«Impossible de dormir!»
Les Espagnols sont trop bruyants... et ils n'en peuvent plus

En Espagne, la tolérance au bruit s'effrite face à des niveaux sonores jugés insupportables. Les habitants des centres-villes sont particulièrement affectés par les conversations bruyantes et les festivités nocturnes, suscitant un débat sur le droit au repos.
Publié: 11.07.2025 à 08:23 heures
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Dans la rue comme dans les bars, le niveau de décibels est souvent élevé dans les villes espagnoles.
Photo: keystone-sda.ch
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AFP Agence France-Presse

«La seule chose qui nous différencie des autres pays, c'est que nous sommes plus bruyants», écrivait récemment l'auteur espagnol Ignacio Peyró. Pourtant, la tolérance s'effrite en Espagne, où nombre d'habitants se disent à bout face à un niveau sonore jugé insupportable.

Eclats de voix et échanges enflammés, parfois même accompagnés de musique, jusqu'à des heures avancées: dans la rue comme dans les bars, le niveau de décibels est souvent élevé dans les villes espagnoles, où les touristes étrangers en viennent à confondre le vacarme des discussions avec des disputes.

En été, cette tendance s'accentue, les températures élevées poussant les habitants à s'attarder sur les terrasses de cafés, tandis que la saison des fêtes bat son plein, depuis la Saint-Jean jusqu'à la San Fermin, avec leurs cortèges de haut-parleurs, de manèges criards et de feux d'artifice. «Nous avons autant de mots pour parler de la fête (...) que les Inuits en ont pour décrire la neige», insiste Ignacio Peyró dans sa chronique publiée dans le quotidien El País.

Cauchemar pour les habitants

Une aubaine pour les noctambules, mais un cauchemar pour les habitants, notamment dans les quartiers de centre-ville, comme Chueca et Malasaña à Madrid ou El Born et Gràcia à Barcelone, où il est difficile de dormir avec les fenêtres ouvertes, alors que certains logements anciens n'ont pas de climatisation.

«Si vous avez le sommeil léger, il est impossible de dormir», confie à l'AFP Toni Fernández, un coiffeur de 58 ans qui vit depuis quinze ans en face d'une terrasse de bar dans le quartier de Chueca, et rêve de déménager dès qu'il le pourra - c'est-à-dire «bientôt», précise-t-il. «Je pense que les Portugais ont une autre culture, consistant à parler beaucoup plus bas, car même moi je remarque que je parle fort quand je vais au Portugal», explique ce quinquagénaire originaire de Vigo, une ville de Galice (nord-ouest) proche de la frontière portugaise.

Tolérance au bruit élevée

Dans un climat national où la tolérance au bruit est élevée, ceux qui se plaignent sont accusés «d'être pinailleurs, asociaux, hypersensibles», souligne Yomara García, présidente de l'association Juristes contre le bruit, lors d'un congrès sur l'acoustique à Malaga (sud). «Le droit à l'intimité personnelle, à l'inviolabilité du domicile, ce que l'on appelle familièrement le droit au repos, est un droit hiérarchiquement supérieur» au «soi-disant droit aux loisirs, qui n'est pas un droit fondamental», insiste cette avocate.

Traditionnellement centrés sur les bars, les litiges liés au bruit se sont récemment étendus aux terrains de padel, ce jeu de raquettes très populaire en Espagne, jugés excessivement bruyants, mais aussi aux fêtes de quartier et aux concerts organisés dans les stades, comme le Santiago Bernabeu, où le Real Madrid a suspendu sine die les événements musicaux sous la pression du voisinage.

Les critiques ont même atteint les cours d'école de Barcelone, qui ont dû être exemptées de la réglementation sur le bruit par le Parlement catalan. La prolifération, depuis plusieurs années, d'associations de riverains militant pour une baisse généralisée du niveau sonore, comme l'Association catalane contre la pollution acoustique (ACCCA) ou le Réseau de voisins contre le bruit (Xavecs), illustre aussi un changement de mentalité.

Pas de prise de conscience

Géré par des religieuses dominicaines, le Centre du silence de Madrid se veut justement un refuge pour les habitants excédés par le vacarme ambiant. Lorsqu'il a ouvert en 2011, cet espace, qui accueille une cinquantaine de personnes par semaine, était une rareté.

Aujourd'hui au contraire, «il y a énormément d'offres d'espaces de retraite, de silence, de méditation», explique à l'AFP sa directrice Elena Hernández Martín. Pour Ana Cristina Ripoll, professeure de philosophie de 59 ans qui fréquente le centre, l'attitude envers le bruit n'a pourtant pas beaucoup changé en Espagne.

«Je ne pense pas qu'il y ait une quelconque prise de conscience. Quand je demande à la personne à côté de moi dans le métro de baisser le volume de son téléphone parce qu'elle met de la musique (...) il arrive qu'elle se fâche», raconte cette enseignante. Avant de conclure, dépitée: «Il y a même des gens qui te lancent: 'C'est l'Espagne!'»

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