Sur le papier, c’est un marathon. Mais pour l’Ukraine et la Moldavie, désormais candidats à l’Union européenne (UE), c’est un sprint qui a démarré avec cette décision inédite prise par les 27 pays membres de l’UE. Quatre mois pour accepter la candidature de deux pays que tout le monde estimait être à des années-lumière de l’Union!
La question est maintenant de savoir si le processus va prendre effectivement des années, voire plus d’une décennie. Ou si les nécessités géopolitiques et stratégiques imposeront d’accélérer l’intégration de ces deux pays aux avant-postes face à la menace Russe. Voici ce qu’il faut retenir à l’heure du top départ.
Une récompense face à Poutine
Paradoxalement, les autorités de Kiev et de Chișinău devraient tout de suite féliciter… Vladimir Poutine. Sans la guerre enclenchée le 24 février par le maître du Kremlin, jamais l’Ukraine et la Moldavie (la Géorgie s’est aussi vue reconnaître une «perspective européenne» par les 27) n’auraient pu monter dans ce TGV vers l’adhésion.
Il se passe donc exactement avec l’UE ce qui s’est passé pour l’OTAN avec la Finlande et la Suède, ces deux pays neutres qui demandent aujourd’hui à rejoindre l’Alliance atlantique, dont les candidatures seront examinées lors du sommet de Madrid les 29 et 30 juin: la menace russe a imposé à Bruxelles une réponse positive. «Dans le moment qui est le nôtre, nous aurions commis une faute politique et laissé un vide si nous n’avions pas tendu la main à ces deux pays» a résumé Emmanuel Macron.
Fait marquant: le président Français, réélu en avril pour cinq ans, était jeudi soir à Bruxelles le plus ferme sur le long délai des négociations d’adhésion. Du coté des institutions européennes, et notamment de la Commission pourtant gardienne des traités, les mots sont plus flous.
Il y aura bien sur des rapports, au fil des 35 chapitres de l’acquis communautaire (la législation supranationale) examinés avant d’adhérer – État de droit, économie de marché, concurrence – mais le fait que le mot «politique» soit revenu plusieurs fois prouve bien que ce processus d’adhésion de l’Ukraine et de la Moldavie dépendra largement de la guerre et des rapports futurs entre l’UE et la Russie. Il s'agissait de répondre au présent. L'avenir se conjuguera ensuite..
Une interrogation sur l’Europe
Ce n’est pas un hasard: sitôt après avoir accordé à l’Ukraine et à la Moldavie le statut de candidats à l’adhésion, les dirigeants des 27 pays membres de l’UE sont repartis pour dîner et discuter d’une communauté géopolitique européenne qui leur permettrait de mieux gérer leur voisinage. «Il faut que l’on accepte qu’on peut vivre dans la même rue sans vivre dans la même maison» a joliment botté en touche Emmanuel Macron.
La phrase est claire: le sprint européen de ces deux pays confrontés à la puissance impérialiste Russe n’est pas certain d’aboutir sur une Union à 30 ou 35 pays membres. «Il y a aujourd’hui une fatigue de l’élargissement» a poursuivi Emmanuel Macron à propos des Balkans occidentaux (Albanie, Macédoine du Nord, Serbie) qui piétinent depuis le milieu des années 2000 et se voient régulièrement mettre des veto, tel celui brandi jeudi soir par la Bulgarie à propos des minorités bulgares de la région.
Ce qui se joue est bel et bien une reconfiguration de l’Europe. Sauf que les 27 ne sont pas capables d’apporter la réponse à une question: comment refuser à un pays d’adhérer après l’avoir accepté comme candidat, s’il a franchi une par une les étapes juridiques, administratives et réglementaires? Un cas existe: celui de la Turquie, qui a déposé sa demande d’adhésion à l’UE en 1987, il y a plus de 30 ans. Depuis, le dossier des négociations, bien qu’il reste officiellement ouvert, s’est refermé sans espoir. Ce que les autorités d’Ankara considèrent comme une injustice, voire une insulte.
Un message envoyé aux populations
Le message politique envoyé aux Ukrainiens et aux Moldaves n’est pas seulement un message d’espoir. Il est aussi rempli d’exigences. Si ces pays continuent d’être sous la coupe réglée d’oligarques proches du pouvoir – ce qui reste le cas actuellement – et de subir une corruption généralisée, la route vers l’UE deviendra rapidement impraticable. En ce sens, le statut de candidat est potentiellement un instrument de fort changement démocratique.
Problème: la situation, dans les pays des Balkans, montre aussi l’inverse. Lorsque les promesses sont faites, mais non tenues, les forces nationalistes et les clans mafieux en profitent aussitôt pour revenir sur le devant de la scène.
Le grand sujet est celui du contrôle. Comment s’assurer que les engagements pris par les gouvernements et que les lois votées par les parlements des pays candidats seront respectées? Pour éviter ces chausse-trappes, le président du Conseil européen Charles Michel a proposé une formule nouvelle: l’intégration par étapes. Plutôt que de laisser un pays patienter aux portes de l’UE, celui-ci serait intégré au fur et à mesure, ce qui le récompenserait et l’obligerait, secteur par secteur, à en respecter les règles.
Un mot toutefois risque de fâcher: réversibilité. L’idée est de pouvoir expulser un pays en cours de négociation s’il venait à ne pas respecter ses engagements. Ce qui, vu les sacrifices consentis par sa population sur le champ de bataille, serait simplement impossible dans le cas de l’Ukraine.