Monsieur Neumann, vous craignez une augmentation des attentats islamistes en Europe. Quels constats vous poussent à tirer la sonnette d'alarme?
Avec la guerre entre Israël et le Hamas, nous nous trouvons dans une situation très similaire à celle d'il y a dix ans. A l'époque, la guerre civile en Syrie avait entraîné une mobilisation djihadiste sans précédent. Avec les conséquences que nous connaissons.
Vous faites référence aux attentats terroristes de Bruxelles, Berlin, Paris ou encore Nice, pour ne citer que quelques exemples. Vous attendez-vous à de tels scénarios?
Oui, la situation est grave. L'Europe est menacée par une nouvelle vague de terrorisme, et cela pourrait même être pire que dans la décennie précédente.
Cette nouvelle guerre au Proche-Orient est pourtant difficilement comparable à la guerre en Syrie. Tirez-vous des parallèles entre les deux conflits?
Dans les deux guerres, les réseaux sociaux ont joué un rôle central. Pour Israël et la Palestine, Internet est actuellement inondé d'une grande quantité d'images dramatiques. Des bébés morts à Gaza, des familles désespérées en fuite... tout cela entraîne une accélération de la radicalisation dans les milieux islamistes. C'était la même chose pour la Syrie.
Dès 2014, des milliers de jeunes hommes occidentaux se sont rendus en Syrie et ont rejoint l'État islamique (EI). Doit-on craindre des mouvements de djihadistes similaires vers Gaza?
Je ne pense pas. C'est ici une différence entre les deux conflits. Le Hamas ne recrute pas de combattants à l'étranger. De plus, il est presque impossible de se rendre dans la bande de Gaza qui est bouclée. Cela n'est toutefois pas rassurant pour nous, ici en Europe.
Pourquoi?
Parce que les radicalisés vont chercher leurs cibles ici. Cela augmente encore le risque de terrorisme. Cela m'inquiète d'autant plus qu'en Syrie, il s'agissait d'une guerre civile très complexe entre musulmans. Cette fois-ci, les fronts sont beaucoup plus clairs. Pour les islamistes, il s'agit du conflit le plus central qui soit: les juifs contre les musulmans.
Quelles sont les principales cibles menacées en Europe?
Les cibles les plus visées sont celles qui sont perçues comme juives ou israéliennes: les synagogues, mais aussi les écoles, les jardins d'enfants, les magasins ou les cafés juifs.
Contrairement à l'Etat islamique ou à Al-Qaïda, le Hamas n'a jusqu'à présent jamais montré d'intérêt pour les attentats terroristes en dehors du Proche-Orient. Cela pourrait-il changer?
Non. Le Hamas se considère comme un mouvement de libération national-islamiste et n'a jamais commis d'attentat en dehors de la région au cours de son histoire. Mais cela ne signifie pas que les gens qui sont aujourd'hui radicalisés par ce conflit ne passent pas à l'acte de leur propre chef.
Ce qu'on appelle des loups solitaires...
A Duisbourg, un islamiste avait prévu de foncer avec un camion sur une manifestation pro-israélienne. Les enquêteurs ont réussi à l'arrêter de justesse. Au cours des dix dernières années, les grandes organisations terroristes ont procédé à une véritable apologie de ces combattants solitaires. Il y a 15 ans, les djihadistes considéraient encore le fait de passer à l'acte seul, sans réseau en arrière-plan, comme une option pour les perdants. Aujourd'hui, des groupes comme l'EI célèbrent ce mode opératoire.
Le plus grand danger vient donc actuellement d'auteurs isolés?
Dans l'immédiat, oui. Mais cela peut changer rapidement. Les grandes organisations terroristes sont en train de prendre le train en marche. Elles ont pris conscience de l'ampleur de l'émotion suscitée par les événements à Gaza et se regroupent. D'anciens réseaux sont activés, des islamistes nouvellement radicalisés les rejoignent.
La guerre entre Israël et le Hamas sonne donc comme un réveil?
Depuis l'attaque du Hamas contre Israël le 7 octobre, beaucoup de choses ont bougé. Jusqu'à cette date, le danger djihadiste avait en fait plutôt diminué. L'effondrement de l'EI a frustré de nombreux islamistes. Ils ont désormais trouvé un nouveau point d'appui. Ces deux dernières semaines, des appels à des attentats en Europe ont été lancés sur les canaux de l'État islamique, pour la première fois depuis longtemps.
Que doivent faire les autorités de sécurité des pays occidentaux face à un tel risque?
Trois choses. Premièrement, elles doivent faire de la lutte contre le terrorisme la priorité absolue. Deuxièmement, les institutions juives doivent être protégées. C'est déjà le cas depuis le 7 octobre, les mesures de sécurité ont été renforcées dans de nombreux pays. Et troisièmement, les autorités doivent systématiquement faire le tour des personnes dangereuses connues de longue date. Beaucoup d'entre elles n'ont pas été très actives ces derniers temps. Il s'agit maintenant de clarifier la situation: qu'est-ce que le 7 octobre a déclenché chez eux? Les services de sécurité doivent se concentrer sur les nouveaux réseaux qui se forment.
Y a-t-il des signes qui montrent que les réseaux dont vous parlez se forment déjà?
Cette semaine, j'ai eu un aperçu d'un cas en Autriche. Un dangereux islamiste bien connu, dans la trentaine, s'est connecté en ligne avec un jeune de 16 ans qui, depuis le 7 octobre, a le sentiment de devoir agir. Si des jeunes nouvellement radicalisés sont en prise avec d'anciens réseaux, cela devient dangereux. Il faut absolument empêcher cela.
La tâche semble immense... les autorités peuvent-elles être à la hauteur?
Je suis confiant. Elles sont nettement mieux placées qu'il y a dix ans. Nous avons beaucoup appris de la vague de terrorisme qui a suivi 2015.
Même en Suisse? Alors que nous n'avons jamais été touchés par des attentats majeurs?
La Suisse – qui est d'ailleurs aussi menacée que l'Allemagne ou l'Autriche – a aussi connu la crainte de l'EI. L'Office fédéral de la police emploie désormais de nombreuses personnes compétentes qui se sont spécialisées dans l'islamisme. Ce n'était pas le cas il y a dix ans. Cela m'inspire confiance.