C’est une rencontre un peu spéciale mais parfaitement savoureuse qui a eu lieu vendredi dernier dans la campagne bernoise. Autour d’une longue table en bois, deux hommes parlent de leur passion pour le fromage.
Enfant, Thomas Hofer, donnait des coups de main à la laiterie de son parrain. À l’âge de 24 ans, il a fondé sa première entreprise. Aujourd’hui, lui et sa femme dirigent une entreprise spécialisée dans la confection de fondues à Aarwangen (BE). Leur dernière création: une fondue à la choucroute.
Freddy Hunziker, qui prépare l’ail et le vin blanc sur le comptoir de la cuisine, a beaucoup de points communs avec son collègue. Lui aussi a fondé sa première entreprise quand il était jeune, et lui aussi aime innover.
En revanche, aucune trace de lait de vache dans son mélange à fromage. Avec sa société New Roots, il produit depuis six ans des alternatives végétaliennes au fromage et aux produits laitiers. Son dernier coup: une fondue végétale.
Freddy, la fabrication du fromage fait partie de l’histoire culinaire de la Suisse. Ne jouez-vous pas avec la tradition?
Freddy Hunziker: L’art de la fabrication du fromage est très belle chose et nous ne voulons pas le changer. Mais le lait de vache pose de nombreux problèmes en termes d’éthique et de durabilité. D’une part, les calories animales nécessitent beaucoup plus de ressources que les calories végétales. Et c’est aussi une question de bien-être animal. La matière première pour le fromage doit forcément provenir de la vache? Nous tentons de créer le même résultat avec des moyens plus durables.
Quels sont les produits que vous utilisez?
Freddy: Nous utilisons des noix de cajou comme ingrédient de base, que nous transformons en lait. Il est fermenté avec les mêmes procédés que le lait de vache, ce qui crée le goût typique de la fondue.
Thomas, en tant que fromager traditionnel, que dites-vous de la fondue à base de lait de noix de cajou?
Thomas Hofer: L’innovation n’a pas de limites. Je n’ai pas encore étudié en profondeur les alternatives végétaliennes. Mais je dois dire que cette fondue ressemble étonnamment à la fondue traditionnelle.
Vos produits ont-ils parfois été interprétés comme un affront à la fondue?
Freddy: Ça arrive. Nous avons reçu jusqu’à des menaces de mort de la part de certains producteurs laitiers et de fromagers.
Thomas: Ça dépasse clairement les bornes. Mais j’ai aussi du mal avec certains extrémistes antispécistes. Ceux qui dépeignent tous les producteurs laitiers comme des tortionnaires.
La fondue vegan bouillonne sur le réchaud. Freddy Hunziker pose le caquelon sur la table entre lui et Thomas Hofer. Les deux piquent le pain sur leurs fourchettes et commencent à déguster.
Freddy: Alors, qu’est-ce que tu penses de cette fondue?
Thomas: Eh bien, la texture est impeccable. Et je n’aurais pas deviné que c’est à base de noix de cajou. Mais la sensation en bouche est tout de même inhabituelle, un peu visqueuse. C’est désagréable.
Et le goût?
Thomas: Il est agréable et la finition n’est pas mauvaise. Mais pour moi, elle ne se rapproche pas de la traditionnelle fondue au lait de vache.
L’achèteriez-vous?
Thomas: Je ne pense pas. Ou alors pour une dégustation entre amis, sans leur dire que la fondue est végétale, pour voir leurs réactions.
Cela ne vous inquiète-t-il pas que de plus en plus d’alternatives vegan au fromage et aux produits laitiers arrivent sur le marché?
Thomas: Non, je crois que les deux peuvent coexister. Et je ne pars pas du principe que les produits animaux comme le fromage vont disparaître de nos cuisines.
Freddy explique qu’il produit des alternatives éthiques et durables aux produits laitiers. Cela suggère en fait que les produits laitiers classiques comme vos fondues ne le sont pas…
Thomas: Je respecte la philosophie qui sous-tend le mouvement végétalien. La durabilité est aussi très importante pour nous. Nous voulons par exemple produire notre propre électricité. Et du côté du bien-être animal, beaucoup d’efforts ont été réalisés, comme l’utilisation des robots de traite.
Freddy: Ce n’est pas le problème. Je pense que c’est mal d’utiliser les êtres vivants comme une ressource. Pour qu’une vache puisse donner du lait, elle doit donner naissance à un veau. On ne peut pas parler de bien-être animal si les petits sont arrachés à leur mère et abattus. Je ne pense pas que les vaches apprécient ça.
Thomas: Nous avons toujours fait de cette manière, je n’aurais jamais considéré ça comme problématique…
Freddy: Ça ne le rend pas plus acceptable.
Thomas: C’est une discussion sans fin. Je comprends les arguments nutritionnels en faveur des produits vegan, mais lorsqu’il s’agit d’éthique, nous ne serons probablement jamais d’accord.
Freddy: Ce n’est pas seulement la matière première qui fait le fromage, mais surtout la façon dont il est fabriqué et affiné. Si nous avons de bonnes alternatives, il n’y a plus rien à dire sur le lait de vache en tant que matière première, pas même en tant que fromager.
Thomas: Jusqu’à maintenant, je n’imaginais pas faire du fromage sans lait de vache. Peut-être qu’un jour, le résultat sera pareil avec les deux produits, mais ce n’est pas encore le cas. Ce qui fait une bonne fondue, c’est de bons produits. Du fromage maison, du vin blanc suisse et un peu de fécule de pomme de terre. Sans additifs!
Freddy: Pour moi, une bonne fondue doit juste avoir un bon goût. Et elle devrait rassembler les gens.