Une «éco-ville», un vaste complexe minier ou encore d'ambitieux projets d'autonomie alimentaire et de production de carburant: tous ces programmes pensés pour doper la croissance indonésienne contribuent, selon des ONG, à la déforestation et à la dépossession des terres. Ces projets ont été accélérés par une campagne de déréglementation qui a débuté en 2020.
Cette initiative a été présentée par l'ancien président Joko Widodo (2014-2024) comme un moyen de stimuler l'investissement et créer des emplois dans la première économie d'Asie du Sud-Est. Le paquet législatif a dû être amendé trois ans plus tard, certaines parties ayant été jugées inconstitutionnelles. Le texte est aujourd'hui contesté par des écologistes et des militants des droits humains qui ont déposé deux recours devant la Cour constitutionnelle.
Un label controversé
La loi est «utilisée comme un prétexte pour légitimer de grands projets industriels», dénonce Salsabila Khairunisa, chercheuse à l'ONG Pantau Gambut, qui fait partie des plaignants et pour qui «le bien-être des populations» n'est pas pris en compte.
En cause, la loi de 2023 sur la «création d'emplois» et la consécration du label controversé de «projet stratégique national» (PSN). Selon plusieurs ONG, le texte dilue les protections environnementales en remplaçant une évaluation d'impact, auparavant requise, par une simple «lettre d'engagement». Mais aussi en limitant la participation aux projets aux parties «directement touchées», excluant notamment les ONG.
«Dans la pratique, les communautés affectées n'ont pas toujours les connaissances, le courage ou l'accès nécessaires pour soulever des objections», relèvent des chercheurs de l'Université d'Etat indonésienne de Semarang dans une analyse. Selon les opposants, le label PSN a été utilisé pour des projets au bénéfice national minimal, comme des zones industrielles gérées par des sociétés étrangères, et permet de s'affranchir des protections environnementales.
«La plus grande déforestation au monde»
Parmi les exemples les plus marquants figure une campagne menée dans la province de Merauke, en Papouasie, qualifiée par certains écologistes de «plus grand projet de déforestation au monde». L'ampleur réelle du programme reste inconnue mais il vise au minimum à planter plusieurs millions d'hectares de riz et de canne à sucre destinés à l'alimentation et aux biocarburants.
Le projet PSN de Merauke «a détruit des forêts naturelles, des hameaux et des zones gérées par des communautés indigènes» accuse Roni Saputra, responsable de l'ONG Auriga Nusantara, autre plaignant. L'ex-colonie néerlandaise a déclaré son indépendance en 1961, mais l'Indonésie voisine en a pris le contrôle deux ans plus tard. En 1969, un millier de Papouasiens ont voté en faveur de l'intégration à l'Indonésie, lors d'un scrutin reconnu par les Nations unies.
Ce vote est régulièrement critiqué par les indépendantistes mais Jakarta fait valoir que sa souveraineté sur la Papouasie a été établie par l'ONU. Sur un territoire où les incidents provoqués par des rebelles séparatistes ne sont pas rares, l'armée a été largement mobilisée pour que le projet PSN soit mis en oeuvre.
Ainsi, dans un seul village, «plus de 2000 soldats ont été déployés, soit plus que le nombre d'habitants», assure Frederikus Stanislaus Awi de l'Institut d'aide juridique de Merauke. Ailleurs dans l'archipel, plusieurs milliers d'habitants de Rempang, dans la province des îles Riau, risquent d'être expulsés pour le développement d'un «éco-village» fabriquant du verre et des panneaux solaires financés par des investissements chinois.
Intimidations et violences
Contacté par l'AFP, le ministère indonésien de Coordination des Affaires économiques, qui supervise les PSN, n'a pas commenté dans l'immédiat. La Commission nationale des droits de l'homme, émanation du gouvernement, a elle-même fait état d'actes d'intimidation, de violences, d'indemnisations injustes et de dégâts environnementaux.
Le besoin de croissance économique de l'Indonésie est clair, juge Siwage Dharma Negara, économiste à l'ISEAS-Yusof Ishak Institute, mais il existe plus d'un chemin pour y parvenir. Les PSN «ont été utilisés comme un outil brutal pour soutenir n'importe quel projet d'infrastructure», juge-t-il, en mettant l'accent sur la vitesse et l'échelle, plutôt que sur l'impact.
«Nous devons penser aux implications à long terme», a-t-il ajouté. «Pas seulement à l'impact économique positif, mais aussi aux conséquences négatives pour l'environnement, les communautés et l'écosystème.»