«C'était un moment effrayant», assure Suzanne Ford, la directrice exécutive de la Pride de San Francisco, l'un des événements les plus importants du pays dans une ville considérée comme la capitale LGBT+ des Etats-Unis. «En l'espace d'une semaine et demie, plusieurs entreprises nous ont annoncé qu'elles ne nous parraineraient plus». Au total, un trou de plus de 300'000 dollars de budget à combler et des partenariats de longue date à oublier. «Cela a été démoralisant», déplore-t-elle. Un des partenaires de la «Pride», le brasseur Anheuser-Busch, s'est ainsi mis aux abonnés absents, dit-elle. L'entreprise n'a pas donné suite aux sollicitations de l'AFP.
«Cette année, le manque de sponsors mérite d'être signalé», explique Eve Keller, co-présidente d'USA Prides, association qui représente entre 150 et 200 organisateurs de marches dans le pays. A travers les Etats-Unis, plusieurs entreprises ont décidé de cesser de soutenir financièrement les événements organisés principalement pendant le mois de juin, mois des fiertés LGBT+. Les organisations sont cependant réticentes à les nommer, de peur de couper les ponts. «Certains nous parlent encore et nous espérons qu'elles reviennent», déclare Suzanne Ford.
Budgets restreints
Dans les villes où des événements ont déjà eu lieu, certains ont dû procéder «avec des budgets plus serrés». Ils «n'avaient pas de têtes d'affiche ou les plus grands groupes de musique», ajoute Eve Keller. Bien que pour elle, le principal cette année était d'assurer «la sécurité» des participants.
A San Francisco, les entreprises ont toutes justifié leur départ par des «raisons budgétaires», confie Suzanne Ford. «Mais vous pouvez lire entre les lignes», ajoute-t-elle. «Personne ne voulait s'exprimer publiquement sur quoi que ce soit, et que cela leur porte préjudice auprès de l'administration (Trump) ou des personnes qui la soutiennent».
Trump en croisade
Depuis son retour à la Maison Blanche en janvier, le milliardaire républicain mène une croisade contre les programmes de promotion de la diversité, de l'équité et de l'inclusion (DEI) et démantèle en particulier les politiques qui favorisent les minorités raciales ou les personnes transgenres dans divers secteurs de la société américaine. Les entreprises qui les mettent en oeuvre sont menacées de poursuites: plusieurs grandes marques - dont Meta, Target et McDonalds - ont soit supprimé, soit considérablement réduit leurs programmes de DEI.
Cette offensive survient alors même que Washington, la capitale, accueille la WorldPride, événement mondial pour les droits des personnes LGBT+, avec comme point d'orgue un grand défilé ce week-end. June Crenshaw, une des organisatrices de l'événement, évalue avoir perdu «environ 20 à 25%» de ses partenaires. «Nous avons dû trouver d'autres moyens de financer la programmation, en nous appuyant notamment sur la communauté et les dons individuels», précise-t-elle. L'organisation a également décidé de se détourner d'un partenariat «fort et de longue date» avec le Kennedy Center à Washington après que Donald Trump s'est emparé des commandes de cette institution culturelle de renom.
«Le Pinkwashing n'est plus à la mode»
Selon Bob Witeck, consultant en communication sur les sujets LGBT+ pour des marques, les entreprises craignent que participer à ces événements ne les mettent «inutilement en danger» en cette période de fortes divisions politiques sur des sujets de société. Mais «beaucoup d'entreprises sont encore engagées» auprès des «Prides», assure-t-il. Elles le font «de manières différentes. Beaucoup d'entre elles le font par le biais d'organisations à but non lucratif qu'elles soutiennent, des causes qu'elles défendent».
Suzanne Ford, à San Francisco, constate que le «pinkwashing», pratique qui consiste à promouvoir les droits LGBT+ purement pour des raisons d'image, n'est plus à la mode. Au contraire, des entreprises la contactent pour «soutenir la communauté, sans vouloir s'en attribuer le mérite». Mais elles «veulent faire ce qu'il faut».