Rouillée mais adulée
La Tour Eiffel est en piteux état, comme Paris

Le 1er juillet 1887, la construction de la Tour Eiffel commençait à Paris. Aujourd'hui adulé, photographié sous tous ses angles, le monument est l'un des plus visités au monde. Mais comme la capitale française, il a besoin d'un bon lifting.
Publié: 15.07.2022 à 07:57 heures
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Dernière mise à jour: 15.07.2022 à 16:54 heures
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La Tour Eiffel est en mauvais état. Le besoin de la réhabiliter est urgent. Normal, pour l'un des monuments les plus visités au monde que Gustave Eiffel pensait devoir démonter un jour.
Photo: Icon Sport via Getty Images
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Richard WerlyJournaliste Blick

Gustave Eiffel doit se retourner dans sa tombe: presque 100 ans après sa mort, le 27 décembre 1923, le concepteur de la tour métallique la plus célèbre au monde est toujours l’objet d’âpres débats parmi les spécialistes.

Pour les uns, la Tour Eiffel est, du haut de ses 300 mètres, menacée d’écroulement si elle n’est pas d’urgence réhabilitée. «Va-t-elle tomber?», s’interrogeait en Une l’hebdomadaire «Marianne» le 29 juin dernier. Pour les autres, les secrets et le génie de Gustave vont continuer de faire tenir bon cet édifice unique, planté au pied de la Seine. «La tour Eiffel devait être détruite vingt ans après sa construction, pour l’exposition universelle de 1889. Depuis, elle fait mentir tous ceux qui lui prédisent le pire» sourit l’historien Alain Dieffenthal, habitué à raconter la genèse et les multiples vies de l’édifice lors des conférences de l’association «Paris historique».

Un projet fou devenu emblème

Le 21 juin dernier, l’intéressé prenait la parole devant une cinquantaine de personnes sur le thème «La Tour Eiffel, un projet fou devenu emblème». L’occasion de répéter que, depuis le début des travaux, le 28 juillet 1887, tout a été dit sur les dangers que les 7300 tonnes d’acier de sa charpente métallique font peser sur Paris. Et pour cause.

Oui, la Tour Eiffel est menacée par la rouille. Oui, l’affaissement des terrains sur la rive gauche de la Seine a, depuis plus d’un siècle, modifié légèrement son inclinaison. Oui, la campagne actuelle de peinture menée sur sa structure est la vingtième depuis son inauguration, le 31 mars 1889. Oui, son succès dépasse toutes les espérances de son créateur. 20’000 visiteurs par jour en moyenne, soit plus de sept millions de visiteurs par an (dont 75% d’étrangers), 320 millions de visiteurs depuis sa création.

Tout s’aggrave

Et oui, tout s’aggrave: les extraits d’une dizaine de rapports publiés par Marianne disent l’ampleur du mal. «C’est bien simple, si Gustave Eiffel visitait les lieux, il aurait une syncope», se désole un responsable du site dans l’hebdomadaire. Eiffel l’avait écrit: la peinture est un élément essentiel de la Tour. Mal repeinte, sa structure battue par les vents et la pluie s’expose à la pire corrosion.

La réalité est que la Tour Eiffel, désormais protégée par une barrière vitrée pour empêcher les actes terroristes, a toujours ressemblé à Paris, cette ville lumière que sa silhouette domine, illuminant la nuit de ses couleurs multiples. Bleu-Blanc-Rouge pour le 14 juillet. Bleu étoilé durant la présidence tournante française de l’Union européenne qui vient de s’achever. Bleu et jaune en solidarité avec l’Ukraine. Or les projecteurs, parce qu’ils génèrent de la chaleur, abîment la peinture.

Paris, capitale surendettée

Mais il n’y a pas que ça: les touristes grattent, ils veulent graver leurs noms, ils abîment les marches métalliques. Pire: voici que les maladies de l’époque lui sont tombées dessus. La Tour Eiffel souffre d’un risque de contamination au plomb. Les nouvelles peintures utilisées, plus écologiques, ne résistent plus autant qu’avant sur sa structure métallique tenue par 2’500’000 rivets. Près de 70% de la peinture ne tient pas à long terme. Le «brun Eiffel», cette couleur proche du bronze choisie par son concepteur, doit être spécialement préparé. Or tout cela coûte cher: 60 millions d’euros pour chaque campagne de réhabilitation, soit presque un an de chiffres d’affaires (77 millions en 2019, avant l’épidémie de Covid-19).

Seulement voilà: la municipalité de Paris, propriétaire de l’édifice à travers la société d’exploitation de la Tour Eiffel, est à bout de souffle financier. Sa dette de 7,7 milliards d’euros fait de la capitale française l’une des villes les plus endettées au monde. Pas facile donc de trouver en urgence les fonds pour la badigeonner, remplacer les rivets usagés, changer les travées défaillantes. D’autant que les règles sont strictes: pas question de transformer la Tour en gigantesque panneau d’affichage pour sponsors. Il faut faire avec les moyens du bord.

Plan voté en janvier 2016

En janvier 2016, la Mairie de Paris, Anne Hidalgo, a pourtant voté un plan de modernisation pour «valoriser la Tour Eiffel». Il prévoit de porter les investissements «à 20 millions d’euros par an contre 13,7 aujourd’hui». Mais tout est en retard: les fonds, les installations, les réparations… alors que les Jeux Olympiques de l’été 2024 approchent. Ironie de l’histoire: la pandémie de Covid-19 a permis à la structure de se reposer. C’est déjà ça. Mais après? Comment remédier aux 800 défauts constatés dans les rapports consultés par Marianne?

Les plus pessimistes font remarquer que l’incendie de Notre Dame de Paris, en avril 2019, est aussi la conséquence d’installations négligées et mal entretenues, ce qui a transformé en catastrophe les travaux de réfection de sa charpente millénaire. Ils comparent aussi l’état de la Tour Eiffel à celui de la capitale française, sale, mal entretenue, bien loin de son éclat d’antan.

Alors, faut-il s’inquiéter avant de monter dans le train ou l’avion pour vous rendre sur les bords de la Seine. Oui, parce que les chiffres donnent le vertige. Non, parce que Paris, qu’on le veuille ou non et quelles que soient les circonstances… sera toujours Paris!

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