Sa mère fait appel au suicide assisté
«Si Exit ne l’avait pas aidée, elle aurait pris un somnifère et serait allée dans le Rhône»

Il y a quelques semaines, la maman de Vanessa a souhaité faire appel à Exit, à seulement 64 ans. Avertie tardivement, la jeune femme n’a eu que 5 jours pour se préparer à lui dire au revoir. Elle déplore un accompagnement lacunaire de la part de la structure romande.
Publié: 05:48 heures
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Dernière mise à jour: il y a 50 minutes
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Il y a quelques semaines, la maman de Vanessa a souhaité faire appel à Exit, à seulement 64 ans. (Image d'illustration)
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Camille BertholetCreative Content et Distribution Lead

Au téléphone, Vanessa parle d’une voix posée et me raconte son histoire d’une traite. Pourtant, la Thônesienne de 36 ans livre un récit difficile: il y a quelques semaines, sa mère Véronique a fait appel à Exit, la célèbre association romande qui accompagne les personnes souhaitant recourir au suicide assisté. Incertaine quant au discours à tenir envers ses enfants pour leur expliquer la situation, la jeune femme a demandé des conseils à une communauté féminine sur Facebook. C'est grâce à cette publication que nous sommes entrées en contact.

C'est grâce à cette publication que nous sommes entrées en contact avec Vanessa.

Le plus dur à vivre pour Vanessa et sa famille, c'est le délai dans lequel s’est inscrit le départ de sa maman. Avertis le 1er février 2025, ses proches n’ont eu que 5 jours pour se préparer à lui dire au revoir et à entamer ce deuil difficile. La deuxième épreuve est intrinsèquement liée à l’incompréhension face à la maladie dont elle souffrait. «Ma maman était fatiguée de vivre, elle avait des symptômes neurologiques inexpliqués, mais de l’extérieur, on avait l’impression qu’elle allait bien.»

Une impression non partagée par le médecin mandaté par Exit qui s’est chargé du dossier et a jugé les symptômes de la mère de Vanessa suffisamment graves pour lui accorder le droit au suicide assisté. Cette décision, Vanessa a de la peine à la digérer: «Ils n’ont même pas demandé l’avis du psychiatre qui la suivait depuis des années. Je trouve que c’est aberrant.»

L'accompagnement de Véronique vers la mort s'est-il passé selon les règles, ou la structure romande a-t-elle manqué à son devoir? Contactée, Gabriela Jaunin, vice-présidente de l’association Exit, explique que la consultation des médecins traitants se fait d’office par le médecin-conseil de l’association: «Si la demande est déposée uniquement sur des souffrances psychologiques, Exit demandera une expertise psychiatrique. Si les spécialistes qui la suivent ne sont pas mentionnés, nous ne pouvons pas deviner qu’ils existent. Tout dépend de la construction du dossier.»

«Au début, je ne l'ai pas prise au sérieux»

Ce «dossier», quel est-il? Pour l'appréhender et tenter de comprendre la douleur de Vanessa et de sa famille, il faut revenir en juillet 2024. C'est en effet l'été dernier que Véronique évoque pour la première fois son envie de faire appel à Exit, ce qui n’a ni étonné ni effrayé sa fille: «Elle a toujours affirmé que si elle pouvait mourir à la retraite, ça l’arrangerait. 

Mais je ne l’ai jamais prise au sérieux.» Pour le père de Vanessa, qui partage la vie de sa maman depuis 35 ans, le choc est total. Il témoigne de son incompréhension et c’est cette réaction qui aurait temporairement calmé les velléités de la sexagénaire.

«
Elle a toujours dit que si elle pouvait mourir à la retraite, ça l’arrangerait
Vanessa
»

Jusqu’à ce coup de tonnerre en février dernier. «On était tous réunis pour un repas de famille le samedi midi, et c’est là qu’elle nous a annoncé que sa décision était prise: elle allait partir avec Exit le mercredi de la semaine qui suivait, soit cinq jours plus tard.» 

Vanessa n'en croit pas ses oreilles: «Sur le moment, on entend ses mots, mais on ne comprend pas. Ça soulève beaucoup de questionnements, mais on n’a pas le temps de réfléchir. En plus, je l’avais vue seule trois jours avant et elle semblait aller bien. Ça rend l’annonce encore plus brutale.»

Parmi les proches l’ayant appris ce fameux samedi, le papa de Vanessa, pour qui le sujet est encore trop douloureux pour en parler. La trentenaire nous relate tristement son état d'esprit: «Il était et reste très en colère contre les médecins. Il ne comprend pas pourquoi ils ne l’ont pas dissuadée de passer à l’acte.»

Confrontée à cette question compréhensible, Gabriela Jaunin rappelle que dans le code de conduite des accompagnateurs figure l’obligation de contacter la famille proche: «Certaines personnes ne veulent pas informer leur famille, mais nous devons nous assurer que les enfants, conjoints et/ou d’autres membres de la famille proches sont au courant. Si la personne ne souhaite pas avertir sa famille parce qu’elle n’est plus de contact avec, nous lui suggérons de lui laisser une lettre.»

«On était à un repas de famille et c’est là qu’elle nous a annoncé qu'elle allait partir avec Exit cinq jours plus tard.»

