La scène semblait presque irréelle: alors que Donald Trump accueillait le président sud-africain Cyril Ramaphosa à la Maison Blanche, l’entretien a rapidement dégénéré, à l’image de sa rencontre précédente avec Volodymyr Zelensky. Pendant près d'une heure, l’ancien président américain a accusé l’Afrique du Sud de mener une politique d’expropriation ciblée contre les fermiers blancs, allant jusqu’à évoquer un «génocide». Mais que valent vraiment ces accusations? Blick fait le point.
Criminalité, oui. Génocide, non
Il est indéniable que l’Afrique du Sud est confrontée à des problèmes de violence endémiques. Le pays affiche l’un des taux d’homicide les plus élevés au monde: entre avril 2023 et mars 2024, près de 27'600 meurtres ont été recensés. Pour le seul dernier trimestre de 2024, environ 7000 personnes ont été tuées. Mais affirmer, comme le fait Trump, que les fermiers blancs sont systématiquement visés dans le cadre d’un «génocide» est factuellement faux et relève de la désinformation.
Sur les homicides enregistrés durant cette période, seuls douze ont eu lieu dans des exploitations agricoles. Et les victimes étaient de diverses origines: ouvriers agricoles, habitants et agriculteurs, y compris noirs. Rien ne permet donc de conclure à une campagne ciblée contre les fermiers blancs. Ce constat est par ailleurs partagé par la justice sud-africaine. Une juge a récemment qualifié les accusations de génocide «manifestement inventées».
Une réforme agraire controversée, mais légale
Alors pourquoi Trump emploie-t-il des mots aussi chargés? La réponse est d’ordre politique. Le mythe du «génocide blanc» circule depuis des années dans certains cercles de l’extrême droite et sur les plateaux de certains médias conservateurs américains. Trump sait parfaitement à qui il s’adresse: une frange de l’électorat américain blanc, inquiète face à la diversité, aux revendications égalitaires et à l'immigration. Il ne cherche pas à informer, mais à frapper les esprits par des slogans chocs en jouant avec leurs peurs, non pas avec les faits.
Le cœur de ses critiques s'appuie sur la nouvelle loi sud-africaine sur l’expropriation, adoptée en janvier. Celle-ci autorise, dans des cas exceptionnels, des expropriations sans compensation, dans un but d’intérêt public. L’objectif est de corriger les déséquilibres fonciers hérités de l’apartheid: encore aujourd’hui, les fermiers blancs, qui représentent moins de 10% de la population, possèdent la majorité des terres agricoles. La loi privilégie les négociations puis applique l'expropriation uniquement en cas d'échec dans les discussions. Il ne s’agit en aucun cas de confiscations arbitraires.
Ramaphosa calme le jeu avec fermeté
Face à cette salve d’accusations, Cyril Ramaphosa ne s'est pas laissé déstabiliser. Il s’est contenté de répéter calmement: «Permettez-moi de corriger cela.» Plutôt que l’affrontement, il a opté pour l’apaisement. Une stratégie habile qu'il avait anticipé en arrivant dans le Bureau ovale. Sa délégation comprenait trois Sud-Africains blancs, dont son ministre de l’Agriculture, qui ont tous réfuté les propos de Trump de manière objective, envoyant ainsi un signal fort.
Jeudi, les deux chefs d'Etat ont même fini par s'accorder sur le besoin de renforcer le commerce bilatéral et les investissements, a indiqué la présidence sud-africaine dans un communiqué. Cyril Ramaphose «s'est félicité de l'ouverture prochaine des négociations commerciales entre l'Afrique du Sud et les Etats-Unis par l'intermédiaire de leurs équipes respectives de négociateurs», a précisé le texte.
Les Etats-Unis n'ont rien à gagner
Il n'empêche malgré le sang-froid de Cyril Ramaphosa et ce rapprochement de façade, les relations entre les deux pays en ont pris un coup. Washington a gelé certaines aides financières, et Pretoria parle désormais ouvertement d’une «campagne de désinformation». La confiance est sérieusement entamée.
Cette tension diplomatique ne nuit pas qu’à l’Afrique du Sud, elle affaiblit aussi les Etats-Unis sur la scène internationale. En marginalisant Pretoria, Trump pousse le pays un peu plus dans les bras de la Chine. Pékin est déjà le premier partenaire commercial de l’Afrique du Sud, avec plus de 34 milliards de dollars d’échanges en 2023.
La Chine investit massivement dans les infrastructures et propose des financements attractifs. De son côté, l’Afrique du Sud apprécie ce partenaire fiable qui ne donne pas de leçons. La politique de confrontation adoptée par Trump pourrait ainsi se traduire par un recul de l’influence géopolitique américaine... un vide que la Chine ne manquera pas de combler.