Si on a déjà croisé, vu ou entendu Imany, on s’en souvient assez profondément. C’est que depuis dix ans, en plus d’une aura et d’une beauté éblouissantes, la chanteuse offre son timbre de voix grave à des compositions soul, folk et blues qui vont droit au cœur.
Seulement, après une tournée harassante et deux enfants, c’est le déclic: elle décide de donner vie à un projet qui lui trotte en tête depuis des années et qui lui semblait impossible: «Voodoo Cello», un album de reprises où elle ne serait accompagnée que de violoncelles à l’image de «Wonderful Life» qu’elle avait dévoilé en mars de cette année.
De passage à Genève, nous l’avons rencontrée pour en parler.
Cela faisait un moment que vous n’aviez pas sorti de disque et arrive un projet tout autre. Comment est née cette idée?
Imany: J’avais envie de faire un projet avec des cordes depuis 2013. L’idée était de faire un voix/quatuor à cordes, mais on a m’a fait comprendre que ça n’irait pas trop comme concept de deuxième album. Ensuite j’ai sorti mon deuxième album et j’ai fait un bébé, bref (rires)! En plus à la sortie de la tournée de mon deuxième disque je me suis retrouvée totalement cramée de fatigue. J’étais à la limite du burn-out, j’étais dans le rouge et ça n’avait plus de sens pour moi, je ne voyais presque plus mon bébé et du coup je n’arrivais plus vraiment à défendre sur scène les valeurs qui sont les miennes.
Alors étant la personne radicale que je suis au niveau de mon caractère, je ne me suis pas dit que j’allais prendre une pause, mais que j’allais tout arrêter. Je voulais avoir un jardin et m’occuper de mon gosse… Et j’en ai eu un deuxième. Une petite fille. Quand j’avais arrêté, je n’avais pas prévu d’avoir un deuxième enfant, mais ça m’est tombé dessus et je ne sais pas trop pourquoi, mais le fait d’avoir donné la vie à une petite fille, ça m’a inspiré, donné de la force, réveillée en quelque sorte, et une fois que j’étais reposée, je me suis rendu compte de certaines de mes erreurs et que j’avais toujours envie de faire la musique, et c’est là que cette idée de projet de cordes est revenue.
Il ne vous avait jamais quitté alors, seulement du quatuor, on est passé à octuor, il a doublé.
(Rires!) Exactement, il a doublé parce que quand j’ai demandé au violoncelliste avec qui j’ai toujours travaillé de m’aider à trouver mon quatuor, il m’a conseillé d’aller écouter un octuor de violoncelles, c’est quelque chose qui se fait dans la musique classique. Je l’ai fait et au bout de 30 secondes je me suis dit «ah voilà» et je voulais ça! C’est comme ça que l’on est passé du simple au double.
Et en plus de ça, du choix des reprises, d’avoir fait les arrangements et le mixage vous-même, vous aviez vraiment besoin de gérer tout ce processus seule?
Au départ j’avais contacté plusieurs arrangeurs, comme c’est du violoncelle et de la musique très écrite, je ne me sentais pas légitime de le faire, je ne suis qu’autodidacte, je ne sais pas écrire la musique. Mais je n’ai pas trouvé quelqu’un qui me proposait quelque chose de satisfaisant, alors par la force des choses je me suis dit que j’allais le faire moi-même.
Mais comment vous avez fait si vous ne savez pas écrire la musique?
Je suis allé en studio avec mes deux violoncellistes avec qui je travaille depuis longtemps et j’ai pris «If you go away». J’avais maquetté la chanson en voix guitare, j’ai enlevé la guitare et je leur ai demandé ce que je souhaitais en rythmique, en basse, etc. Par exemple, je leur disais que je voulais que ça fasse comme des cascades (elle fait un bruit, ndlr.), je leur chantais, je faisais des signes, ils me montraient tout ce qu’un violoncelle peut faire et que je ne connaissais pas et, au fur et à mesure, on a créé notre propre langage et on a créé comme ça. Du coup à la fin de «If you go Away», je vais voir mon producteur, et je lui présente ça et lui demande s’il pense que c’est au niveau pour que je gère ça toute seule. Il a dit oui, et sachant que c’est lui qui m’a découverte, qui m’a tout appris, il m’a soutenue et dit que je pouvais le faire, c’était magique.
