Belgeri

Le 14 février 2025, lors de l'échange de plus de 700 corps ukrainiens contre des corps russes à Kiev, le numéro 757 de la liste indique: «Homme inconnu». Mais les experts ukrainiens remarquent rapidement qu'il s'agit en réalité d'une femme. 

Son larynx et ses globes oculaires sont absents, des parties de son cerveau ont été enlevées et son corps porte des traces de torture. Une inscription «Rochtchina» est également visible sur son corps. Plus tard, un test ADN révèlera qu'il s'agit bien de la journaliste ukrainienne Victoria Rochtchina, qui n'avait que 27 ans.

L'annonce a été faite cette semaine par le réseau d'investigation «Forbidden Stories», dont la mission est de poursuivre les recherches de journalistes réduits au silence. Douze médias ukrainiens et internationaux, dont le «Washington Post», le «Guardian» ou le «Zeit», ont participé à cette recherche.

Disparue depuis plus d'une année

En août 2023, la femme est arrêtée alors qu'elle effectuait un reportage dans les territoires occupés. Elle s'évapore ensuite dans le système carcéral russe et est dès lors considérée comme disparue. 

Ce n'est qu'en avril 2024 que les autorités confirment que la journaliste a été emprisonnée. Le dernier signe de vie remonte à août 2024, lorsque la jeune femme a pu passer un coup de téléphone à sa famille.

Quelques semaines plus tard, son père reçoit un bref communiqué du gouvernement russe annonçant le décès de sa fille, le 19 septembre. La cause du décès n'est pas mentionnée. Quelques jours plus tôt, elle aurait dû être libérée dans le cadre d'un échange de prisonniers.

Une journaliste passionnée et intrépide

Victoria Rochtchina grandit avec ses parents et sa sœur dans la ville ukrainienne de Zaporijjia. Très tôt, elle sait qu'elle veut devenir journaliste. Elle commencera sa carrière à 21 ans seulement, dans le média en ligne ukrainien «Hromadske». Elle se consacre surtout à des reportages dans les salles d'audience, et s'intéresse tout particulièrement à la corruption et aux crimes.

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Vika avait ce sens aigu de la justice, son métier était tout pour elle
D'anciens collègues de Victoria Rochtchina
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Au sein de la rédaction, elle est considérée comme une journaliste passionnée, intrépide. «Vika avait ce sens aigu de la justice, son métier était tout pour elle», confient d'anciens collègues dans le documentaire «La dernière mission de Vika».

Lorsque la guerre d'agression russe commence, la jeune femme se rend dans les territoires occupés par la Russie. Son objectif? Réaliser un reportage sur la situation de la population civile locale. Elle est rapidement faite prisonnière par les soldats russes

Poursuivre malgré tous les obstacles

Dans une vidéo de mars 2022, on la voit regarder gravement la caméra, les bras croisés, visiblement mal à l'aise. Elle déclare ensuite en russe: «Je n'ai pas de plaintes à formuler. L'action des militaires russes m'a très probablement sauvé la vie. J'appelle tout le monde à garder la tête froide et à régler les choses de manière pacifique.» Après la publication de la vidéo, elle est libérée.

Le temps passé en captivité ne l'empêche pas de continuer à faire des reportages dans les territoires occupés, bien au contraire. Elle veut y retourner, mais pour son employeur, le risque est beaucoup trop élevé. Lorsque Victoria Rochtchina affirme sans détour qu'elle y retournera malgré tout, le journal rompt son contrat.

Dès lors, elle se met à travailler comme journaliste indépendante. Elle écrit plusieurs rapports sur le groupe Wagner, sur les enlèvements d'enfants et documente l'implication des services secrets russes dans la détention et la torture d'ouvriers de la centrale nucléaire de Zaporijjia.

L'une des dernières à couvrir cette zone

Victoria Rochtchina commence alors à écrire, entre autres, pour «Ukrayinska Pravda». Sa rédactrice en chef, Sevgil Musaieva, affirme qu'aux yeux de Victoria, il était de son devoir de couvrir les territoires occupés. Lorsqu'en 2022, elle est primée au «Courage in Journalism Award» de l'International Women's Media Foundation, elle ne se rend pas à la cérémonie de remise du prix aux Etats-Unis, car la couverture de la guerre reste trop importante à ses yeux.

Lorsqu'elle part pour son dernier voyage d'enquête, à l'été 2023, elle a 26 ans et fait partie des derniers journalistes à couvrir les territoires occupés. Elle avait entendu dire que des civils ukrainiens y étaient arrêtés, emprisonnés et torturés et souhaitait donc écrire sur ces prisons russes. Pour ce faire, elle entre en Russie via la Pologne et la Lettonie. Selon sa famille, la jeune femme envoie encore un SMS à sa sœur en juillet. Puis, elle disparait.

Torture dans une prison russe

Les recherches de «Forbidden Stories» et les rapports de Reporters sans frontières le montrent: Victoria Rochtchina est probablement arrêtée à Enerhodar, dans le sud-est de l'Ukraine. Elle a ensuite été transférée à Melitopol, ville occupée par la Russie. En décembre 2023, elle est transférée à la prison Siso 2 de Taganrog, dans le sud de la Russie, où elle est torturée.

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Les gens en Ukraine ne savent pas à quoi ressemble la vie sous occupation
Sevgil Musaieva, rédactrice en chef d'«Ukrayinska Pravda»
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D'anciennes voisines de cellule, que les journalistes de «Forbidden Stories» ont interviewées, témoignent de ces atrocités. Elles confirment aussi les soupçons de la journaliste concernant les prisons russes: les détenus de Siso 2 ont bien été victimes de tortures systématiques, de mauvais traitements et de violences psychologiques. 

Le parquet ukrainien enquête désormais sur la mort de la reporter en tant que crime de guerre. Son père a exigé un deuxième test ADN pour confirmer définitivement l'identité de sa fille, ce n'est qu'à ces conditions-là qu'il acceptera sa mort.

Avec la disparition de Victoria Rochtchina, c'est une voix importante du reportage de guerre ukrainien qui est tue. «Elle était notre pont vers les territoires occupés, déclare Sevgil Musaieva d'«Ukrayinska Pravda» au «Washington Post». Les gens en Ukraine ne savent pas à quoi ressemble la vie sous occupation». 

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