La revanche d’une blonde
Pamela Anderson, la playmate devenue icône féministe

Sex-symbol absolu dans les années 1990, l’actrice a vu sa carrière torpillée par le sexisme de l’époque. Aujourd’hui à l’affiche d’un film et invitée des Rencontres 7e art de Lausanne, l’ancienne playmate est enfin considérée, jusqu’à devenir un symbole féministe.
Publié: 08.03.2025 à 06:10 heures
Pamela Anderson est devenue une figure féministe.
Photo: Getty Images
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Margaux BaralonJournaliste Blick

«Se sentir regardée. Se sentir belle. C’est puissant. Et je ne peux pas imaginer ma vie sans ça.» Ces mots appartiennent à Shelly, danseuse de cabaret au crépuscule de sa carrière, et personnage principal du film «The Last Showgirl», qui sortira sur les écrans romands le 26 mars. Mais ils auraient tout aussi bien pu être prononcés par l’actrice qui enfile son costume. Toute de strass vêtue, alourdie d’un maquillage de scène, Pamela Anderson endosse ce rôle avec un dévouement impressionnant. Il faut dire qu’après Demi Moore dans «The Substance» ou Nicole Kidman dans «Babygirl», voilà encore une actrice de plus de 50 ans sublimée dans un long-métrage taillé sur-mesure.

Comme Shelly, Pamela Anderson a trouvé puissant de se sentir belle et admirée. Comme la danseuse, celle qui fut mannequin avant d’être actrice n’aurait jamais imaginé sa vie sans cela. Pourtant, a-t-elle réellement été regardée toutes ces années? Derrière sa plastique qui en a fait le sex-symbol absolu des années 1990, derrière sa vie amoureuse chahutée faite de divorces, de violences et d’articles dans les tabloïds, a-t-on pris le temps de voir qui était vraiment cette femme? À 57 ans, Pamela Anderson a réussi un véritable tour de force: inverser le récit de sa propre histoire. Et passer de la playmate hâtivement jugée sans cervelle à l’actrice reconnue, dont le parcours chaotique ne fait qu’illustrer non ses propres manquements, mais ceux d’une société profondément sexiste.

En haut de l’affiche d’une pub de bière

Pour l’État civil canadien, Pamela Anderson est née le 1er juillet 1967 en Colombie-Britannique. Pour la légende, elle éclot vingt-deux ans plus tard, en assistant à un match de football canadien au BC Stadium de Vancouver. Un soir d’été, les Lions locaux affrontent Edmonton et la jeune femme porte en tribune un crop-top offert par Labatt, une marque de bière.

Le cameraman la remarque, la filme, et la voilà projetée sur les grands écrans du stade. La «beer girl» est immédiatement rappelée par Labatt pour faire la publicité de ses produits. Quelques campagnes et 5’000 dollars plus tard, c’est «Playboy» qui la contacte. Le célèbre magazine de charme fondé par Hugh Hefner cherche son égérie du mois d’octobre 1989. Si elle accepte, ce sera elle.

Dès le départ, donc, Pamela Anderson est moins une personne qu’une image qui imprègne durablement les rétines. Cette fille qu’on ne fait que regarder sans comprendre. Qui imagine que cette superbe blonde, qui a investi son premier cachet dans de la chirurgie esthétique pour prendre une taille de bonnet de soutien-gorge, et prend l’avion pour la première fois de sa vie lorsqu’elle débarque à Los Angeles à l’automne 1989, est en réalité déjà une femme abîmée par les violences? De ses six à dix ans, racontera-t-elle bien plus tard, une baby-sitter abuse d’elle. À 12 ans, elle subit son premier viol. À 14 ans, un second, en réunion cette fois.

