Vania Alleva, vous avez annoncé cette semaine vos revendications salariales pour 2026. Unia exige une augmentation de 2 à 2,5%. N'est-ce pas un mauvais signe en temps de crise?
Vania Alleva: Non. Les salaires ont stagné ces dernières années. Compte tenu des gains de productivité et de la hausse des prix, des augmentations sont justifiées.
Mais cela affaiblira encore la compétitivité des entreprises suisses qui souffrent déjà des droits de douane.
La situation tarifaire est certes difficile pour certaines entreprises exportatrices, mais toutes ne sont pas concernées. Les économistes de la Confédération suisse des syndicats ont calculé que 99 % des emplois ne sont pas directement touchés par les droits de douane américains. Par conséquent, des augmentations de salaires dans l'industrie manufacturière sont nécessaires et possibles.
Vous y croyez vraiment? Plus de 1% de la population active travaille dans l'industrie horlogère.
Je pars du principe que les chiffres de l'USS sont exacts: leurs économistes sont réputés pour leur précision.
Pourtant, il doit aussi être dans l'intérêt d'Unia de préserver le plus d'emplois possible.
Bien sûr, mais nous n'y parviendrons pas en cédant à la panique, comme l'association industrielle Swissmem, qui a immédiatement ressorti de ses tiroirs de vieux souhaits de déréglementation. Les tarifs douaniers ne doivent pas être utilisés abusivement pour détériorer les conditions de travail et les salaires. Nous nous engageons également pour l'extension du chômage partiel à 24 mois.
Swissmem appelle à investir davantage dans l'industrie de l'armement.
C'est une erreur flagrante. L'armement ne crée ni une prospérité durable ni des emplois à long terme. Il est essentiel de plutôt promouvoir la transformation écologique et sociale de l'économie. Cela représente par ailleurs une formidable opportunité pour l'industrie suisse. Plutôt que de miser sur les armes, nous misons sur les industries civiles de pointe, comme les transports publics et l'industrie du matériel roulant.
Qu'entendez-vous par là?
Les transports publics revêtent une importance économique considérable: ils amènent les salariés sur leur lieu de travail et les marchandises vers leur destination. La Suisse compte deux grands fabricants de matériel roulant, Stadler et Alstom, et environ 170 entreprises de sous-traitance dans le secteur. Ces chaînes de création de valeur assurent des milliers d'emplois dans toutes les régions. Les investissements dans cette branche créent donc des produits qui sont écologiquement responsables et qui servent au bien-être de la société.
Les marchés publics doivent-ils servir de levier en temps de crise?
Exactement. Le secteur public attribue des marchés représentant près de 10% du PIB, ce qui a un effet boule de neige considérable. Ce potentiel doit être exploité pour garantir des emplois durables et de bons salaires en Suisse.
Un exemple actuel est l'appel d'offres des CFF de quatre milliards de francs pour de nouveaux trains.
Si les contrats restent dans le pays, non seulement les fabricants en bénéficieront, mais aussi les 170 entreprises de sous-traitance. Cela permettra de garantir la valeur ajoutée, les emplois et le savoir-faire en Suisse.
Cela signifie-t-il que vous voulez que Stadler Rail obtienne le contrat?
Ce n'est pas une entreprise en particulier qui nous intéresse, mais plutôt les critères d'attribution. Si Stadler, un prestataire suisse, répond parfaitement à ces critères, tant mieux.
Le prix ne devrait-il pas être le seul critère d'attribution?
Non, la loi stipule qu'outre le prix, les aspects sociaux, environnementaux et stratégiques doivent être pris en compte lors de l'attribution des marchés. Des critères tels que les conventions collectives de travail ou l'exigence qu'une certaine proportion de la production soit réalisée en Suisse peuvent et doivent être appliqués.
Vous demandez donc une sorte de «Buy Switzerland Act» inspiré du modèle américain?
Dans le secteur de la défense, il est déjà exigé que 60% du volume des achats soient effectués en Suisse. Nous ne voyons aucune raison pour que cela ne soit pas possible dans d'autres secteurs. Il ne s'agit pas d'isolement, mais de renforcer la création de valeur locale, socialement et écologiquement responsable.
Ce faisant, la Suisse érige des barrières protectionnistes qui ne sont pas dans l'intérêt d'une petite économie ouverte. Le succès de l'industrie suisse réside précisément dans l'accès ouvert au plus grand nombre possible de marchés.
Il ne s'agit pas d'élever les frontières. Mais si d'autres pays soutiennent délibérément leurs industries, la Suisse doit réagir. Les marchés publics ont été réformés en 2021 précisément pour prendre en compte des aspects tels que la durabilité sociale et écologique et les impacts positifs sur la Suisse en tant que lieu de travail et de formation. Nous voulons que les fonds publics garantissent des emplois durables et des salaires équitables.
Récemment, des appels à la semaine de 45 heures ont également été entendus dans le débat. Quelle est votre position à ce sujet?
A notre avis, c'est une mauvaise approche. De nombreux employés subissent déjà un stress important en raison de la numérisation, du travail posté et d'une disponibilité constante. L'allongement des horaires de travail met en péril la santé et l'équilibre entre vie professionnelle et vie privée.
Mais cela pourrait compenser en partie la baisse des marges due aux droits de douane.
Au contraire, des horaires de travail excessivement longs engendrent stress, arrêts maladie et hausse des coûts. La productivité repose sur l'innovation, la formation continue et de bonnes conditions de travail, et non sur un allongement des horaires. Ce serait un retour en arrière vers un monde du travail que nous pensions avoir dépassé depuis longtemps. Nous avons besoin d'horaires de travail plus courts, et non plus longs. L'avenir de notre industrie repose sur une production écologiquement et socialement responsable, fondée sur l'innovation.