«Nous voulons dominer le marché»
Pour son ex-président, la Poste doit s'attaquer à Amazon et Alibaba

Urs Schwaller quitte son bureau. Le politicien de longue date et actuel président de la Poste prend sa retraite. Il revient sur des années difficiles à la tête de l'entreprise et se projette quant à l'avenir du géant jaune. Interview.
Publié: 27.11.2021 à 06:00 heures
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Dernière mise à jour: 27.11.2021 à 09:15 heures
Urs Schwaller en a finit avec la Poste.
Photo: Philippe Rossier
Interview: Pascal Tischhauser

Mardi sera le dernier jour de travail d’Urs Schwaller en tant que président du conseil d’administration de la Poste. Dès le mercredi 1er décembre, Christian Levrat prendra la relève à la tête du géant jaune. Les deux hommes avaient jadis représenté le canton de Fribourg au Conseil des Etats. Blick a rencontré le président sortant au siège de la Poste à Berne-Wankdorf.

Vous avez été conseiller d’État, conseiller aux États, chef de groupe PDC et serez bientôt ex-président de la Poste. Quel est le travail qui vous a procuré le plus de plaisir?
Toutes ces positions m’ont procuré du plaisir. C’est maintenant plus qu’une liste de titres. Vous avez omis une de mes fonctions: dans mes jeunes années, j’étais préfet du district de la Singine. C’est la tâche dans laquelle j’avais le plus d’autonomie pour prendre des décisions. Et j’en ai assumé seul la responsabilité. Cela me convenait bien.

Une fonction vous a été refusée: vous n’avez pas été élu au Conseil fédéral en 2009. Cela vous fait-il encore de la peine?
Non, je savais que l’élection serait difficile. Nous avions attaqué le siège d’un autre parti…

… celui du PLR.
Une telle attaque est liée à un risque élevé. Pourtant, je le referais.

Lorsque vous avez pris la présidence de la Poste en 2016, l’entreprise restait sur ses acquis. Cela semblait être un travail tranquille. Mais les choses ont pris une autre tournure.
Je n’ai pas dit oui naïvement. Grâce à mes douze années passées au Conseil des Etats, je savais que la Poste serait confrontée à de grands défis. Mais certaines choses, comme la gestion des erreurs dans l’affaire CarPostal, m’ont pris beaucoup de temps. C’était aussi très difficile sur le plan humain, je ne le cache pas.

Nous parlons ici du plus grand scandale de subventions de l’histoire suisse, qui a éclaté à l’époque où vous étiez président.
En l’espace de six mois, nous avons traité le dossier de CarPostal et pris les décisions nécessaires en matière de droit du personnel. Je procéderais à nouveau de la même façon. Ce que la Poste pouvait faire, elle l’a fait. Maintenant, le dossier est du ressort du tribunal. Nous n’avons jamais eu accès ni au dossier pénal ni au rapport de l’autorité de surveillance en matière de révision. Tant que la procédure n’est pas terminée, nous ne pouvons donc rien faire de plus.

La filiale Swiss Post Solutions a été un autre sujet au cœur de vos préoccupations. Elle a organisé au Vietnam des fêtes coûteuses pour ses cadres, alors que certains collaborateurs vivaient dans conditions précaires.
Nous avons clarifié la situation. Le fait que les gens aient campé dans les bureaux était lié à la situation épidémiologique. Selon le gouvernement vietnamien, tout était en ordre. Il n’y a rien d’autre à dire sur SPS pour le moment.

Lorsque vous êtes devenu président, la Poste comptait 63’000 emplois et versait 200 millions de francs par an à la Confédération. Postfinance faisait de gros bénéfices, il y avait plus de 1000 bureaux de poste dans le pays. Aujourd’hui, la Poste compte 9000 collaborateurs de moins, et Postfinance ne rapporte plus tant que cela: seuls 50 millions sont versés à la Confédération. Et il ne restera bientôt plus que 800 filiales. Est-ce que tout a été fait au mieux?
C’est votre point de vue. L’essentiel est que nous ayons développé, avec le chef du groupe Roberto Cirillo, une stratégie qui nous donne des perspectives de croissance. L’une d’entre elles est que nous avons pu éliminer l’incertitude concernant les guichets postaux. Aujourd’hui, nous savons que 800 filiales seront maintenues et nous savons aussi lesquelles. Et nous sommes clairement le partenaire suisse le plus important pour le commerce en ligne. Nous pouvons livrer plus d’un million de colis par jour.