La playmate «peint sa propre image»

Timide, mal à l’aise avec ce corps maltraité tant de fois, Pamela Anderson se redécouvre devant l’objectif des photographes de «Playboy». «C’était la première fois que je me sentais libérée», raconte-t-elle dans le documentaire «Pamela, a love story», sorti en 2023 et disponible sur Netflix. «J’avais l’impression que c’était une porte d’entrée vers un autre monde.» En veste de costume d’écolière ouverte et en cravate, un chapeau de paille masquant son entrejambe, la Canadienne fait la une du magazine. Hugh Hefner est ravi et lui propose rapidement de devenir playmate.

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Je suis coupable d’avoir peint ma propre image
Pamela Anderson dans son autobiographie «Love, Pamela»
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Enthousiaste à l’idée de gagner sa vie et de s’installer durablement à Los Angeles, elle accepte. Sans se rendre compte, analyse-t-elle aujourd’hui, que ce qu’elle vit comme une libération est interprété différemment par le public. Qu’est-ce qu’une femme qui se déshabille gaiement dans les magazines, sinon un corps à disposition? «Je suis coupable d’avoir peint ma propre image», écrit Pamela Anderson en 2023 dans son autobiographie, «Love, Pamela». «Personne ne connaissait le chemin que j’avais parcouru.» Dans ce livre, l’actrice livre le désir qui l’a animée toute sa vie: qu’on la regarde, enfin, correctement. «J’ai besoin que quelqu’un me voie à travers le brouillard.»

La déflagration en maillot de bain rouge

Au début des années 1990, la jeune femme devient de plus en plus visible. Et paradoxalement, le brouillard ne cesse de s’épaissir. Les unes de «Playboy» s’enchaînent, les interviews aussi. Toujours, sur les plateaux de télévision, on ne lui parle que de ce corps aussi libérateur qu’encombrant désormais. «J’ai toujours dit que mes seins avaient fait carrière, pas moi», plaisante encore l’ex-playmate dans le documentaire Netflix. Pamela Anderson a l’humour des femmes auxquelles il ne reste plus que ça pour garder la face au sein d’un système qui les dénigre.

«
J’ai toujours dit que mes seins avaient fait carrière, pas moi
Pamela Anderson
»

Pamela Anderson rêve de cinéma, c’est la télévision qui lui tend les bras. Au départ pourtant, la jeune femme ignore les appels de Susan Glicksman et Fern Orenstein. Toutes deux sont les directrices de casting d’«Alerte à Malibu» et n’ont en ligne de mire que cette blonde plantureuse qui fait tourner toutes les têtes. Onze fois, Pamela Anderson plante des auditions qui ont lieu trop loin de chez elle. Lorsqu’elle se décide enfin à venir, c’est l’évidence: le maillot de bain rouge une pièce de CJ et la course au ralentis sur la plage lui iront à merveille.

Dès le début de sa diffusion en 1992, la série fait l’effet d’une bombe. Qu’importe son scénario inepte et ses ralentis interminables qui permettent d’allonger la durée des scènes sans coûter un centime de plus. Les aventures de ces sauveteurs en mer deviennent le symbole du mode de vie californien, Pamela Anderson celui de la féminité. Ses cheveux blonds relevés et ses sourcils fins imposent de nouveaux canons de beauté. Cette notoriété soudaine, renforcée par le fait qu’elle s’affiche en couple avec son partenaire à l’écran David Charvet, déchaîne les paparazzi. Et ne fait qu’accentuer l’image d’une femme offerte aux yeux de tous.

«Une déesse construite»

En 1995 pourtant, tout est encore possible. Pamela Anderson a enfin décroché ce qu’elle espère être le coup d’accélérateur de sa carrière: le rôle principal de «Barb Wire», un film d’action futuriste qui doit être pour elle ce que «Barbarella» fut pour Jane Fonda, c’est-à-dire le tremplin vers du cinéma sérieux. Malgré un tournage des plus chaotiques, la comédienne est investie dans toutes ses cascades et se donne à fond. Au point de tomber de fatigue. Enceinte, elle fait une fausse couche. Les paparazzi la suivent jusqu’à l’hôpital, la harcèlent à la sortie et, lorsqu’elle s’énerve, la presse l’accuse d’avoir provoqué la perte de son bébé en prenant de la drogue.

