En Corée du Nord, derrière l’image d’un pays fermé et autoritaire, Kim Jong Un s’efforce de bâtir une vitrine de modernité. Cafés calqués sur Starbucks, centres commerciaux inspirés d’IKEA, paiements par QR code et même un «Waikiki nord-coréen» sur la côte est: le régime multiplie les façades de prospérité pour séduire les élites locales et attirer des devises étrangères, tout en gardant la population sous étroite surveillance.
Le «New York Times» a publié lundi 25 août les vidéos de trois touristes ayant séjourné en Corée du Nord. Un rare aperçu de ce consumérisme de façade, qui étonne par sa ressemblance avec l’Occident. Les grandes enseignes y sont imitées à la perfection… sans jamais avoir franchi officiellement les frontières.
«L'Ikea nord-coréen»
«J’avais peur de manquer de nourriture ou de vêtements chauds», raconte un étudiant chinois venu suivre des cours de langue à Pyongyang. «Mais à mon arrivée, j’ai trouvé le logement plutôt luxueux.» Pour lui, l’un des lieux les plus chics de la capitale est le centre commercial Rangrang Patriotic Geumganggwan, surnommé «l’Ikea nord-coréen».
On y trouve des lampes, des cadres et des abat-jours au design minimaliste rappelant étrangement le géant suédois. Certains articles portent même les mêmes noms qu’Ikea, mais l’origine de ces produits – contrefaçons ou contrebande – reste floue. Le géant bleu et jaune a confirmé ne pas avoir de franchise en Corée du Nord.
Dans ce même centre, un café baptisé Mirai Reserve singe la branche haut de gamme de Starbucks. Décor épuré, ambiance branchée… et tarifs exorbitants. L’étudiant dit avoir payé 25 dollars pour trois cafés, une somme inaccessible pour la majorité des Nord-Coréens, dont le revenu annuel moyen tournerait autour de 1000 dollars. Là encore, Starbucks assure n’avoir aucune implantation dans le pays.
Capter les devises étrangères
Si Kim Jong Un tolère, voire encourage ce consumérisme, ce n’est pas un hasard. Il cible les élites: diplomates, commerçants ou travailleurs envoyés à l’étranger, habitués aux marques occidentales et détenteurs de devises. Le régime espère ainsi capter une partie de leurs richesses pour remplir ses caisses.
Dans la capitale, les paiements se font d’ailleurs presque exclusivement par téléphone, via QR code. «Ils ont beaucoup d’applications similaires au reste du monde: vidéo, messagerie, shopping ou même un Uber version nord-coréenne», décrit Johan Nylander, un coureur suédois ayant participé au marathon de Pyongyang en avril dernier.
Jet-ski, BBQ et bières américaines
Mais la modernisation passe aussi par le tourisme. Cet été, Pyongyang a inauguré un vaste complexe balnéaire dans la ville portuaire de Wonsan, aussitôt surnommé le «Waikiki nord-coréen» par les médias sud-coréens. De nouveaux hôtels longent une plage de quatre kilomètres, complétés par un parc aquatique coloré.
Une douzaine de touristes russes a pu tester les lieux: jet-skis, barbecues sur la plage, bières venues des Etats-Unis, du Japon ou de Chine, et même séances de shopping – une voyageuse raconte avoir enfin trouvé une paire de bottes Ugg à sa taille. «La Corée du Nord voit dans le tourisme un secteur capable de générer des devises, créer des emplois et améliorer son image», analyse Choi Eun-ju, de l’Institut Sejong de Séoul.
Entre ouverture et contrôle
Mais cette ouverture reste fragile. Le pays avait suspendu son programme touristique en début d’année, après la diffusion par des influenceurs étrangers de vidéos jugées peu flatteuses. Car si Pyongyang veut soigner son image, le régime craint tout autant que l’arrivée de visiteurs ne facilite l’entrée d’informations extérieures, potentiellement explosives pour le contrôle absolu de Kim Jong Un.