Enquête contre la torture en Suisse
Des patients atteints de démence sont attachés pendant des heures

La Commission nationale de prévention de la torture a visité plusieurs maisons de retraite et hôpitaux psychiatriques afin d'examiner le traitement des personnes atteintes de démence. Elle a constaté des dysfonctionnements.
Publié: 14:42 heures
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La contention dans les établissements psychiatriques pour personnes âgées peut devenir un problème.
Photo: imago/epd
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Tobias Bruggmann

Ils ont été immobilisés pendant plus de 20 heures. La nuit, ils étaient attachés avec une ceinture ventrale ou par les pieds, et le jour, installés dans un fauteuil. C'est ce que décrit la Commission nationale de prévention de la torture dans un rapport sur les patients atteints de démence dans les cliniques psychiatriques de Soleure. Ces mesures controversées seraient justifiées par un manque de personnel et une infrastructure inadaptée.

Au cours des trois dernières années, plus de 2000 immobilisations de ce type ont été effectuées chaque année à Soleure. En l'espace de deux mois, une personne a été fixée à 19 reprises à son lit pendant plusieurs heures durant la nuit, ainsi que durant la journée. Pourquoi? La nuit, il n'y a souvent qu'un seul infirmier responsable pour 17 patients, et un garde de nuit pour toute la clinique.

La commission anti-torture critique ces méthodes d'immobilisation. Depuis 2021, elle a visité 16 maisons de retraite et de soins ainsi qu'un hôpital psychiatrique pour voir comment les patients sont traités dans les unités fermées. Ces personnes souffrent généralement de démence et selon l'Office fédéral de la santé publique, environ 156'900 personnes en sont atteintes en Suisse. Chaque année, ce sont près de 33'800 nouveaux cas qui sont rencensés.

Légalement acceptable

La loi autorise ces méthodes d'immobilisation, précise la présidente de la commission Martina Caroni, qui enseigne le droit international à l'Université de Lucerne. «Mais il n'est pas possible d'utiliser ces méthodes par manque de personnel.» Au contraire, ces techniques ne devraient être utilisées qu'en cas de dernier recours. «Avant d'en arriver là, il faut essayer des mesures plus douces comme des lits plus bas et des matelas supplémentaires.» Avant d'ajouter: «Les droits de l'Homme s'appliquent aussi aux personnes atteintes de démence.»

«Les droits de l'Homme s'appliquent aussi aux personnes atteintes de démence», déclare Martina Caroni.
Photo: Uni Luzern

Martina Caroni se montre compréhensive envers le personnel soignant. «Nous sommes conscients que les infirmières donnent le meilleur d'elles-mêmes dans un environnement difficile. Néanmoins, il est nécessaire de protéger au mieux les droits des personnes en incapacité de discernement.» Elle appelle donc à une application plus stricte des règles existantes et à une meilleure documentation des mesures de restriction des déplacements. «Il s'agit d'une protection préventive. Les infirmières doivent examiner attentivement les justifications qu'elles rédigent.» 

Blick a demandé aux services psychiatriques des hôpitaux de Soleure (SOH) de prendre position. «Les remarques de la commission sont prises au sérieux.» Cependant, une attention particulière doit être portée aux patients. Le Canton, qui exerce une fonction de surveillance, a aussi contacté le service psychiatrique. «Ainsi, la SOH élabore actuellement une prise de position détaillée incluant les mesures nécessaires.» Cependant, ces mesures étant en cours de préparation, elles ne répondront pas à des questions spécifiques.

Unités fermées dans les maisons de retraite

Les moyens de contention sont principalement utilisés dans les hôpitaux psychiatriques. Mais Martina Caroni et sa commission ont aussi visité des maisons de retraite et des maisons de retraite médicalisées. Là aussi, des interrogations subsistent. Presque tous les établissements visités disposent de services fermés. Les portes d'entrée, par exemple, ne peuvent être ouvertes qu'avec des codes numériques ou des badges, explique Martina Caroni. «Ou bien, des portes difficiles à ouvrir et du papier peint empêchent de sortir.»

Cette mesure vise à réduire le risque d'errance et d'automutilation. Cependant, les juristes ne s'accordent pas sur la légitimité de cette mesure. En effet, la Convention relative aux droits des personnes handicapées stipule que les personnes atteintes de démence ne doivent pas être enfermées. Néanmoins, selon la Convention européenne des droits de l'homme, cette mesure est possible. Pour le professeur de droit Martina Caroni, tout dépend du processus d'admission des patients. «A quelques exceptions près, il a été difficile pour la Commission de vérifier si les personnes concernées avaient été placées volontairement ou involontairement en unité de sécurité.» 

Dans la plupart des cas, un contrat de soins autorise l'admission en unité fermée. «Cependant, cette décision est prise par les proches. Il y a rarement un examen médical pour déterminer si des options de traitement plus légères sont possibles», explique Martina Caroni. «Une commission de protection des adultes est nécessaire pour examiner ces décisions. Au long terme, il faut éviter les unités fermées.» Aujourd'hui déjà, le suivi GPS pourrait garantir une plus grande liberté de mouvement, car les patients atteints de démence ont souvent besoin de bouger.

Les Cantons pointés du doigt

L'association des maisons de retraite Curaviva pointe du doigt les Cantons. «Ils sont responsables de la planification, de l'approbation et de la supervision des unités de soins pour les personnes atteintes de démence», explique Christina Zweifel, directrice générale. Les établissements de soins veulent offrir un environnement sûr à leurs patients atteints de démence. «La priorité absolue est toujours de trouver un équilibre entre la protection nécessaire et la plus grande autonomie possible.»

Les mesures de restriction des déplacements sont appliquées avec la plus grande prudence. Elles ne sont appliquées qu'après prescription médicale et consultation de la famille du patient. 

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