Last action hero
Tom Cruise, l’acteur qui ne voulait plus vieillir

La star hollywoodienne a été accueillie au Festival de Cannes cette semaine par des centaines de fans pour la présentation du dernier volet de «Mission: Impossible». Dernier grand du cinéma d’action, l’acteur se fige et reste toujours aussi insaisissable.
Publié: 10:29 heures
La star hollywoodienne a été acclamée à Cannes pour la présentation du nouveau «Mission: Impossible».
Photo: KEYSTONE
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Margaux BaralonJournaliste Blick

A quoi mesure-t-on une très grande star américaine, une vraie, lorsqu’on se trouve aux pieds des marches du Palais des Festivals de Cannes, qui accueille chaque année la plus grande manifestation mondiale dédiée au septième art – et donc un paquet de très grandes stars américaines? D’abord au fait qu’avant son arrivée, le microcosme cannois en perpétuelle ébullition semble sur le point d’imploser. Ensuite, à la demi-seconde de silence qui suit son apparition, juste avant les cris des fans en délire. Il faut bien ce laps de temps pour réaliser que la légende qui vient de poser le pied sur le tapis rouge a pris corps.

Indéniablement, Tom Cruise en est une. Depuis l’aube, ce mercredi 14 mai, des fans vêtus de t-shirts à l’effigie de leur héros attendent que celui-ci montre le bout de ses Ray-Ban, sa marque de fabrique depuis la sortie de «Top Gun», en 1986. Son dernier film, qui est aussi le dernier jusqu’à nouvel ordre de la saga «Mission: Impossible», est présenté en avant-première mondiale au Festival de Cannes. Et jusqu’à ce qu’il descende d’une grosse berline noire, tout le monde se demande comment l’acteur va débarquer sur la Croisette, lui qui n’aime rien tant que sauter en parachute, piloter des avions ou se faire accompagner par ceux de la patrouille de France – c’était en 2022, toujours à Cannes, pour la sortie de «Top Gun: Maverick».

Finalement, l’arrivée est aussi sobre que l’accueil délirant. Partout, on se presse contre les barrières pour obtenir une photo, un autographe, un sourire, voire une poignée de mains. Il faut dire que Tom Cruise est l’un des derniers héros du cinéma d’action américain traditionnel. Un rôle qu’il a lui-même taillé sur mesure, quitte à s’enfermer dedans et devenir une caricature, luttant pour qu’on ne lui donne jamais ses 62 ans. Aujourd’hui, bien peu sont capables de dire qui se cache vraiment derrière cet accro à la cascade. Et les moins de vingt ans n’ont pas connu le temps où il s’autorisait à montrer autre chose.

Être plus qu’un physique

Pendant longtemps pourtant, Tom Cruise a suivi la stratégie inverse de celle qu’il adopte aujourd’hui. L’année 1986 en est un exemple flagrant. D’un côté, le jeune homme de 24 ans décroche avec «Top Gun» le rôle qui le propulse au rang de star internationale. Celui de Pete Mitchell, pilote de chasse doué mais arrogant, lancé à pleine vitesse dans son avion F-14 ou sur sa moto. De l’autre, il apparaît dans «La Couleur de l’argent», dans lequel ses seules cascades consistent à jouer au billard – il y incarne un joueur doué mais… arrogant. Dans le premier cas, c’est un blockbuster destiné à conquérir le plus large public. Dans le second, un film d’auteur (le réalisateur n’est autre que Martin Scorsese) aux côtés d’un immense acteur (Paul Newman) dans les traces duquel Tom Cruise se verrait bien marcher.

Pas question, pour celui que tout le monde voit alors comme un (beau) jeune premier, de n’être qu’un physique. Thomas Cruise Mapother IV, de son nom complet, vise l’excellence. Il a d’ailleurs failli refuser le rôle en or de «Top Gun», et ne s’est laissé convaincre qu’à une condition: pouvoir retravailler son personnage et apporter sa patte à l’écriture du scénario. Deux ans après, dans «Rain Man», Tom Cruise joue le frère cupide d’un homme atteint d’un trouble autistique (incarné, lui, par Dustin Hoffman). Et montre par la même occasion qu’il est capable d’être autre chose à l’écran qu’un héros surdoué.

