Donald Trump a oublié qu’il est un promoteur immobilier. Dans son secteur économique, l’adage est bien connu: «l’emplacement fait tout.» Il le répète d’ailleurs à presque chaque chapitre dans son autobiographie «The Art of the Deal». Juste recette pour ce promoteur, qui a ébloui New York et le monde entier avec sa «Trump tower» et son atrium de marbre haut de six étages. L’important, pour l’actuel président des Etats-Unis, a toujours été de cibler le bon terrain, de l’acheter au meilleur prix, puis de faire en sorte que le budget de construction n’explose pas.
Cette leçon vient d’être pulvérisée par ses annonces à la Maison Blanche sur l’instauration de droits de douane réciproques à partir du 5 avril, dont le but est à la fois de pénaliser les importations et d’inciter les entreprises étrangères à produire aux Etats-Unis. Et ce, pour une raison simple: le marché et les consommateurs ne sont pas des terrains à acheter.
Donald Trump a, ce faisant, oublié que son pays, première puissance mondiale, a perdu dans beaucoup de secteurs le savoir-faire pour séduire les clients, et la maîtrise des coûts de production dont certains sont liés à des facteurs structurels, comme le prix des ressources naturelles, le niveau des salaires, la disponibilité de la main-d’œuvre ou les distances géographiques.
Produits chinois à 34%
Taxer, comme il vient de l’annoncer, les produits chinois à 34%, les produits suisses à 31% et les produits européens à 20% n’a de sens que si la population américaine est prête à changer ses habitudes de consommation. Possible? Peut-être. Mais il faudra dans ce cas bien plus que des tarifs douaniers et des comparaisons sur un grand tableau pour engendrer cette révolution. Qui voyage à travers les Etats-Unis réalise combien le prix n’est pas le seul facteur dans l’achat massif de produits «Made in China». Les circuits de distribution fonctionnent. Les enseignes bon marché comme «Dollar Tree» ont conquis une clientèle qui, même dans les hypermarchés Walmart ou Costco, icônes de la société de consommation «Made in USA» a pris l’habitude de ne plus acheter américain. Ce pays n'a eu besoin de personne pour devenir un toxicomane aux importations.
L’autre ratage annoncé de la politique douanière de Donald Trump est qu’il mêle la politique et l’économie. L’exemple est la décision de n’augmenter que de 10% les tarifs douaniers sur les importations en provenance du Royaume-Uni, pays avec lequel Washington négocie un accord de libre-échange. Soit. Mais en quoi cela va-t-il transformer l’économie américaine? « « Made in America » n'est pas seulement un slogan, c'est une priorité économique et de sécurité nationale explique le communiqué de la Maison-Blanche. Le programme commercial réciproque du président est synonyme d'emplois américains mieux rémunérés dans la fabrication de belles voitures, d'appareils électroménagers et d'autres produits fabriqués aux États-Unis». Vraiment ?
Tarifs douaniers
Le problème est qu’à part les tarifs douaniers, qu’il manie comme une potion supposée magique (au point d'oublier que La Réunion n'est pas un pays, mais un territoire français d'outremer) , Trump le promoteur immobilier n’a rien prévu. Sa détestation de l’Etat le conduit à abandonner toute idée d’investissement public dans les infrastructures, alors que son prédécesseur Joe Biden en avait fait le pilier de son «New Deal». Trump a oublié que le terrain commercial est mouvant. Il pense que les consommateurs sont comme des ouvriers du bâtiment sur lesquels on peut faire pression, via de bons «deals» avec les syndicats, voire la «mafia». Or rien ne se passe comme ça en 2025, dans un monde de plus en plus dominé par les transactions sur internet, où les habitudes de consommation sont canalisées par les algorithmes et l’intelligence artificielle.
Les missiles commerciaux de Donald Trump sont mal ciblés et mal tirés, car ils ne vont pas détruire leurs cibles. La Chine et les pays d'Asie du sud-est visés (Vietnam, Thaïlande, Malaisie, Cambodge) vont tout faire pour exporter ailleurs, et le désordre mondial qui résulterait d’une crise majeure dans ces pays fera plonger les marchés financiers, ruinant des centaines de millions d’épargnants.
Diversité européenne
L’Europe, avec la Suisse à ses côtés, va pour sa part riposter, même si les géants allemands de la chimie viennent de lui suggérer la modération. Or elle dispose d’une diversité de produits bien plus grande que les États-Unis – secteur numérique excepté – et peut vivre sans consommer américain. La fragilisation de certaines filières agricoles, comme la viticulture, exigera des réformes. Les Européens qui exportent aux Etats-Unis enfin, comme les pharmas helvétiques, sont relativement assurés de conserver leur marché, protégés par des brevets. Là aussi, ce sont les Américains qui paieront plus cher leurs soins, dans un pays où le système de santé est cruellement défaillant.
Donald Trump a raison de s’en prendre à tous ceux qui, depuis des décennies, ont vendu le libre-échange comme un remède miracle alors que son principal résultat a été de nous rendre plus dépendants de la Chine, et de nous faire perdre des savoir-faire cruciaux pour nos sociétés (même si la Suisse, sur ce plan, a sans doute mieux résisté en se tenant à l’écart de l’Union européenne tout en accédant à son marché).
Les profits de l’oligarchie
Mais il dit une énormité lorsqu’il prétend que son pays «se fait avoir depuis 50 ans», notamment en «prenant soin d’autres nations à travers le monde». Ce monde a été bâti, en partie, par les équations financières de Wall Street. Les États-Unis ont cultivé ce clientélisme. L’Amérique a perdu au change à force de laisser une poignée de milliardaires imposer leur seule loi du profit à court terme, grâce au commerce mondial dérégulé.
Protéger les Américains
Trump a raison de vouloir protéger les Américains. Il a aussi raison de vouloir ressusciter le «rêve américain», si tant est qu’il existe encore. Il voit sans doute juste lorsqu’il estime qu’il faut revenir à des schémas simples: la production de biens en priorité sur les marchés où il se vend, et la réciprocité en termes de tarifs douaniers. Le problème est qu’il devrait, pour y parvenir, aussi taxer lourdement ceux qui, par leurs plateformes commerciales numériques, dominent le marché, et modifient les habitudes de chacun d’entre nous. Et qu'il oublie volontairement les exportations trop peu taxées qui profitent à Washington: services numériques, commandes militaires etc..
La «libération» de l’Amérique promise par Donald Trump à partir du 5 avril (pour les droits de douane d’au moins 10 % sur tous les produits entrant aux Etats-Unis ) et du 9 avril (pour les droits de douane majorés imposés à la Chine (34 %), à la Suisse (31%) ou à l’Union européenne) n’aura pas lieu s’il ne s’attaque pas à ceux qui, au sein de l’élite économique et financière de son pays, ont sapé «l’American way of life». Et abandonné depuis des décennies à leur sort, une grande partie de leurs compatriotes.