Avant le cours de sport du matin, Sacha monte d'abord les escaliers jusqu'à la salle de classe où il range son smartphone dans le «garage à portables», tout comme ses camarades de classe. Depuis le début du mois de février, l'interdiction du téléphone portable est généralisée dans toutes les écoles de Köniz, petite ville du canton de Berne.
Avec la mise en place de cette nouvelle réglementation, les enseignants sont satisfaits et les parents soulagés. Les pauses sont même plus animées, affirment... les élèves eux-mêmes! Le modèle de Köniz va-t-il devenir un exemple pour la Suisse?
Peu de critiques
«Le détour supplémentaire avant le sport est assez énervant», admet Sacha. Mis à part cet aspect pratique, il n'a rien à reprocher à cette réglementation, à l'instar de ses camarades de 8e année – Carla, Alisha, Emma, Eleyna, Aschley et Yara. Sans téléphone portable, les élèves seraient beaucoup plus concentrés et de nombreux conflits auraient été désamorcés.
«Ma cousine à Fribourg a souvent son téléphone posé sur sa table pendant les cours et envoie des vidéos de la classe», dit Yara. «Je trouve cela catastrophique.» Comme ses six amies, elle serait favorable à une interdiction au niveau national. Pour l'heure, seuls Vaud et le Jura ont interdit les téléphones à l'école. Une réglementation basée toutefois sur la confiance, puisque l'élève doit simplement éteindre l'appareil.
Cette problématique est devenue particulièrement préoccupante chez les plus jeunes. «Je connais des enfants qui ont déjà un téléphone portable à six ans», s'exclame Sacha. «Ils utilisent des mots qu’ils ne devraient même pas connaître à cet âge. C’est aberrant! A six ans, je jouais encore dans le bac à sable!»
Des réglementations déjà en place à l'étranger
«Pour être tout à fait honnête, il faudrait aussi former les parents», déclare Niels Lang, codirecteur de l'école Wangental. De nombreux experts alertent également sur l’usage précoce des écrans. Le numérique agit souvent sur le cerveau des enfants comme une drogue dure, selon eux.
Des plateformes comme Snapchat ou Instagram exploiteraient délibérément leur potentiel addictif. A cela s'ajoutent des problèmes qui prennent plus d'ampleur dans les écoles, comme le cyberharcèlement, les prises de vue non autorisées ou même l'envoi de contenus pornographiques.
«Nos enfants doivent être protégés», clament actuellement de plus en plus de politiciens lors des débats sur l'interdiction des téléphones portables dans les écoles et sur des règles plus strictes pour les réseaux sociaux. En France voisine, le téléphone portable est depuis longtemps banni des écoles par une loi nationale. Et en Australie, les jeunes de moins de 16 ans ne sont déjà plus autorisés à s'inscrire sur TikTok et autres plateformes.
Les politiciens veulent serrer la vis
En Suisse également, le Conseil fédéral devra réfléchir à la manière de protéger la jeunesse face au tourbillon du numérique. Lors de la session de printemps des Chambres fédérales, le Conseil des Etats a transmis une intervention de Maya Graf (Les Vert-e-s) au gouvernement. Par ailleurs, une pétition demande à la conseillère fédérale socialiste en charge de la Santé, Elisabeth Baume-Schneider, de mettre en place un contrôle de l’âge sur les réseaux sociaux.
L’école de Köniz a pris une nette avance sur le reste du pays, notamment en matière d’usage du téléphone portable. Une première interdiction avait même été instaurée il y a près de vingt ans. «A l’époque, c’était une décision purement politique», explique le directeur de l’établissement, Niels Lang.
Mais elle a progressivement perdu de sa force. La nouvelle réglementation sur les téléphones a, quant à elle, émergé de manière plus naturelle, à la suite de nombreuses discussions entre les directions d’école au sein de leur conférence. Le système scolaire suisse, dont l'organisation est grandement déléguée aux cantons, rend possible ce type d’initiative locale.
Le numérique évolue à grande vitesse
A Köniz, en tout cas, la direction semble avoir trouvé la bonne approche. «Les parents sont contents que cette règle soit en place», explique Nadine Schindler, enseignante. Mais le fait que les élèves accueillent également l’interdiction de manière aussi positive surprend aussi bien l’enseignante que le directeur.
Ils assurent qu'une utilisation responsable des réseaux sociaux est depuis longtemps à l'ordre du jour en classe, même si l'école a toutefois choisi de renoncer à engager pour les classes des conseillers pédagogiques spécialisés sur la question.
Le numérique évolue beaucoup plus rapidement que d'autres problématiques. «Il est préférable que nos enseignants se forment directement», déclare Niels Lang. «Depuis des années, nous devons réagir très vite, que ce soit en cas de photos diffusées sans autorisation, de harcèlement ou d’autres incidents.»
Les enseignants ne doivent pas devenir policiers
Selon Niels Lang, l’interdiction du téléphone portable doit accompagner ce changement de culture. Même si tous les élèves ne respectent pas la règle avec le même engagement, le corps enseignant refuse de jouer les gendarmes. «Engager le dialogue a un effet plus durable», estime l'enseignante Nadine Schindler qui reconnait aussi que les déclencheurs des problèmes connus proviennent le plus souvent des loisirs et s'immiscent alors dans le quotidien scolaire malgré l'interdiction du portable.
Loin d'abandonner les réseaux sociaux
Les sept adolescents reconnaissent utiliser assidûment leur portable en dehors de l'école, surtout sur Tiktok. «C'est addictif», dit Carla. «On veut toujours continuer à faire défiler le contenu.»
Lorsqu'on évoque la régulation des médias sociaux, ils réagissent donc plutôt modérément. Ils s’accordent à dire qu’il ne faut pas y accéder trop tôt. Pourtant, plusieurs d’entre eux avaient déjà créé un profil avant l’âge de 13 ans, l’âge minimum officiellement requis par la plupart de ces plateformes. «Snapchat, ça compte aussi comme un réseau social?», demande Sacha, inquiet. «Comment je ferais pour écrire à mes copains, alors?»