Le GHB peut revêtir de nombreux visages: anesthésique médical, drogue de fête connue sous le nom d'«ecstasy liquide» ou encore, pour certains chercheurs, un remède prometteur contre la dépression et les troubles du sommeil. Mais pour les victimes de la «drogue du violeur», cette substance est surtout un véritable cauchemar.
Le GHB, abréviation de gamma-hydroxybutyrate, est un liquide clair, inodore, au goût légèrement savonneux. Ces caractéristiques le rendent pratiquement indétectable dans les boissons, ce qui en fait un produit de choix pour des usages malveillants.
Le docteur Oliver Bosch est médecin-chef à la clinique psychiatrique universitaire de Zurich et a mené plusieurs études sur cette substance. Pour lui, le GHB est «une molécule aux facettes multiples, à la fois inquiétante et passionnante». Dans un entretien accordé à Blick, il explique les dangers de cette drogue, mais aussi les raisons de son optimisme quant à son potentiel médical.
Oliver Bosch, que désigne-t-on exactement par «drogue du violeur»?
C’est un terme générique qui recouvre plusieurs substances. Il désigne leur usage, à savoir rendre une personne inconsciente ou incapable de réagir — le plus souvent à des fins sexuelles. Ces substances sont administrées sous forme liquide, et les agresseurs sont en grande majorité des hommes visant des femmes.
Le GHB est souvent cité dans ce contexte. Quel effet a-t-il sur les victimes?
Contrairement à l’alcool, le GHB agit de façon très rapide et intense. Là où l’alcool provoque une ivresse progressive, proportionnelle à la quantité ingérée, le GHB provoque une montée soudaine: vertiges, somnolence extrême, et perte de coordination motrice.
Le mélange alcool-GHB est-il particulièrement dangereux?
C'est la dose qui fait le poison, mais cette combinaison est extrêmement puissante. Une dose élevée peut être mortelle. Et comme les agresseurs ne mesurent pas les quantités, les effets deviennent totalement imprévisibles. Le danger est immense, car la victime perd toute capacité à se défendre.
Que peut-on faire quand on se rend compte qu'il n'y a pas que de l'alcool dans la boisson?
Il faut immédiatement chercher à se rapprocher d’une personne de confiance, dans l'idéal des amis. Si l’on est seul, il vaut mieux s’adresser au personnel du bar. Bien sûr, on ne peut jamais savoir qui est impliqué. Mais il faut impérativement informer quelqu’un de son état.
Et ensuite?
Le risque d'accident est très élevé lorsque l'on perd conscience. C'est pourquoi les victimes doivent être immédiatement emmenées dans un endroit sûr et couchées sur le côté. Il y a un risque que la victime vomisse et s'étouffe. Le corps devient inerte. Une ambulance doit être appelée d'urgence. La police doit également être informée rapidement, car le GHB ne peut pas être détecté longtemps dans le corps.
Y a-t-il des séquelles à long terme?
La substance elle-même n'est pas dangereuse en cas d'ingestion unique. Le GHB ne laisse pas de résidus, car il est transformé en eau et en oxygène dans le corps. C’est ce qui rend son dépistage si complexe. Les séquelles durables relèvent surtout du traumatisme psychologique lié à la perte de contrôle et, dans certains cas, à une agression. Cela peut entraîner des troubles post-traumatiques.
Vous faites des recherches sur le GHB. Pourquoi vous intéressez-vous à cette substance?
Le GHB ne se résume pas à une drogue. Nous en avons tous naturellement dans le cerveau, bien que son rôle exact ne soit pas encore élucidé. On a toutefois découvert qu'il a un effet neuroprotecteur (ndlr: il protège nos cellules et tissus nerveux). Le GHB a donc été utilisé en chirurgie pour prévenir les dommages cellulaires. La substance a été découverte en médecine, utilisée comme anesthésique, puis a trouvé sa voie en psychiatrie.
Comment cette substance peut-elle être utilisée en psychiatrie?
Nos recherches montrent que le GHB favorise le sommeil profond. C’est une piste prometteuse pour traiter la dépression, les troubles du sommeil ou même prévenir la démence. On sait que le sommeil profond renforce la consolidation de la mémoire, ce qui peut améliorer l’efficacité de la psychothérapie ou ralentir le déclin cognitif.
Le GHB favorise donc le sommeil. Comment agit-il par rapport aux somnifères traditionnels?
Le GHB augmente l'efficacité du sommeil et n'entraîne pratiquement pas d'effets secondaires le lendemain. Nos études montrent que cet effet de sommeil profond est très fort. Un initié m'a récemment raconté que le GHB est un somnifère particulièrement populaire dans la Silicon Valley. Les gens prennent du GHB et ne dorment que quelques heures – l'objectif est le suivant: un sommeil court, plus efficace et plus de temps pour le travail.
Dans les clubs, le GHB apparaît en microdoses comme drogue festive «Liquide Ectasy» – quand la substance est-elle passée de la médecine à l'usage récréatif?
Dans les années 1980, les bodybuilders l’utilisaient pour stimuler la production d’hormones de croissance. A l’époque, il était en vente libre comme complément alimentaire. Mais avec l’augmentation des overdoses, il a été reclassé. Dans les années 1990, il est devenu une drogue festive. Aujourd’hui, on continue de l’étudier scientifiquement, mais il reste malheureusement utilisé à des fins détournées.
Est-on vite accro?
Oui, le potentiel addictif est élevé en usage illégal. La demi-vie de la molécule est très courte, ce qui pousse certains à en consommer toutes les deux heures et demie, jour et nuit. Le sommeil devient totalement perturbé. Lorsqu’on coupe l’approvisionnement, le sevrage peut être effroyable. J’ai eu un patient en sevrage aigu qui délirait, totalement psychotique. Il a fallu lui administrer des doses très élevées de benzodiazépines. Ce patient est mort quelques semaines plus tard d’une overdose GHB-alcool.
Le GHB est donc à la fois un poison redoutable et un espoir médical. Pour vous, c’est plutôt une malédiction ou une bénédiction?
En tant que médecin, je vois surtout ses bénéfices. A condition de respecter les protocoles et de l’utiliser dans un cadre thérapeutique, cette substance a un réel potentiel. Je prescris aussi d’autres substances contrôlées comme la Ritaline, qui changent positivement la vie de beaucoup de personnes. Le danger survient lorsqu’il y a abus ou dépendance. Dans de mauvaises mains, le GHB peut être dévastateur.