Dérèglement climatique, crises politiques…
Voici ce qui attend la Suisse et le monde en termes de migrations

La migration est l'un des thèmes les plus importants qui nous occuperont à l'avenir, notamment à cause du dérèglement climatique. Où les gens vont-ils fuir? Et que fuiront-ils? Le chercheur helvétique Rainer Münz fait le point sur ce qui attend la Suisse et le monde.
Publié: 17.05.2023 à 06:05 heures
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Rainer Münz a travaillé six ans auprès de la Commission européenne en tant que conseiller en matière de politique migratoire.
Photo: Zvg
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Guido Felder

La migration des populations est un thème de prédilection pour le Bâlois Rainer Munz. Pendant plusieurs années, il a travaillé à Bruxelles en tant que conseiller en politique migratoire. Il y a deux ans, le gouvernement suédois l’a chargé d’élaborer une étude sur le thème de la migration et du changement climatique, qu’il a présentée la semaine dernière devant le réseau européen des migrations à Stockholm.

Quelle est l’ampleur de la migration climatique? Combien de réfugiés vont-ils affluer en Europe? De combien de migrants la Suisse a-t-elle besoin? Rainer Münz fait le point pour Blick sur les évolutions de la migration mondiale. Celles-ci concernent également notre pays.

Son bilan: les migrations provoquées par la météo et le climat ne sont parfois pas aussi importantes ou aussi durables qu’on le prétend souvent. «Au cours des dix dernières années, ce sont surtout la violence et les crises politiques qui ont déclenché de grandes vagues de réfugiés: la guerre civile en Syrie, l’appauvrissement massif au Venezuela, l’attaque russe contre l’Ukraine. La grande migration climatique vers d’autres pays n’a pas encore eu lieu», souligne l’expert.

Fuir la chaleur

La Welthungerhilfe, association allemande qui lutte contre la faim dans le monde, prédit plus de 140 millions de réfugiés climatiques d’ici à 2050. Rainer Münz relativise ce chiffre: «Même à l’avenir, toutes les personnes concernées ne se mettront pas en mouvement, loin de là. Et ceux qui migrent changeront surtout de lieu de résidence dans leur propre pays.»

Les observations montrent qu’au cours des 30 dernières années, plus de 2 milliards de personnes ont quitté les zones rurales pour s’installer dans les villes. «Nous ne savons toutefois pas combien d’entre elles ont été privées de leurs moyens de subsistance par la sécheresse persistante, l’érosion des sols ou la chaleur croissante», détaille le spécialiste. Les migrations entre la campagne et la ville ont généralement lieu à l’intérieur des frontières nationales.

Mais le changement climatique ne conduit pas nécessairement à la migration. Il existe également d’autres stratégies d’adaptation: «Aux Pays-Bas, un tiers de la population vit sous le niveau de la mer. On y a organisé une protection efficace contre les ondes de tempête.»

Rainer Münz cite par ailleurs comme exemples Dubaï et le désert israélien du Néguev, où les populations doivent faire face à une chaleur croissante et à une grande sécheresse. Dans le Néguev, on pratique une agriculture extrêmement économe en eau. Parallèlement, Israël et les pays du Golfe désalinisent l’eau de mer à grande échelle.

Chassés par les catastrophes

Entre 2008 et 2021, période à laquelle se réfère l’étude de Rainer Münz, 342 millions de personnes ont dû quitter leur lieu de résidence en raison de catastrophes naturelles. Mais à l’exception de 6 millions d’entre elles, toutes ont pu rentrer chez elles, ou du moins dans leur région d’origine. «Contrairement aux guerres, les catastrophes naturelles ne conduisent que rarement à des expulsions durables ou à l’émigration vers d’autres pays», souligne le professeur.

Autre bonne nouvelle: les catastrophes naturelles ont certes nettement augmenté au cours des 120 dernières années, mais malgré une population mondiale quatre fois plus importante, le nombre de victimes est aujourd’hui beaucoup plus faible en raison d’une meilleure anticipation, de maisons plus solides et d’évacuations effectuées en temps voulu.

La Turquie, une zone problématique

Avec environ 4 millions de migrants pour 85 millions d’habitants, la Turquie accueille l’une des plus grandes populations de réfugiés au monde. Après les élections, il pourrait y avoir un flux de migrants en direction de l’Europe. «Le candidat d'opposition à la présidence, Kemal Kilicçdaroglu, a promis pendant la campagne électorale de réduire de moitié le nombre de réfugiés syriens en deux ans», pointe Rainer Münz. Mais le président sortant, Recep Tayyip Erdogan, a lui aussi exprimé des projets visant à installer une partie des réfugiés syriens dans le nord de la Syrie, contrôlé par la Turquie.

Ces deux projets pourraient déclencher un mouvement de fuite vers l’Europe. «Nous ne savons pas dans quelle mesure de telles déclarations sont des menaces», estime l’universitaire. Kemal Kiliçdaroglu, en particulier, aurait intérêt à une meilleure relation avec l’Occident. Et il est possible qu’avec un nouveau versement de l’Union européenne (UE) de plusieurs milliards, la Turquie continue à maintenir ses frontières fermées.

La migration liée au mariage

On oublie souvent que le mariage et le regroupement familial sont depuis peu la forme la plus fréquente d’immigration vers l’Europe. Cela pèse désormais davantage que l’immigration liée au travail: «De nombreux membres de diasporas vivant en Suisse, en France ou en Belgique épousent un(e) partenaire originaire de la région d’où venaient leurs parents ou leurs grands-parents.»

La migration de l’Algérie, du Maroc et de la Tunisie vers l’UE a ainsi généralement lieu après un mariage avec un partenaire vivant déjà en Europe.

Une immigration nécessaire pour la Suisse

Depuis 2013, il y a plus de décès que de naissances en Europe. Une pénurie de main-d’œuvre menace à terme, et est déjà visible aujourd'hui. «Nous devons décider comment nous voulons résoudre le problème, souligne Rainer Münz. Travailler plus longtemps à la retraite, augmenter les prélèvements AVS et les cotisations à la caisse de pension, freiner les pensions de retraite, automatiser les services – ou autoriser davantage d’immigration.»

D’après le spécialiste, la Suisse ne pourra pas non plus se passer d’une immigration supplémentaire à moyen et long terme: «Soit nous formons mieux les immigrés chez nous, soit nous cherchons à l’étranger de manière ciblée les spécialistes dont nous avons besoin.»

Combien d’immigration la Suisse peut-elle supporter? «C’est une question de rythme d’immigration et d’intégration. Les qualifications apportées sont tout à fait déterminantes. Mais il faut aussi veiller à ce qu’il y ait suffisamment de logements», analyse l’expert.


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