Si le conflit éclair entre New Delhi et Islamabad s'est conclu sans vainqueur clair, au Pakistan il a redoré, notamment chez les jeunes, le blason des généraux qui étaient de plus en plus critiqués pour leur implication en politique. Presque deux tiers des 240 millions de Pakistanais ont moins de 30 ans et ils étaient plutôt «habitués aux affrontements entre l'Inde et le Pakistan sur les terrains de cricket», explique à l'AFP Nighat Dad, militante des droits numériques.
Le dernier conflit d'ampleur entre les deux puissances nucléaires, en 1999, s'était cantonné au Cachemire disputé. Mais depuis mercredi, «les jeunes ont entendu les tirs et les explosions, ils ont vu des drones au-dessus de leurs maisons» dans les grandes villes, poursuit l'experte. Et ils «ont eu un sentiment très fort en voyant un voisin accuser leur pays de terrorisme et attaquer», poursuit-elle. New Delhi a dégainé en assurant que le Pakistan était lié à un attentat au Cachemire indien en dépit des dénégations d'Islamabad. Médias et responsables pakistanais, eux, dénoncent à l'envi une «attaque fabriquée».
«Le jour de la bataille pour la justice»
En ripostant, «l'armée a humilié Bollywood devant le monde entier», s'amuse un internaute, estimant que les exploits militaires pakistanais ont dépassé les superproductions indiennes. Une autre assure que «même les Indiens tomberaient sous le charme de [nos] généraux», alors que les réseaux sociaux sont inondés d'images de militaires couverts de coeurs ou devant des paysages bucoliques. Dès le début des hostilités, l'accès à X, bloqué par les autorités depuis plus d'un an, a été opportunément rétabli, tandis que l'armée saluait les «jeunes cyberguerriers».
La plateforme avait disparu au moment des législatives de 2024 quand la parole anti-armée se libérait à propos de cette institution de longue date intouchable. L'ancien Premier ministre Imran Khan et des centaines de ses partisans ont été incarcérés après les émeutes du 9 mai 2023 dirigées contre l'armée. Cette année, le 10 mai, l'Inde et le Pakistan ont accepté un cessez-le-feu et cette journée sera désormais commémorée au Pakistan comme «le jour de la bataille pour la justice». «Tous derrière notre armée», proclament des affiches collées par l'Etat et des particuliers dans les rues. Nul ne sait combien durera cette lune de miel avec l'armée.
Des exagérations pour exciter les foules?
Déjà, le parti de Imran Khan, qui a voté avec tous les autres les résolutions anti-Inde au Sénat, appelle à revenir «à la vraie lutte». C'est-à-dire la libération de son champion qui voit dans ses procès une manoeuvre du pouvoir pour l'écarter. Pendant plus de la moitié de ses 78 ans d'histoire, le Pakistan a été dirigé directement par des militaires. Aujourd'hui, l'armée passe encore pour faiseuse de rois même si elle assure ne plus s'impliquer en politique.
Son chef, le général Asim Mounir, qui a longtemps attiré les critiques de l'opposition, s'est toutefois fait discret pendant le conflit. Seuls ont parlé le porte-parole de l'armée et le gouvernement. Un haut-gradé en particulier semble avoir ravi les internautes, le vice-maréchal Aurangzeb Ahmed, porte-parole de l'armée de l'air, qui a cabotiné sur les victoires de ses pilotes alors que le Pakistan tout entier assure avoir mis à bas trois Rafale de fabrication française de l'armée indienne. Une source militaire européenne estime «très peu probable» que trois Rafale aient été détruits, mais «crédible» qu'un l'ait été.
Relayer des informations sous couvert d'humour
«Ce n'est pas que le Rafale soit un mauvais avion, c'est un avion très efficace... Si on s'en sert bien», a glissé, profitant visiblement du moment, le vice-maréchal lors d'une conférence de presse. Depuis, cet extrait est partout sur les réseaux alors que les internautes saluent «la victoire de David contre Goliath» de leur armée, bien moins dotée en fonds, en hommes et en équipement que le voisin. «Les jeunes ont utilisé des +memes+ pour se moquer de l'Inde», qui a en retour bloqué des dizaines de comptes de personnalités pakistanaises sur X et YouTube, affirme Mme Dad.
Mais, sous couvert d'humour, ces montages ont permis de «relayer des informations et d'afficher son soutien», poursuit-elle. Hors temps de crise, ces internautes se seraient sûrement inquiétés de la décision de la Cour suprême d'autoriser les tribunaux militaires à juger des civils. Mais annoncée le jour même où Islamabad et New Delhi entraient en confrontation, la nouvelle est, là aussi opportunément, passée relativement inaperçue.
Cette crise a «rassemblé le pays», estime le chercheur américain Michael Kugelman, en redonnant à l'armée «le rôle de protecteur sur lequel elle a fondé son identité et sa légitimité». Faisant oublier, pour un temps au moins, les attentats, le marasme économique et le nombre grandissant de jeunes se disant prêts à tout pour émigrer.