La Suisse est-elle aussi menacée?
La crise immobilière américaine touche aussi l'Europe

Le marché de l'immobilier commercial américain est une bombe à retardement, et représente un danger pour l'économie mondiale. En Europe, de plus en plus de banques doivent s'attendre à des dépréciations importantes. Et la Suisse aussi est concernée.
Publié: 18.02.2024 à 12:51 heures
Si des établissements financiers du monde entier devaient connaître des difficultés, l'onde de choc se ferait sentir jusqu'en Suisse. (Image symbolique)
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Martin Schmidt

La crise bancaire évitée de justesse l'année dernière était-elle un mauvais présage? On se souvient de mars 2023: c'est la panique bancaire. Deux banques américaines ont fait faillite, la Silicon Valley Bank et la Signature Bank. Et on assistait au sauvetage de la First Republic Bank et bien sûr, à celui de Credit Suisse.

De nouvelles secousses pourraient entraîner d'autres établissements financiers dans la tourmente, selon plusieurs experts. Comme avec la crise des subprimes en 2007, c'est des États-Unis que le danger nous vient. À l'époque, des crédits risqués sur le marché immobilier américain avaient déclenché une crise économique mondiale. Maintenant, le danger provient du marché américain de l'immobilier de bureau, comme le rapporte la «Schweiz am Wochenende».

Dégringolade du cours des actions

L'état financier de certaines banques a déjà fait réagir les autorités publiques. En effet, certaines banques, dont la Deutsche Pfandbriefbank, ont accordé des crédits importants pour l'immobilier de bureau aux États-Unis. Au quatrième trimestre 2023, la banque est dans les chiffres rouges à cause de ça. Depuis plusieurs semaines, de plus en plus d'investisseurs misent sur une baisse du cours de l'action de l'établissement financier. Le cours a déjà chuté de pas moins de 50%.

L'autorité de surveillance financière allemande, Bafin, s'est exprimée sur le sujet: «Le Bafin suit de près les évolutions actuelles du marché et en tient compte dans le cadre de sa surveillance courante», a expliqué un porte-parole du Bafin au «Handelsblatt» en début de semaine.

Plusieurs institutions en difficulté selon le Bafin

D'autres établissements financiers allemands ont également accordé des crédits importants: ce n'est pas moins de 17 milliards d'euros de crédit que la Deutsche Bank a accordé pour l'immobilier commercial américain – 41% de ces milliards sont pour l'immobilier de bureau. Des chiffres de l'agence américaine Bloomberg montrent que plus 180 milliards d'euros sont dans les comptes de banques allemandes comme LBBW, NordLB, BayernLB et Helaba.

Selon le directeur de S&P Global Ratings Benjamin Heinrich, il n'y a toutefois pas lieu de paniquer. «L'immobilier commercial est un facteur de risque pour certaines banques allemandes. Mais principalement pour la rentabilité, et moins pour le capital. Cet immobilier commercial ne constitue donc pas un risque systémique», analyse-t-il pour le «Handelsblatt».

Mais pour la Bafin, la situation est jugée plus précaire. «Des modèles commerciaux fortement spécialisés ou une mauvaise sélection des objets par les banques pourraient même mettre certains établissements en difficulté», prévient-elle. Les établissements financiers allemands doivent également s'attendre à des dépréciations plus importantes sur le marché national de l'immobilier de bureau. Leur valeur s'est effondrée de 12,1% l'année dernière.

Un cocktail explosif

Aux États-Unis, le problème est encore plus grave: au début de l'année 2022, les immeubles de bureaux étaient évalués presque trois fois plus qu'il y a deux décennies. Puis ce sont les taux d'intérêt directeurs qui ont augmenté de cinq points en six mois et ont sonné la fin de l'or en béton. Les investisseurs se sont donc tournés vers d'autres placements.

La pandémie de Covid-19 a encore empiré la situation. Depuis, de nombreux employés, qui travaillaient dans les bureaux, font du télétravail. Les taux d'inoccupation sur le marché de l'immobilier de bureau ont grimpé en flèche et atteignent encore 20% à 30% dans certaines villes américaines. Les prix des immeubles de bureaux ont chuté, tout comme le chiffre d'affaires des surfaces.

En 2024, le secteur de l'immobilier pourrait se retrouver dans une situation particulièrement précaire. De nombreux groupes devront renouveler des crédits qui arrivent à échéance à des taux d'intérêt plus de deux fois supérieurs. Selon une étude du National Bureau of Economic Research, il s'agit d'un volume de 544 milliards de dollars. Les banques feront probablement la sourde oreille dans de nombreux cas. Pour 45% d'entre elles, les crédits dépassent la valeur des biens immobiliers.

2400 banques américaines seraient touchées

À cause de la crise de l'immobilier de bureau, 10% à 20% des crédits pourraient être en retard de paiement dans les banques. En plus, les auteurs de l'étude prévoient des défauts de paiement chiffrés entre 80 et 160 milliards de dollars. Les banques pourraient être contraintes de vendre une partie de leurs obligations à bas prix. Les pertes seraient alors très concrètes. En cas de vente, la moitié des banques américaines, soit environ 2400 banques, risquent de faire faillite.

Ce danger a déjà des répercussions sur beaucoup de banques qui font affaire avec l'immobilier de bureau américain. L'action de la banque américaine NYCB s'est déjà effondré massivement. Selon «Schweiz am Wochenende», la banque japonaise Aozora a annoncé une perte pour la première fois depuis 15 ans. En Scandinavie également, de nombreuses banques sont impliquées dans le commerce de l'immobilier commercial américain.

Intervention des banques centrales

Pour l'instant, on n'entend pas parler des établissements financiers suisses à ce sujet. Mais si des établissements financiers du monde entier devaient connaître des difficultés, l'onde de choc se ferait sentir jusqu'en Suisse. En effet, les banques régionales et les établissements des États-Unis et d'autres pays se fournissent réciproquement des liquidités. Mais celles-ci ne seraient pas remboursées en cas d'insolvabilité – ce qui pourrait entraîner de grosses pertes pour les banques européennes et suisses.

Les banques centrales sont donc mises au défi. Si elles abaissent leurs taux directeurs à temps, elles pourraient désamorcer cette situation délicate. Dans le cas d'une éventuelle panique bancaire, elles devraient de nouveau prendre des mesures rapidement afin de rétablir la confiance des clients.

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