La quête de reconnaissance…

Prouver au monde qu’il vaut mieux qu’un simple blockbuster sera pour l’acteur un travail de longue haleine. Lorsque l’autrice Anne Rice apprend en 1993 que c’est lui qui a été casté pour jouer dans l’adaptation de son roman fantastique «Entretien avec un vampire», elle est dévastée. Impossible, se récrie-t-elle dans la presse américaine, que ce beau gosse parvienne à donner toute sa complexité au personnage de Lestat, buveur de sang plein de charme, d’humour et de mélancolie à la fois. Après la sortie, belle joueuse, l’écrivaine achète une publicité au magazine «Variety», qu’elle transforme en lettre ouverte à Tom Cruise, dont elle loue la performance.

Qu’il soit un vétéran cloué dans un fauteuil roulant après la guerre du Vietnam dans «Né un 4 juillet» ou un mari impuissant face à aux fantasmes débridés de sa femme dans «Eyes wide shut», le comédien prend constamment des risques pour se bâtir une filmographie solide. 

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En 1999, le public a l’occasion de prendre la mesure de son talent en une seule scène. Dans «Magnolia», de Paul Thomas Anderson, Tom Cruise incarne un dangereux gourou, qui se retrouve au chevet de son père mourant. Le personnage balance alors ses quatre vérités à ce géniteur indigne et finit en larmes.

…et du père

Ce que tout le monde ne sait pas, en revanche, c’est que ce monologue est partiellement improvisé par Tom Cruise sur le plateau. Et que ce n’est pas franchement un rôle de composition. Fils d’une enseignante et d’un ingénieur électricien, l’acteur a grandi avec un père colérique et violent, «un tyran et un lâche», comme il le confiera des années plus tard au magazine «Parade».

Lorsqu’il a onze ans, sa mère les met, lui et ses trois sœurs, dans une voiture, et s’éloigne de cet homme que Tom Cruise ne reverra pas pendant des décennies. Et auquel il n’aura jamais l’occasion, contrairement à son personnage dans «Magnolia», de dire tout ce qu’il a sur le cœur. Devenir acteur n’est donc pas qu’un rêve pour le jeune homme. C’est une nécessité. Sa mère lui donne le goût du théâtre, leur modeste condition celui de réussir, et sa petite taille, doublée d’une encombrante dyslexie, celui de la revanche. A peine âgé de 18 ans, il court déjà les castings.

S’il doit probablement sa carrière à cette enfance malheureuse, Tom Cruise en tire aussi une «anxiété» chronique, dont il parlera également à «Parade». Est-ce pour cela que l’actrice Mimi Rogers parvient aisément, lorsqu’elle le rencontre en 1986, à l’initier à la scientologie, dont elle est elle-même une membre éminente? Élevé dans une famille très catholique, Tom Cruise se détourne de sa religion chrétienne pour embrasser une secte qui, à l’époque, recrute tous azimuts. Dès 1955, son fondateur, L. Ron Hubbard, avait d’ailleurs théorisé le fait de séduire des célébrités pour en faire les meilleurs ambassadeurs du mouvement.

Sect symbol

L’appartenance de Tom Cruise à l’Eglise de scientologie est révélée en 1990 dans la presse tabloïd américaine mais reste, pendant une décennie encore, discrète. Pat Kingsley, l’agente du comédien, verrouille toute communication sur cette question – comme sur beaucoup d’autres. Et les procès intentés à répétition par l’organisation sectaire contre plusieurs médias, notamment le «Time» lorsque celui-ci publie une longue enquête en 1991, dissuadent les journalistes de creuser le sujet.

Les années 2000 marquent un tournant. Exit Pat Kingsley, Tom Cruise choisit l’une de ses sœurs pour assurer sa communication… qui devient plus bruyante. La scientologie prend de plus en plus de place, notamment sur les tournages. Celui de «La Guerre des mondes», de Steven Spielberg, vire au cauchemar, alors même que le réalisateur et le comédien s’apprécient beaucoup depuis qu’ils ont fait «Minority Report» ensemble. Tom Cruise installe une tente sur le plateau pour accueillir des membres de la secte, recrute des médecins scientologues pour soigner des proches du cinéaste et ne cache pas ses ambitions prosélytes.

Lors de la promotion du film, la coupe, déjà bien pleine, déborde. Alors que la scientologie a fait fuir son épouse, Nicole Kidman, qui a enfin obtenu le divorce 2001, Tom Cruise a retrouvé l’amour dans les bras de la jeune Katie Holmes. Et il parle bien plus de ce coup de foudre – soigneusement orchestré en coulisses par les pontes de l’Eglise de scientologie – que de «La Guerre des mondes». Lorsque la tournée de promotion s’arrête à Paris, le cinéma ne fait pas le poids face à une demande en mariage, que l’acteur fait dans le restaurant de la Tour Eiffel. Steven Spielberg, furieux, jure qu’il ne travaillera plus jamais avec lui.

