La purge du Kremlin
Poutine lance sa machine répressive contre ses propres ambassadeurs pro-guerres

Le Kremlin ne cible plus seulement ses opposants: il s’attaque désormais aux blogueurs ultranationalistes qui soutenaient la guerre. Plusieurs figures pro-Kremlin ont été désignées «agents étrangers» ou arrêtées pour leurs critiques.
Publié: 06:06 heures
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Poutine a lancé une nouvelle offensive contre les influenceurs ultranationaliste pro-guerre.
Photo: Getty Images
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Solène MonneyJournaliste Blick

La chute de Roman Alekhin, figure phare de la blogosphère ultranationaliste russe sur Telegram, marque un tournant: après avoir laissé prospérer ces influenceurs farouchement pro-guerre, le Kremlin commence désormais à cibler ses propres soutiens.

Celui qui conseillait encore récemment un gouverneur et recevait des distinctions militaires est maintenant accusé d'être un «agent étranger», une étiquette infamante qui signe la fin de toute activité publique. Les Z-bloggers, longtemps récompensés pour leur zèle patriotique, semblent avoir franchi la nouvelle ligne rouge du pouvoir: critiquer la manière dont la guerre est conduite, rapporte le «Telegraph» ce dimanche 16 novembre. 

«La blogosphère Z servait de soupape, un espace où exprimer des critiques sans toucher au système», analyse Keir Giles, spécialiste de la Russie à Chatham House. Cette soupape semble aujourd'hui brutalement se refermer.

Une série de Z-bloggers

Roman Alekhin, accusé d’avoir détourné des fonds destinés aux troupes, n’est qu'un domino à tomber parmi d'autres. En août, Sergueï Markov, analyste politique pro-Kremlin a lui aussi été fiché «agent étranger». Un statut hérité de l’ère stalinienne pour viser les «ennemis» de l'ex-URSS, désormais utilisé pour réduire au silence toute voix dissonante. Les experts estiment que Sergueï Markov paye surtout son soutien à l’Azerbaïdjan, en pleine détérioration des relations avec Moscou. Lui dénonce une machination de «fonctionnaires corrompus» et parle d'un «malentendu».

La répression de la machine russe s'étend. Fin octobre, Tatiana Montyan, ancienne avocate ukrainienne devenue propagandiste pro-guerre, a été placée sur la liste des «terroristes et extrémistes» pour des soupçons de détournement de fonds. Une étiquette généralement aux ennemis les plus dangereux pour le Kremlin, souligne «The Guardian».

Quelques jours plus tard, Oksana Kobeleva, fondatrice d’une chaîne Telegram ultranationaliste, était arrêtée pour avoir «discrédité» l’armée en critiquant Apti Alaudinov, chef des forces spéciales tchétchènes Akhmat. Moscou n’a donné aucune explication officielle à cette vague de répressions, et chaque affaire paraît, de prime abord, avoir été déclenchée pour des raisons distinctes.

Un danger pour le Kremlin

Le Kremlin ne s’en prend donc plus seulement aux opposants, mais aussi à ses partisans les plus radicaux. Ces influenceurs, qui bénéficient d’une proximité avec l’armée, servent pourtant les intérêts du pouvoir: ils mobilisent des dons pour le front et galvanisent les soutiens. Mais de l'autre côté, ils jouissent d'un pouvoir immense sur l'opinion publique et constituent une source d'information alternative aux canaux officiels du Kremlin.

L’«opération Toile d’araignée» ukrainienne de juin dernier en est un exemple frappant. Alors que les médias officiels minimisaient les dégâts sur le territoire russe, les blogueurs nationalistes publiaient images et vidéos d’avions détruits, accusant les autorités d’incapacité à protéger les bases aériennes. Une dissonance de plus en plus intolérable pour Moscou.

Selon le Dr Martin Larys, chercheur à l'Institut des relations internationales de Prague, la galaxie pro-guerre russe est désormais scindée: d’un côté les propagandistes loyalistes, alignés sur la ligne du Kremlin; de l’autre les Z-bloggers critiques, nés d’un mouvement plus spontané. Les deux camps se livrent une guerre d’influence, se discréditant mutuellement et défendant des intérêts opposés.

Une guerre entre ultranationalistes

Vladimir Solovyov, star de la télévision d’Etat, incarne le camp loyaliste et n’hésite pas à traiter les blogueurs critiques «d’ennemis» à emprisonner. Le camp critique, lui, se veut le porte-voix des soldats du front et dénonce les offensives mal préparées et les pertes massives. Cette fracture se creuse alors que la situation militaire se dégrade et que les désertions augmentent.

Dans ce contexte, le Kremlin serre la vis. La loi sur les «agents étrangers» s’applique désormais à tout profil jugé gênant, entraînant interdictions professionnelles, impossibilité de collecter des fonds et obligation d’étiqueter chaque publication. Parallèlement, le contrôle des réseaux sociaux s’intensifie: après Facebook, Instagram et X, au tour de WhatsApp et Telegram d'être restreints, au profit de plateformes étatiques.

Pour l'opposant Vladimir Kara-Murza, cette mécanique est celle d’un système totalitaire: une fois en marche, elle finit toujours par dévorer ses propres soutiens. Et pour les blogueurs pro-guerre, longtemps tolérés, parfois célébrés, l’heure du retour de bâton semble bel et bien arrivée.

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