Avec cette stratégie, nous assurons l’avenir de nos plus de 50’000 collaborateurs – avec des salaires équitables, de bonnes prestations sociales et une caisse de pension solide. C’est important pour moi personnellement. De plus, nous continuons à offrir un service de base sur l’ensemble du territoire – à tout moment, pour tous, aux mêmes prix. Et je le dis ouvertement: nous voulons dominer le marché de la logistique des colis. Nos concurrents ne se trouvent ni en Suisse, ni en Allemagne. Nos principaux concurrents commencent par un A. L’un d’entre eux est basé en Chine, le second aux États-Unis.

Vous voulez parler des géants en ligne Alibaba et Amazon. Restons en Suisse: la situation semble mal se présenter pour Postfinance.
Rétrospectivement, je dois dire que j’aurais dû aborder le dossier plus tôt. Mais le Parlement doit maintenant se prononcer sur l’avenir de Postfinance. 6,3 milliards de francs, soit deux tiers des fonds propres de la Poste, sont investis dans Postfinance. De plus, nous donnons chaque année une garantie de 1,5 milliard pour notre filiale financière. Nous allons maintenant voir si les politiques ont la volonté d’offrir à Postfinance de nouvelles possibilités, comme l’octroi de crédits.

Et si ce n’est pas le cas?
Je m’attendais à cette question. A moyen terme, nous devrions continuer à réduire le risque financier pour la Poste. Aujourd’hui déjà, nous réduisons les fonds de la clientèle à 91 milliards de francs. Postfinance est encore une banque d’importance systémique, c’est pourquoi nous avons besoin d’un capital d’urgence très élevé. Mais si Postfinance n’a pas de nouvelles possibilités de gagner de l’argent, elle ne pourra plus conserver son importance.

Est-ce que cela signifie continuer à rétrécir en faisant fuir toujours davantage de clients avec des frais élevés?
Sans étendre les activités de Postfinance, je serais étonné que l’on parvienne à une autre solution avec autant de clients et d’argent. Mais justement: c’est maintenant au monde politique de jouer. Il doit en outre décider si le service universel devrait encore être assuré sur l’ensemble du territoire dans cinq ou dix ans.

Ce ne sera plus votre responsabilité, mais celle de votre successeur Christian Levrat. Faut-il absolument des politiciens à la présidence de la Poste?
La Poste appartient entièrement à la Confédération. Qui dit Confédération dit aussi Conseil fédéral, Parlement et citoyens. Roberto Cirillo vient du monde des affaires, Christian Levrat de la politique. Ce qui est important, c’est la combinaison des deux. Contrairement aux CFF, qui transportent les gens par le rail de la gare A à la gare B, la Poste arrive chaque jour à chaque porte. Aucune entreprise publique n’est plus proche des citoyens. Le métier de la Poste est le service universel. Depuis le Covid, plus que jamais. C’est pourquoi c’est certainement un avantage si le président de la Poste comprend la Confédération et les processus politiques. Mais il faut aussi qu’il ait les épaules solides.

Les critiques à l’encontre du président de la Poste sont-elles virulentes?
Oui, parfois. Je pense que j’étais habitué à certaines choses lorsque j’ai pris la présidence. Mais on est encore plus exposé qu’en tant que parlementaire. Il y a des menaces, des appels téléphoniques. Certains citoyens vous interpellent dans la rue parce qu’ils n’ont plus de boîte postale. Ou parce qu’une lettre a mis trop de temps à arriver. En bref: vous devez aimer les gens si vous voulez être président de la Poste. C’est le cas pour moi.


(Adaptation par Jessica Chautems)

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