Il y a une autre évidence dans cette magie, que même les gens qui ne connaissent pas le violoncelle entendront: c’est à quel point cet instrument marche avec votre timbre de voix.
Oui, d’ailleurs je me suis considérée comme un violoncelle parmi les violoncelles! C’est comme ça que je le vois, c’est d’ailleurs pour ça qu’il n’y a pas de chœur, car dans la voix fusionnent avec cet instrument dont je me sens très proche.
Et pourquoi des reprises?
C’était associé aux cordes dès le départ. J’ai eu le déclic en écoutant Vitamin String Quartet, ce quatuor qui reprend des standards de Muse, de 2Pac, de Nirvana: je trouvais ça juste génial mais je me demandais toujours pourquoi ils avaient laissé le truc en instrumental. Et j’ai compris que les quatuors violoncelle voix, ça n’existait pas! On a cherché et on n’a pas trouvé, pas d’album. Donc ce qui est intéressant avec le fait de faire des reprises comme ça, c’est que c’est un moyen direct pour faire comprendre aux gens la virtuosité et la versatilité de cet instrument. Quand on connaît une chanson et qu’on l’entend dans ce style, on comprend instantanément et tout simplement, j’adore faire des reprises, sur scène je faisais «Bohemian Rhapsody», des medleys, c’est hyper jouissif, même sous la douche, c’est le bonheur, et c’est la même chose pour moi.
Jouissif oui! Mais comment on fait pour ne choisir que 12 titres parmi des centaines que l’on adore? Ce n’est pas un peu prise de tête ça?
Ça, ce n’est pas du tout facile! J’en avais certaine, comme «Total Eclipse of the Heart» que je voulais faire depuis le départ. Celle-ci, je l’adore, les arrangements sont tellement eighties, que je savais que même si je relevais note pour note ce qui a été fait, au violoncelle ça allait donner quelque chose. Mais on a été plus loin et on l’a quasiment réécrite.
Oui, elle devient presque inquiétante, un peu film d’horreur.
Oui, avant de commencer, je voulais exactement ça! J’avais dit aux garçons que je voulais qu’elle sonne horror movie, que ce soit dissonant volontairement et qu’on atteigne ce climax pendant le pont instrumental et l’idée c’était vraiment ça, cette nana qui se retrouve seule dans la forêt et que ça fasse psychose (rires).
Avec le recul, est-ce qu’il y a une chanson que vous auriez aimé ajouter sur le disque?
«Concrete Jungle» de Bob Marley. Je l’adore et je l’ai d’ailleurs arrangée pour les concerts, ça a été un kiff de tous les instants de la faire, tout comme ce disque par rapport aux précédents en fait.
Ah bon, ça marque vraiment un tournant?
Oui je crois d’ailleurs que deux grossesses ça vous libère une femme! Il y a un truc avec la maternité, avoir un être qui vous aime no matter what, je n’avais jamais connu ça avant, même avec tout l’amour que l’on reçoit quand on monte sur scène. Mais là, d’un coup, tu montes sur scène et tu as cet amour à la maison et ça libère totalement parce que tu t’en fiches de faire une petite erreur ou je sais pas, ça installe un truc de confiance malgré soi, et en plus que mon deuxième enfant soit une fille, j’ai pris l’importance et le poids de ce que c’est d’être la maman d’une fille dans ce monde et ça a été une monstre claque et ça m’a libérée et donné la conviction de foncer avec ce projet d’album.
Revenons sur un autre titre. «If you go away» pourquoi Neil Diamond et pas Brel?