L’enfermement

Le sex-symbol des années 1980, l’acteur avide de prouver l’étendue de sa palette de jeu, réalise-t-il vraiment, en 2005, que sa carrière est au bord du précipice? A-t-il conscience que le monde est en train de changer et que, désormais, lorsque vous pétez un plomb sur le canapé d’une émission présentée par Oprah Winfrey, en faisant une déclaration d’amour incohérente et embarrassante à votre nouvelle compagne, la séquence tourne en boucle sur Internet?

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Toujours est-il que Tom Cruise joue trop avec le feu. En 2006, les studio Paramount, à l’origine de la franchise «Mission: Impossible», le licencient. La raison? «Comportement inacceptable» et «suicide créatif».

Pour s’en sortir, Tom Cruise n’a pas le choix. Puisque plus personne ne veut l’embaucher, celui qui a toujours mis son grain de sel dans ses rôles passe plus que jamais aux manettes. Il produit ses propres films sur-mesure, de «Mission: Impossible», qu’il relance, à «Oblivion», en passant par «Jack Reacher». Que des blockbusters d’action, parmi lesquels beaucoup de franches réussites cinématographiques par ailleurs. L’acteur, qui n’a jamais obtenu le moindre prix malgré ses efforts dans les films d’auteur, embrasse la carrière la plus simple et devient le représentant numéro 1 du cinéma d’action hollywoodien testostéroné.

Parallèlement, bien malin qui pourrait dire ce qui se cache derrière cette boulimie de sauts (à l’élastique, en parachute, sans filet), de chutes (l’une d’entre elles lui tord la cheville en plein tournage mais il continue sa scène) et de bastons. En interview, Tom Cruise n’a rien d’autre à dire sinon qu’il aime ça, mettre des coups et en recevoir. Depuis son divorce avec Katie Holmes, en 2012, sa vie sentimentale n’a plus jamais fait la une des journaux. Et aucun journaliste ne se risque à parler de scientologie.

A bout de course

Ses cascades, effectuées lui-même, et qui s’embourbent dans une surenchère perpétuelle, servent à faire la publicité des films sur les réseaux sociaux avant la sortie. Le public se régale de vidéos making-of et du mythe selon lequel on reviendrait à un cinéma artisanal, sans effets spéciaux. Qu’importe qu’en réalité, «Top Gun Maverick» en comporte autant qu’un Marvel, le storytelling est bien rôdé: c’est bien Tom Cruise qui pilote son propre avion. Sortie en 2022, cette suite du succès de 1986 relance un cinéma américain mis à terre par l’épidémie de Covid-19. Ironie du sort, lors de la cérémonie des Oscars 2023, une vidéo devenue virale immortalise Steven Spielberg glisser à l’oreille de celui qui fut sa plus grande déception professionnelle qu’il a «sauvé les fesses d’Hollywood».

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L’acteur n’a qu’un ennemi, le temps, qui aurait dû rendre cette posture de super-héros sans pouvoir légèrement anachronique. Hollywood et les progrès de la chirurgie esthétique n’ont eu de cesse de le défier et force est de constater que cela a plutôt bien réussi à Tom Cruise. Dans le dernier volet de «Mission: Impossible», on le voit se battre et courir en caleçon, muscles surdéveloppés, comme un pied de nez à la soixantaine et ceux qui le disent terminé. Dans l’immense salle du Grand Théâtre Lumière de Cannes, mercredi puis de nouveau jeudi matin, des milliers de personnes ont vibré devant les prévisibles exploits d’une figure figée.

Peut-être certains se sont-ils demandé ce que compte faire Tom Cruise après. La saga Mission: Impossible désormais derrière lui, il se pourrait bien qu’il redevienne acteur. On devrait le voir l’an prochain dans un film du Mexicain Alejandro Gonzalez Iñarritu, réalisateur de «The Revenant». L’intrigue est la suivante: «l’homme le plus puissant du monde se lance dans une mission effrénée pour prouver qu’il est bien le sauveur de l’humanité.» Sans surprise, Tom Cruise a coproduit le film. Taillé sur mesure.

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