Une petite commune peut-elle refuser un centre pour migrants? C'est la question que se pose Arzier-Le Muids (VD), dans les hauteurs de Nyon. Le soir du lundi 29 avril, le Conseil communal extraordinaire a réuni les autorités... et 200 habitants inquiets, selon un article de «24 heures» paru mardi.
L'Établissement vaudois d'accueil des migrants (EVAM) et le Canton ont pris la décision d'installer un centre destiné à 80 personnes arrivées en Suisse après un parcours migratoire. Le lieu choisi? Un bâtiment d'Arzier nommé Cube de Verre, ancien espace destiné aux personnes autistes, qui a ensuite accueilli des jeunes en difficulté.
La population et les autorités communales ne sont pas de cet avis. Créée pour l'occasion, l'association Bien Vivre à Arzier-Le Muids a lancé une pétition pour faire annuler cette décision, récoltant plus de 900 signatures.
La Municipalité, elle, ne veut pas laisser dire qu'elle et ses habitants ne sont pas sensibles à la cause des migrants et à la nécessité de faire des efforts sur l'accueil. Elle a étudié la question légale et a fait une proposition à ses habitants. La syndique Louise Schweizer, élue depuis 2016, fait le point ce mardi avec Blick. Interview.
Louise Schweizer, la Commune d’Arzier-Le Muids est-elle fondamentalement réticente à l’accueil de migrants?
Non, ça n'a absolument rien à voir. Arzier-Le Muids est contre un centre de 80 migrants sur sa commune. Mais pas contre les migrants. Et ça, c'est une différence qui est importante à mes yeux, comme aux yeux de la Municipalité.
Comment la possibilité du centre d’accueil est perçue par votre population?
Il y a bien sûr de la colère envers le Canton, car il s'impose. Et nous, on a envie de prendre le contre-pied: la Municipalité propose et le Conseil communal dispose. Le fait que le Canton impose ses décisions est ressorti fortement lors d'une réunion avec la population, il y a deux semaines. On est mis devant le fait accompli. Bam! Le Canton doit placer des gens, voit un bâtiment libre et dit: «on va mettre un centre là.» C'est de l'opportunisme. Il n'y a aucune réflexion sur l'intégration et les valeurs d'accueil qui font la Suisse.
Mais la commune d'Arzier-Le Muids est considérée comme accueillant peu de migrants par rapport à sa population...
Effectivement. Le Canton a dispatché toutes ses communes en différentes catégories. 17 sont «rouges» et accueillent beaucoup de migrants, une vingtaine sont «jaunes» et le font un peu moins. Et Arzier-Le Muids est «verte» pour l'instant, car elle accueille moins d'1,5% de migrants. Comme la grande majorité des communes. À l'heure actuelle, nous n'avons que 6 migrants sur notre commune, ce qui nous situe à la 184e position sur les 300 communes du canton. Ces 80 personnes supplémentaires nous feraient passer à la 20e place, donc à la limite du rouge.
Pas complètement dans le rouge, donc?
Notre commune est séparée en deux villages bien distincts et deux hameaux: Arzier, Le Muids, La Chèvrerie et Le Montant. Si on prend uniquement les habitants d'Arzier, où l'EVAM compte installer les 80 personnes, on est dans le rouge — à 4,3% de migrants, donc à la 12e place. J'entends que le Canton veuille faire en sorte que chaque commune fasse sa part. Je n'ai aucun problème avec ça.
Mais?
Par contre, mettre une commune qui était «verte» à la 184e place et la faire monter en 12e position pour qu'elle soit dans le rouge: non. On est dans une démocratie. On ne fait pas les choses comme ça. Mais la Municipalité est bien consciente qu'elle doit collaborer avec le canton, ça fait partie du jeu. C'est pourquoi qu'on a lancé lundi au Conseil communal notre proposition aux habitants...
Laquelle? Comment la commune pourraient améliorer sa capacité d'accueil sans ouvrir ce centre?
Ce qu'on propose, c'est de lancer un appel à la population pour que chacun réfléchisse s'il peut (ou non) accepter un migrant chez lui. Ou alors louer un appartement ou un studio. Mieux vaut intégrer ces personnes plutôt que de les entasser dans un centre. Selon moi, cela correspond beaucoup plus aux valeurs actuelles de la Suisse. Ces valeurs traditionnelles impliquent de recevoir ces gens de façon décente. Et pas de faire juste semblant de vouloir les intégrer en les mettant dans un centre. Cette proposition permettra aussi à la population d'être proactive et de prendre son destin en main.
Mais cela réduirait la capacité d'accueil?
Oui. Le nombre n'est pas encore déterminé. Mais ce ne sera probablement pas 80 non plus. Parce que ça risque de faire trop. Mais si on arrive au moins à atteindre la moyenne cantonale ou la moyenne du district, ce serait déjà intéressant. Quelque part, c'est une façon proactive de prendre ce problème en main... de se sentir concerné, d'ouvrir sa porte, et, qui sait, d'ouvrir son cœur.
Justement, cette proposition-là, à l'issue de ce conseil communal extraordinaire, est-elle soutenue par la population?
Il y a toute une phase à laquelle on doit s'attaquer, c'est de voir comment notre population répond à cet appel. Moi, j'ai toujours confiance dans l'humanité des gens. J'espère que l'accueil sera positif de la part de la population. Que sur toute la commune, on arrive au moins à une trentaine de migrants, voire 40. Ce serait bien d'atteindre la moitié du nombre qui était prévu. J'espère que nos citoyens seront réceptifs. Si on y arrive, on aura un argument de poids face aux autorités vaudoises. Je vois mal le Canton décider qu'il est préférable d'avoir 80 places entassées dans un cube, plutôt que 40 personnes bien intégrées.
C'est une solution que vous verriez bien être appliqué plus largement?
C'est mon vœu secret. Que le Canton comprenne enfin que cette manière de faire serait bien meilleure à l'échelle vaudoise. Lors de la crise en Ukraine, il y a eu des appels à la population. À l'époque, elle avait répondu présente. Beaucoup d'Ukrainiens ont été accueillis à domicile et ça s'est très bien passé. Maintenant, dans l'urgence, ils veulent vite créer plein de centres au lieu de faire confiance aux habitants. Sauf erreur, le Canton de Vaud doit encore en placer environ 1000 migrants pour cet été.
Donc Arzier-Le Muids pourrait servir d'exemple?
Si les 300 communes du canton de Vaud faisaient comme nous et lançaient un appel à la population, ce pourrait être magnifique. Sur les 300, on peut bien sûr enlever celles qui sont déjà dans le rouge. Je pense clairement que ça pourrait être quelque chose de beau dans la période qu'on vit, qui est probablement un peu morose et négative. Montrer qu'être humain, c'est encore ouvrir son cœur aux personnes qui sont un peu moins chanceuses que nous, quoi.