Braquer le Louvre, c’est braquer la France: tel est le sentiment de nombreux Français après le cambriolage réussi d’une collection de bijoux d’une valeur inestimable dans le plus grand musée du monde, dimanche 19 octobre vers 9h30 du matin. Impossible de ne pas tomber, dans les médias français, sur le parallèle entre ce musée cambriolé et l’état du pays, assommé par une dette record et paralysé depuis des mois par une crise politique. Ce que les quatre cambrioleurs ont réussi en sept minutes, c’est un peu la démonstration que la France ne tourne plus rond, y compris pour protéger ses trésors dans l’ancien palais royal devenu le musée le plus visité au monde.
Toute la journée de dimanche, le Louvre est resté fermé aux visiteurs. Présents sur place dès neuf heures du matin, heure d’ouverture, environ deux mille d’entre eux ont été évacués après le cambriolage de la salle Apollon, où étaient entreposés les bijoux dérobés, pour la plupart issus des collections de l’empereur Napoléon III et de l’impératrice Eugénie. Napoléon III, élu président de la République en 1848, prit ensuite le pouvoir en 1852 et le conserva jusqu’à la défaite française face à l’Allemagne de Bismarck, en 1870. Ce neveu de Napoléon Ier avait grandi en Suisse, au château d’Arenenberg.
«Casse du siècle»
Ce que les Français ne comprennent pas au lendemain de ce «casse du siècle» réalisé par quatre hommes venus avec un monte-charge qui leur a permis d’accéder à la fenêtre du premier étage, est à la fois le manque de sécurité adapté, et l’absence d’une intervention immédiate des forces de police. Le spectacle, il est vrai, a de quoi laisser amer.
En ce dimanche matin, le monte-charge a été déployé le long de la façade du musée, actuellement protégée par des équipements de chantier en raison de travaux de rénovation. Deux autres braqueurs attendaient en bas, le long de la Seine, sur deux scooters. Ils sont repartis dans la foulée, oubliant un casque, des gants et les disqueuses ayant servi à découper les vitres des fenêtres et à éventrer les vitrines, sous les yeux de visiteurs éberlués. Les images des cambrioleurs, vêtus d’un gilet jaune utilisé en cas d’accident, ont fait le tour du monde.
Digne d’Arsène Lupin
L’autre drame français, à travers cette affaire du Louvre digne d’Arsène Lupin, le gentleman cambrioleur des romans de Maurice Leblanc, est ce sentiment que le pays n’en finit pas de connaître des mauvaises nouvelles et, surtout, ne parvient pas à faire face aux défis qui sont les siens. Destination touristique la plus visitée du monde, la France est souvent pointée du doigt par le délabrement de certaines infrastructures. Le Louvre, son joyau, en fait partie.
En janvier, un vaste chantier de rénovation a été lancé par Emmanuel Macron lui-même. Les signaux d’alarme avaient été tirés par ses directeurs successifs, y compris pour des équipements aussi essentiels que les toilettes, jugées sales et inadaptées. Il y a quelques semaines encore, les employés du musée avaient fait grève. L’hypothèse de complicités à l’intérieur du palais est d’ailleurs privilégiée par les policiers spécialisés dans le grand banditisme. Le Louvre est, pour l’heure, fermé jusqu’à nouvel ordre.
Quatre cambrioleurs, sept minutes, des millions d’euros de butin avec le risque de voir les pièces dérobées aussitôt démontées et les pierres précieuses qui les ornaient être transmises à des receleurs internationaux: ce circuit rodé est minutieusement scruté par les policiers qui comptent sur les indices retrouvés pour détecter des traces d’ADN et cibler des premières pistes. Mais le pire est sans doute, pour les Français, ce sentiment d’une expédition aussi planifiée qu’artisanale.
De simples disqueuses
De simples disqueuses. Un monte-charge comme on en utilise pour les déménagements. Des scooters. Un bricolage réussi qui en dit long sur la vétusté des systèmes de sécurité ou sur le manque de préparation des équipes de surveillance. Le Louvre avait accueilli, durant l’été 2024, des événements artistiques en marge des Jeux olympiques. Il a aussi essaimé à Lens (Pas-de-Calais) et à Abu Dhabi, dans le Golfe persique. Et si le musée avait oublié l’essentiel: se moderniser, au lieu d’essaimer partout pour des opérations à but commercial?
L’autre parallèle qui domine les réseaux sociaux et les médias français après ce cambriolage est celui effectué avec la situation générale du pays. Le sentiment dominant est que l’une des tentations, pour refinancer le modèle social français mal en point, est que l’Etat devra se séparer d’une partie de son patrimoine. Paris est aujourd’hui une ville prisée des milliardaires du monde entier. Les géants du luxe français dominent la scène, mais la capitale est surtout réputée pour la dégradation de ses infrastructures, sa dette astronomique proche des huit milliards d’euros, et sa mauvaise gestion.
Délitement général?
A priori, pas de rapport avec le cambriolage: sauf que le ministère de la Culture, dont dépend la Réunion des musées nationaux (RMN), devrait subir en 2025 une baisse historique de son budget (environ 4 milliards d’euros cette année). Ce qui entraîne une dépendance accrue envers les sponsors, dont une forme de privatisation qui ne dit pas son nom et (peut-être) des aléas en termes d’organisation et de sécurité.
Le Louvre cambriolé, la France blessée: l’émotion internationale suscitée par ce braquage démontre que la réalité est bien celle-là, compte tenu de la vitrine représentée par ce musée, où trône la toile la plus connue au monde: La Joconde de Léonard de Vinci, pour laquelle une salle spéciale doit justement être aménagée dans le cadre des travaux en cours.