Masqués et encagoulés à l'arrière de leur pick-up, une dizaine d'hommes sillonnent les rues au nord de Nouméa, machettes à la main. En Nouvelle-Calédonie, où l'Etat revendique des «succès», la vie tourne au ralenti sur un archipel «en feu», lundi, après une semaine d'émeutes.
Le regard fermé, ces militants armés de sabres d'abattis croisés par des journalistes de l'AFP patrouillaient dans les rues de Dumbéa, dans l'agglomération de la capitale calédonienne, qui a connu une nouvelle nuit de violences. La septième d'affilée, sur ce territoire français du Pacifique sud, théâtre d'un soulèvement des indépendantistes contestant une réforme électorale votée à Paris.
Les barrages érigés, que les forces de l'ordre se sont efforcés de dégager toute la journée de dimanche (76 au total selon les autorités) avec le renfort des forces d'élite du GIGN, ont pour l'essentiel été réinstallés dans la nuit, émaillée de détonations dans le Grand Nouméa.
Résultat, lundi matin, les barrages tenus par des indépendantistes semblent plus nombreux et plus imposants encore, comme entre les quartiers de Montagne coupée et Montravel à Nouméa, où deux étages de voitures calcinées barrent désormais les rues. Des hommes, aux visages dissimulés derrière des foulards et équipés de barres de fer, y occupent la route.
«Ça tire toute la nuit»
«On a l'impression d'être dans la série The Walking Dead», qui se déroule dans un univers apocalyptique, se désole Thomas de Deckker, directeur de l'office des postes et télécommunications local. «Ce (lundi) matin, c'est une grosse gueule de bois. On n'a pas de visibilité sur quand il y aura à nouveau de la sécurité», constate-t-il auprès de l'AFP.
Cette situation n'a pas empêché le haut-commissaire de la République, Louis Le Franc, de se féliciter du «succès» d'une vaste opération de la gendarmerie pour reprendre la maîtrise de l'axe stratégique reliant Nouméa à l'aéroport international de La Tontouta. Toutefois, a reconnu le représentant de l'Etat, la nuit a été marquée par des «actions de pillage» et «un incendie notable». S'il n'a pas donné de précisions sur cet incendie, les locaux d'une entreprise de BTP étaient ravagés par les flammes, dans le quartier d'Auteuil.
Sur l'archipel, qui vit au rythme du couvre-feu nocturne et sous état d'urgence, le Grand Nouméa semble à l'arrêt, marqué par les stigmates des combats, strié de barrages et de check-points improvisés, ralenti par les carcasses de voiture et le bitume fondu. «On est bloqués. Je suis isolé. Je ne suis pas sorti de chez moi depuis mardi. Ca tire toute la nuit. Des jeunes passent avec des pick-ups et des transpalettes», résume un habitant du quartier populaire de Kaméré, dans le nord-ouest de Nouméa, qui n'a pas souhaité donner son nom. «La journée, on sort un peu dans la cour pour les enfants», raconte-t-il.
«Ils ont essayé pacifiquement»
Les écoles sont toujours fermées sur l'archipel, tout comme les 37 bureaux de poste et les stations-services, sauf pour certains véhicules autorisés. Avec les nombreux commerces calcinés ou pillés, les files d'attente n'en finissent pas de s'allonger devant les magasins encore ouverts, où les habitants s'approvisionnent en produits de première nécessité. Même les distributeurs de billets sont hors service dans les quartiers les plus touchés par les émeutes, incendiés ou tout simplement vides.
Pour répondre à l'urgence sanitaire, autre grande inquiétude avec l'approvisionnement en nourriture, un espace de santé a ouvert dans le centre de la capitale, constamment baigné sous le vrombissement d'un aéronef militaire. Les violences qui ont éclaté lundi soir ont fait six morts, dont deux gendarmes. Mais une partie de la population continue de soutenir les revendications des indépendantistes, sur le fond.
«L'île est en feu, certes, mais il ne faut pas oublier qu'ils (les émeutiers) ont essayé pacifiquement de faire entendre leur voix et ça n'a rien donné, il a fallu que ça dégénère pour que l'Etat nous voie, que les politiciens nous voient», tient à rappeler Laloua Savea, 35 ans, une habitante de Païta, près de Nouméa. «Même si ce n'est pas comme ça qu'il faudrait faire», insiste-t-elle, «il faut les écouter!».