Je n’aurais jamais repris «Ne me quitte pas» en Français, que ce soit la version de Brel ou de Nina Simone. Pour moi elles sont au panthéon et je ne vois pas ce que j’aurai pu apporter de plus, et je suis tombée sur cette version par hasard qui a été reprise par Dusty Springfield, ensuite Frank Sinatra, mais c’est celle de Neil Diamond que j’ai entendue et j’ai trouvé ça génial en anglais et c’est juste pour ça.
Maintenant «Believer». Imany écoute vraiment Imagine Dragons?
(Rires!) Au départ c’est une proposition de mon producteur à un moment donné où on séchait en se disant qu’on avait pas mal de chansons d’amour. On se disait que ce serait bien d’avoir un truc plus large et quand je l’ai écoutée, j’ai aimé le texte, même si la mélodie est super forte, mais ces mots: «Pain, you made me a Believer» je trouve que ça raconte quelque chose qui a du sens pour moi. Mais honnêtement je ne connais pas super bien le groupe.
Ensuite un mashup Elton John-Eminem…
Oui! Au départ je voulais faire qu’Elton John, mais quand on arrive sur le pont instrumental de la chanson, je n’étais pas satisfaite et on se le fait tourner en boucle pour trouver une idée et en jammant comme on le fait souvent, je chantonne les paroles d’Eminem, le bassiste joue dessus et on trouve que ça marche. On n’a pas réfléchi, je suis entrée dans la cabine en studio, je l’ai posé et ça a marché, c’était un kiff!
Oui, parce que vous-même, vous êtes une grande fan de hip-hop.
Oui, et les fans entendront des clins d’œil dans le disque, il y a des réf, des citations à chercher à droite à gauche.
Il y a aussi le côté plus pop avec Ed Sheeran et la queen: Madonna avec «Like a Prayer».
Oui, on devrait toute être fans de Madonna. Moi j’adore cette chanson, je me rappelle la controverse à l’époque avec son Jésus noir et cette femme lascive qui dansait dans une église, ça avait fait un tollé pas possible alors que ce n’était pas si ouf. Mais oui faire quelque chose avec cette chanson, c’était un truc assez clair pour moi, même si je n’ai pas la chorale de gospel comme elle alors j’ai vraiment essayé de provoquer cette joie et on s’est bien marré pour la faire. Pour Ed Sheeran, ça a été très vite, on adore.
Sinon, on a été hyper touchés par la reprise de «Take me to Church», avec son côté sombre et solaire…
C’est intéressant parce que j’ai construit le spectacle sur ça, l’ombre et la lumière. L’ombre étant l’état du monde, et l’aube étant la transformation utile et nécessaire pour pouvoir s’en sortir en s’accrochant à la lumière, ce à quoi on s’accroche et qui nous inspire. Pour moi cette chanson est un chef-d’œuvre des années 2010, ce n’était pas facile pour moi de la chanter, je voulais vraiment la respecter, pour Hozier et pour le texte. Ça m’a forcé à sortir de ce que j’avais l’habitude, c’est aussi une de mes préférées.
Alors quelle est votre préférée?
Honnêtement ça change de temps à autre, mais en ce moment c’est «Black Little Angels» parce que pour que ça marche, je l’ai prise dans une tonalité qui n’est pas la mienne, c’est plus haut et c’est prendre un risque.
Et du coup sur scène, il y aura aussi d’autres de vos titres en version Cello?
Le spectacle est vraiment que l’album. Il y a un titre en rappel, c’est une petite surprise pour le public, mais je ne me voyais pas faire des réécritures de mes chansons au milieu des reprises, entre toutes ces stars, je trouvais que ça ne marchait pas. Je suis déjà là et je chante, c’est déjà pas mal (rires)!
On nous a confié que le live sera carrément théâtral.
Oui, ça bouge, ça danse, on a libéré les violoncellistes de leurs chaises. Contrairement à un concert classique, ils n’ont pas de partitions, alors il n’y a plus cette sorte de mur et on a donné une grande place au corps et à l’expression.
Imany sera en concert au Victoria Hall de Genève le jeudi 27 janvier 2021. Information et billets sur le site de Ticketcorner