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Une créature aux cheveux synthétiques, à l’attitude synthétique, synthétique de partout… Un cheesecake sorti directement d’un laboratoire
Critique du film «Barb Wire» par «Entertainment Weekly»
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La sortie de «Barb Wire» l’année suivante ne se déroule absolument pas comme prévu. Le film est un fiasco au box-office et la critique s’acharne. «Maintenant que nous la voyons sur grand écran, il est plus évident que jamais que Pamela Anderson est une déesse construite», écrit ainsi «Entertainment Weekly» à l’époque. «Une créature aux cheveux synthétiques, à l’attitude synthétique, synthétique de partout… Un cheesecake sorti directement d’un laboratoire.»

L’affaire de la sex-tape

Ce n’est pourtant pas cette mauvaise performance dans un film plus mauvais encore qui enterre la carrière de Pamela Anderson. Tout se joue dans la boîte aux lettres de la villa qu’elle partage avec Tommy Lee. Avec le batteur du groupe de rock Mötley Crüe, rencontré à l’hiver 1995 et épousé en bikini quatre jours plus tard sur une plage mexicaine, l’actrice a tourné des vidéos intimes. Celles-ci ont été volées dans leur coffre-fort par un artisan qui effectuait des travaux chez eux.

Pamela Anderson et son époux mettront du temps à s’en apercevoir et près d’un an à recevoir la VHS chez eux. Rapidement, les images circulent dans le milieu de la pornographie. Bob Guccione, le propriétaire du magazine de charme «Penthouse», propose cinq millions de dollars pour acquérir les droits de la vidéo au couple, qui refuse.

Photo: Shutterstock

À ce moment-là, les époux pensent encore pouvoir tout récupérer. «Personne n’avait vécu ça. On n’avait pas de manuel d’instructions pour gérer la situation», note, des années plus tard, Pamela Anderson dans le documentaire diffusé sur Netflix. Le vol de la sextape percute de plein fouet les évolutions technologiques. Très vite, le film se vend sur le web, se diffuse massivement et échappe à tout contrôle.

«
C’était différent pour lui et pour moi
Pamela Anderson
»

Pamela Anderson intente bien un procès contre IEG, l’entreprise derrière le site qui commercialise la vidéo. Elle l’abandonne en cours de route, épuisée par les questions du tribunal sur sa vie sexuelle. Dans la rue, les paparazzi la poursuivent lorsqu’elle sort dîner avec son mari et, lorsqu’elle élève la voix, l’accusent d’avoir abandonné son enfant.

«C’était différent pour lui et pour moi», analyse aujourd’hui Pamela Anderson avec beaucoup d’acuité. «Lui, c’était une rockstar, tout cela faisait partie de son image un peu folle. Moi, j’ai su à cet instant que ma carrière était terminée.» Dans la fureur sexiste des années 1990, aucune femme ne se remet de l’étalage de son intimité partout. «Je suis devenue une caricature. L’image de moi, quelle qu’elle soit, s’est dégradée.» Le brouillard est désormais si épais que Pamela Anderson s’étouffe dedans. Elle arrête «Alerte à Malibu» dans la foulée et reste cantonnée pour de bon à la rubrique people, régulièrement alimentée par ses unions et ses ruptures.

Accro aux bad boys

De fait, Pamela Anderson ressemble à son personnage de CJ dans la série californienne: elle s’amourache un jour sur deux, de préférence d’un homme violent, toxicomane ou les deux. Au tournant des années 2000, le cliché de l’amoureux transi qui «dérape» est solidement ancré dans la culture. Les femmes tombent pour des bad boys, puis sous leurs coups, avant de les pardonner, et s’il ne doit y avoir là-dedans qu’une personne à blâmer, ce sont elles, qui font constamment de mauvais choix.