Passé l’annonce, Vanessa a dû endurer les quelques jours menant à l’événement redouté. La semaine a alors pris des allures de cauchemar: «Chaque soir, je me couchais la boule au ventre, car les nuits me rapprochaient du moment où j'allais devoir lui dire adieu. On ne peut pas comprendre cette sensation sans l’avoir vécue, confie Vanessa tristement. Les cinq jours qui ont mené à son départ ont été les plus longs de ma vie, mais ils sont passés beaucoup trop vite.»

«Le jour J, ma maman était comme pressée de partir»

Inévitablement, un jour en entraînant un autre, le mercredi funeste finit par arriver. «Le jour J, dans la voiture, je me répétais encore que c’était complètement dingue et que j’allais finir par me réveiller.» Mais le réveil ne sonne pas et la journée suit son cours pour la jeune femme et les huit membres de la famille réunis autour de la sexagénaire. 

«On était tous abattus et ma maman était contente, comme pressée de partir.» Une fois sur place et comme prévu par la procédure, l’accompagnante Exit pose la perfusion. C’est à la maman de Vanessa de déclencher elle-même l’administration du produit qui lui sera fatal. «Elle a enclenché direct, se remémore, médusée, la quadragénaire. En cinq minutes, elle était partie.»

Mais ce n'est pas uniquement le départ abrupt de sa maman qui imprime ce moment irréel dans la mémoire de Vanessa. Le comportement de l’accompagnante interroge également la jeune femme, qui se fait plus véhémente au bout du fil: «J’ai eu l’impression qu’elle n’était là que pour ma maman. On n’a pas pu poser nos questions, elle n’a eu aucune parole bienveillante. Dès que la perfusion a été posée, elle nous a demandé de remplir des formalités administratives, sans nous laisser profiter des dernières minutes avec ma maman. Puis la police est arrivée et tout est allé très vite.»

Pourquoi Exit doit appeler la police?

Le suicide assisté avec Exit étant considéré comme une mort non-naturelle, l’accompagnateur doit appeler la police, qui peut mettre jusqu’à une heure pour se déplacer sur les lieux et est accompagnée selon les cantons du médecin-légiste. Une procédure judiciaire s’ouvre alors.

Le suicide assisté avec Exit étant considéré comme une mort non-naturelle, l’accompagnateur doit appeler la police, qui peut mettre jusqu’à une heure pour se déplacer sur les lieux et est accompagnée selon les cantons du médecin-légiste. Une procédure judiciaire s’ouvre alors.

L'accompagnante Exit s'est-elle comportée correctement ou a-t-elle véritablement précipité la procédure? Gabriela Jaunin explique comment fonctionne cette dernière: «Les accompagnateurs sont obligés de rester proches de la personne quand elle ouvre la perfusion ou qu’elle boit la potion, mais la priorité doit revenir à la famille. Une fois que la personne est décédée, ils ne doivent toucher à rien, mais peuvent prendre le temps de dire au revoir. 

L’accompagnateur peut déjà remplir les formalités administratives avant d’arriver chez la personne, afin d’avoir un maximum de temps pour la famille. Il lui restera à remplir le déroulement de l’accompagnement sur place. Bien sûr, nous sommes tous humains et la sensibilité de chaque accompagnateur peut varier, mais si l’accompagnement n’a pas eu lieu dans des conditions optimales pour la famille, nous en sommes désolés.»

Soutien aux familles

Après le décès, l’association Exit propose aux proches deux psychologues bénévoles qui sont à disposition s’ils en ressentent le besoin. «L’accompagnateur est également à disposition de la famille, et nous reprenons contact quelques semaines après pour être sûrs que tout va bien.», assure Gabriela Jaunin.

Après le décès, l’association Exit propose aux proches deux psychologues bénévoles qui sont à disposition s’ils en ressentent le besoin. «L’accompagnateur est également à disposition de la famille, et nous reprenons contact quelques semaines après pour être sûrs que tout va bien.», assure Gabriela Jaunin.

Le deuil compliqué

Je m'entretiens avec Vanessa quelques semaines après le décès de sa maman. Elle raconte que les jours suivant l'événement restent embrumés dans sa mémoire et que plusieurs émotions inattendues ont émergé au fil de ce deuil si particulier. «Le temps passe et on se rend compte de toutes les dernières questions qu’on aurait voulu poser, de tous les moments qu’on ne vivra pas avec elle. J’ai beaucoup de regrets, mais aussi beaucoup de colère. C’est allé trop vite.»

Les obsèques ayant été planifiées en avance par la défunte, il ne restait à la famille qu’à entamer ce deuil compliqué et à expliquer ce départ soudain aux plus jeunes membres de la famille. Maman de deux enfants de 11 et 13 ans, Vanessa ne compte pas leur détailler la façon dont leur grand-mère a décidé de partir: «J’ai dit qu’elle souffrait et qu’elle voulait être soulagée, mais je ne veux pas leur parler de suicide. Je ne veux pas qu’ils se disent que s’ils ne vont pas bien, ils peuvent faire comme grand-maman et décider de partir.»

«
Je ne veux pas qu’ils se disent que s’ils ne vont pas bien, ils peuvent faire comme grand-maman et décider de partir
Vanessa
»

La voix pleine de lassitude, la jeune femme soupire: «Je sens que mon deuil avance, je fais mon chemin. Le temps va apaiser ma colère et ça va passer. Je n’ai qu’une seule chose à dire à ceux qui envisagent Exit: prévenez vos proches en avance ou ne leur dites rien. L’entre-deux est trop douloureux.»

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