La Suisse disciplinée, qui sait mettre de l’ordre et traiter les mauvais Français comme ils le méritent, a désormais sa ville fétiche vue de Paris: Porrentruy!
Depuis l’interdiction des étrangers non-résidents à sa piscine entre le 4 juillet et le 31 août, édictée par la Municipalité jurassienne (qui l’avait déjà fait en 2020), les réseaux sociaux et la chaîne de droite dure CNews – la plus regardée des chaînes d’infos – se chargent de faire un buzz maximal.
Vive Porrentruy!
A lire et à entendre les commentaires, Porrentruy a réagi comme devraient le faire toutes les villes frontalières assiégées. Assiégée? Oui, car tous ses problèmes viennent de Montbéliard, la sous-préfecture du Doubs. Et surtout de son quartier populaire de La Petite-Hollande, construit dans les années 60 et connu pour de nombreux faits de délinquance urbaine. La preuve: l’ouverture ce lundi 7 juillet du «procès du siècle» dans la ville. 14 hommes (dont 9 actuellement détenus), jugés pour proxénétisme, drogue et trafic d’armes. Un dossier dont «L’Est Républicain» assure que «l’épicentre se situait à quelques hectomètres à peine du tribunal, rue du Petit-Chenois, en plein cœur du quartier de la Petite-Hollande».
Porrentruy, ville modèle? Alors que la conseillère fédérale jurassienne Elisabeth Baume-Schneider se tient pour l’heure silencieuse, alors que la Commission contre le racisme (qui dépend de son département) a condamné la décision municipale, une partie de la France vole au secours du maire Philippe Eggerswyler, ancien éducateur très proche des milieux sportifs. «Les Suisses ne discutent pas: interdit aux Français! C’est simple et efficace…», peut-on lire sur le réseau social X.
Le quartier de la Petite-Hollande
«En face de Porrentruy, c’est Montbéliard et son fameux quartier de la Petite-Hollande. Comme on comprend les Suisses!», poursuit un internaute. Les jeunes de l’UDC Suisse se félicitent bien sûr de ce buzz et de «l’apartheid» nautique: «Face aux troubles répétés, la commune a pris une décision claire», assène leur communiqué sur X.
Sur son site, la chaîne CNews cite l’argument du maire, interviewé sur son antenne. «Il nie toute volonté de discrimination et souligne la grosse affluence dans cette piscine, estimant qu’il faut impérativement faire en sorte que les Jurassiennes et Jurassiens puissent profiter de cette infrastructure.» Mais le débat, sur son plateau, va bien plus loin dans l’appréciation (positive) de cette interdiction estivale.
«Français de papier»
Idem sur les réseaux. Exemple: «Les Français de papier, chances pour la France en sont la cause. La préférence nationale jusque dans les piscines! Bravo la Suisse!» Ou encore: «En fait, les Suisses n’ont juste pas envie que leurs piscines ressemblent à celles de chez nous. Ça peut se comprendre.» Le tout ponctué d’un «Ils ont bien raison, le 'Français' d’aujourd’hui ne sait pas se tenir! C’est triste pour ceux qui ont encore un peu d’éducation mais je comprends.»
Ce buzz pro-Porrentruy est en particulier fort à Paris, un tantinet traumatisé par deux nuits de violences, d’incivilités et de saletés à tous les étages: celle de la victoire du PSG sur l’Inter de Milan le 31 mai, et celle de la Fête de la musique le 21 juin.
Rixes, déchets, altercations
A chaque fois, les images des rixes, des déchets jetés sur les trottoirs, des altercations avec les forces de l’ordre et de la dégradation des biens publics ont fait surchauffer les réseaux. «Au moins, les Suisses savent faire. Ils viennent d’interdire l’accès à leur piscine après des faits du même type», peut-on lire sur la page Facebook des fans de l’émission «Pascal Praud et vous» sur Europe 1, chaîne de radio jumelle de CNews.
Yves Petignat est chroniqueur politique au «Temps», jurassien et ancien édile d’une ville voisine de Porrentruy. Lui voit dans cette décision un autre arrière-plan: le rejet massif des frontaliers. «Trier nos hôtes selon leur origine, voilà, comme le dit Goethe dans le prologue de Faust, 'un ragoût de la sorte [qui] vous vaudra tous les suffrages. C’est facile à cuisiner, facile à servir'. Cela pourrait n’être qu’une anecdote clochemerlesque. Mais la décision est révélatrice d’un état d’esprit – les frontaliers ne sont considérés que comme une main d’œuvre indispensable – qui se répand dans cette minuscule région (23'000 habitants). Laquelle partage 121 kilomètres de frontières avec la France.» Avec, à la clef, une manne d'argent public: 39 millions d'euros annuels versés au canton du Jura par la France au titre de la répartition fiscale sur les travailleurs frontaliers.
Un canton qui se referme
Et Yves Petignat de conclure: «Ainsi se referme sur lui-même un canton qui, à sa naissance en 1979, avait été le premier à créer un service de la Coopération pour nouer des partenariats avec ses voisins d’outre-frontières poursuit le journaliste. Il n’en reste rien […] Voyez, chers cousins, amis touristes, ce qu’il advient des peuples et de leurs maires à l’ère du populisme.»