Aujourd’hui d’ailleurs, l’actrice peine toujours à poser les mots sur son vécu. De sa rencontre avec Tommy Lee, elle ne retient que le coup de foudre. Sa jalousie maladive, ses coups de sang, ses irruptions furieuses sur le tournage d’«Alerte à Malibu» parce qu’il refuse qu’elle tourne des scènes de baiser, sont amplement minimisées par la principale intéressée dans le documentaire «Pamela, a love story». Le plus grand regret de son existence, après un divorce fracassant sur fonds de violences conjugales, est de n’avoir pas réussi à rester avec le père de ses deux enfants, explique encore celle qui se dit très croyante. Elle a en tête le modèle de ses parents, qui n’ont jamais divorcé… alors que son père, alcoolique, frappe sa mère régulièrement.

Retrouver sa voix…

Mais Pamela Anderson n’est pas une victime consentante du patriarcat. D’abord parce que la voix qu’elle n’a pu trouver dans l’art, elle la réinvestit dans la lutte environnementale – il est d’ailleurs intéressant de constater que c’est exactement le même chemin que celui pris par la seule autre actrice à avoir été un sex-symbol d’une envergure similaire, Brigitte Bardot. Engagement contre la fourrure, la chasse aux phoques, la corrida, les expérimentations sur les bêtes…depuis 1997, l’actrice se fait le relais de la cause animale.

Ensuite, et surtout, tout a changé en 2019. À l’époque, voilà deux ans que la France se gausse d’une relation hautement improbable: Pamela Anderson vit dans le sud du pays avec Adil Rami, footballeur à l’Olympique de Marseille, qui a vingt ans de moins qu’elle. Lorsqu’ils se séparent, elle révèle avoir subi des violences physiques et psychologiques. #MeToo est passé par là et son témoignage est pris au sérieux. Tout d’un coup, à la faveur d’un long post sur son site Internet, le brouillard semble s’étioler quelque peu. Derrière la bimbo –et probablement parce qu’elle n’a plus l’âge d’en être une– le monde semble découvrir cette quinquagénaire trompée et battue, qui mérite autre chose que les railleries constantes. 

…et être regardée, enfin

En 2022, la sortie de la mini-série «Pam & Tommy», qui raconte l’histoire de la fameuse sex-tape en adoptant un point de vue résolument féministe, participe aussi de cette entreprise de réhabilitation. Pamela Anderson, elle, refuse de la voir et d’en parler. Elle n’a pas été consultée pour cette fiction, qui ravive chez elle un douloureux traumatisme. À la place, elle se lance sur la scène de Broadway, dans une nouvelle version de «Chicago». La critique américaine est sous le charme de son autodérision et de son implication au travail.

Photo: keystone-sda.ch

Lorsque le scénario de «The Last Showgirl» lui parvient, après avoir été jeté par son agent sans même le lui proposer – il a été viré depuis – Pamela Anderson saisit immédiatement l’opportunité de raconter une histoire similaire à la sienne. Celle d’une star objet de fascination mais incomprise, qui doit se réinventer avec l’âge. Dedans, elle est d’une fragilité aussi folle qu’émouvante, ce qui lui a valu une nomination aux Golden Globes de la meilleure actrice. «Entertainment Weekly», qui traitait la comédienne de cheesecake en 1996, s’est cette fois-ci ému qu’elle ne figure pas dans la liste des nommées aux Oscars.

«Je suis devenue un personnage de la culture pop, ce qui est à la fois une bénédiction et une malédiction car il m’a été très difficile de convaincre que je pouvais jouer plusieurs rôles et que j’étais avant tout un être humain», confie aujourd’hui Pamela Anderson à «Paris Match». Dans quelques jours, elle sera aux Rencontres 7e art de Lausanne pour présenter son film plein de nostalgie et d’amertume. Comme à son habitude depuis 2023, la quinquagénaire ne portera pas de maquillage. Ridée, cernée, sans fards, comme s’il fallait passer par cette forme de dénuement-là pour qu’enfin, l’être humain apparaisse derrière le brouillard. 

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