Tremblement de terre chez Economiesuisse
La tête du principal lobbyiste économique de Suisse s'en va

Christoph Mäder se retire de la présidence d'Economiesuisse. Le cabinet de chasseurs de têtes Egon Zehnder cherche un poids lourd de l'économie pour lui succéder, ce qui devrait enfin redonner à l'association faîtière en crise sa force de frappe d'antan.
Publié: 05:58 heures
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Christoph Mäder a travaillé de nombreuses années dans l'industrie pharmaceutique bâloise en tant que conseiller juridique.
Photo: Mattia Coda
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Reza Rafi et Beat Schmid

L’été prochain, Christoph Mäder quittera la présidence de la principale association économique de Suisse. Interrogé à ce sujet, un porte-parole d’Economiesuisse confirme les informations de Blick: Christoph Mäder ira au bout de son mandat actuel, qui s’achèvera en 2026. Il aura alors passé six ans à la tête de l’organisation.

Avocat de formation, Christoph Mäder a longtemps travaillé dans l’industrie pharmaceutique bâloise comme conseiller juridique et siège dans plusieurs conseils d’administration. Lors de son élection, il était présenté comme un «ambassadeur crédible et engagé» de la place économique suisse, doté d’une «boussole clairement libérale».

Mais plusieurs revers politiques ont marqué son mandat. La réforme de la prévoyance professionnelle 2024 a été rejetée, tout comme la campagne contre l’initiative sur la 13e rente AVS, pourtant combattue avec vigueur par l’économie. A cela s’ajoutent plusieurs échecs dans le domaine de la politique climatique.

Monika Rühl en ligne de mire

Après ces défaites, Economiesuisse a été accusée d’avoir perdu le contact avec la réalité politique et la population. L’association est jugée trop hiérarchique, trop éloignée de la base. Sa direction, jugée rigide, peine à trancher dans un comité jugé pléthorique. Monika Rühl, directrice d’Economiesuisse, est accusée de gérer plutôt que de mener le combat. Ses détracteurs reprochent à Christoph Mäder de ne pas avoir exigé de changement à la tête de l’association, mais d’avoir préféré composer avec elle.

Autre reproche récurrent: Economiesuisse aurait manqué de clarté dans ses priorités. Elle aurait réagi trop timidement aux bouleversements internationaux, comme l’élection de Donald Trump et ses tarifs punitifs sur les exportations suisses. Beaucoup estiment qu’elle aurait dû plaider plus fermement, à Berne, pour alléger la bureaucratie et soutenir les entreprises. «Economiesuisse a perdu pratiquement toute son influence», tranche un entrepreneur désormais détaché de l’organisation. 

Querelle sur l'Europe et la migration

Christoph Mäder se retire dans une phase délicate, marquée par des débats houleux sur la politique européenne et migratoire. Officiellement, Economiesuisse défend la voie bilatérale. Pourtant, les tensions se sont ravivées à l’automne dernier: lors d’un vote sur la consultation du nouveau paquet européen, le comité directeur a adopté la position officielle par 69 voix contre 1. 

La seule voix dissidente fut celle de Magdalena Martullo-Blocher, représentante de Scienceindustries. Sa prise de position a rencontré une certaine résistance: Annette Luther, vice-présidente d’Economiesuisse et présidente de Scienceindustries, a précisé que Magdalena Martullo-Blocher ne parlait pas au nom de tout le secteur chimique et pharmaceutique – une réprimande à peine voilée.

Le rôle de la conseillère nationale UDC et patronne d’Ems dans le comité reste controversé. «Elle n’est pas la mieux placée pour représenter Scienceindustries au comité directeur d'Economiesuisse», déclarait en début d’année le conseiller national PLR Simon Michel dans le «SonntagsZeitung». Pour lui, la voie bilatérale est vitale pour les branches de la chimie et de la pharmacie. Les tensions entre entrepreneurs proches de l’UDC et milieux libéraux se sont nettement accentuées, et devraient encore croître avec l’initiative des 10 millions portée par l’extrême droite.

Une recherche sous haute tension

Dans ce contexte tendu, Economiesuisse cherche une nouvelle figure de proue: une entrepreneuse ou un entrepreneur, CEO ou multi-CEO, capable de redonner souffle et direction à une organisation en crise. Un profil à l’opposé de la gouvernance actuelle. Pour cette recherche, l’association a mandaté Egon Zehnder, l’un des cabinets de recrutement les plus réputés... et les plus chers.

Une décision qui fait grincer des dents: «C’est une preuve d’indigence que la faîtière de l’économie suisse doive recourir à un chasseur de têtes pour désigner son propre président», ironise un membre sous couvert d’anonymat. En principe, cette tâche revient à une commission de recherche interne.

Ce recours externe symbolise, pour beaucoup, la lassitude de l’organisation. Son budget annuel avoisine 20 millions de francs, dont la majeure partie est absorbée par les salaires et les loyers. Ces coûts fixes, déjà critiqués, nourrissent le malaise. Et voilà qu’Economiesuisse dépense encore pour les consultants les plus chers du marché.

Les problèmes datent

L’image d’un colosse sans force ne date pourtant pas de Christoph Mäder. La crise aurait commencé bien plus tôt. En 2013, sous la présidence de Rudolf Wehrli, Economiesuisse avait déjà choqué par sa gestion de l’initiative contre les rémunérations abusives: un spot du réalisateur Michael Steiner, jugé maladroit, avait été retiré en catastrophe, provoquant un désastre d’image.

Pour d’autres, le tournant s’est produit en 2017, lorsque l’association a renoncé à donner un mot d’ordre sur la Stratégie énergétique 2050. Depuis, cette puissante machine de lobbying est perçue comme un tigre de papier. Certains entrepreneurs vont jusqu’à remettre en cause son utilité même.

La mission du successeur de Christoph Mäder sera donc claire: prouver le contraire.

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