Dubaï, la nouvelle alternative à la Suisse pour la gestion des grandes fortunes familiales? C’est bien la tendance, si l’on en croit le «Financial Times». De nombreux family offices, ou bureaux de gestion pour familles ultra-riches, jusque-là basés en Suisse, seraient allés s’installer dans la place financière des Emirats arabes unis (EAU) ces dernières années.
Concurrence directe
Ces dernières décennies, la Suisse a représenté une juridiction de choix pour la gestion des grands patrimoines familiaux. Ces fortunes, qui étaient généralement établies ici depuis des années et se transmettaient de génération en génération, seraient aujourd'hui «fatiguées des impôts et de la réglementation en Suisse», d’après des témoignages de professionnels recueillis par le FT.
Dubaï, qui se positionne en alternative attrayante au niveau de la fiscalité, de la confidentialité et des réglementations, aurait attiré, sur la seule année 2024, 200 family offices, nous apprend l’enquête du quotidien britannique. Au total, pas moins de 800 entités de gestion de gros patrimoines internationaux y seraient actuellement implantés ou y auraient une succursale.
Meilleure confidentialité
Une conjonction de facteurs aurait érodé l’attractivité de la Suisse et incité plusieurs de ces entités à se redomicilier à Dubaï. Parmi ceux-ci figurent les contraintes réglementaires plus élevées. Le FT cite aussi des initiatives en Suisse comme celle visant l’introduction d’un impôt fédéral de 50% sur les successions de plus de 50 millions de francs.
Cette initiative populaire, lancée par la Jeunesse Socialiste, a abouti en mars 2024 et sera probablement votée en 2026. Même si le texte a de fortes chances d'être rejeté, les personnes interrogées par le FT évoquent une source d’«insécurité juridique» qui aurait poussé certaines grandes fortunes à reconsidérer la domiciliation de leurs avoirs en Suisse.
Parmi les autres éléments cités figure le recul de la confidentialité en Suisse qu’ont entraînée les obligations de transparence accrue introduites par les règles anti-blanchiment et anti-évasion fiscale. A l’inverse, les family offices basés à Dubaï ne sont pas sujets aux mêmes standards qu’en Suisse, et peuvent conserver une grande confidentialité, ce qui serait attrayant aux yeux des ultra-riches.
Moins de réglementation
L’enquête du FT révèle qu’il n’y a pas eu d’événement en particulier qui aurait précipité le mouvement des grandes fortunes vers Dubaï, mais plutôt une accumulation de facteurs. Un autre facteur est celui de la définition de family office. En Suisse, si une telle entité gère des actifs de plus de 20 clients, y compris des membres d’une même famille, ou si le montant géré dépasse un certain seuil, la structure doit obtenir une licence de gestionnaire de portefeuille, ce qui lui impose une réglementation plus onéreuse. Par contraste, là aussi, Dubaï s’avère plus avantageux en acceptant une définition plus large de family office, sans occasionner plus de contraintes réglementaires.
Dubaï profite aussi d'un certain recul de la compétitivité de Londres, depuis l’abolition du statut fiscal avantageux de «résident non domicilié» au Royaume-Uni, mais aussi de taux d’imposition élevés dans d’autres pays européens, et des effets des sanctions européennes contre la Russie.
La Suisse attire les Américains
Dans son classement des places financières de 2024, Deloitte a indiqué que la Suisse reste un centre de premier choix pour la gestion des fortunes internationales mais que «des développements récents menacent d’affaiblir sa compétitivité».
Au même moment toutefois, de grandes fortunes américaines envisagent de déplacer leurs avoirs en Suisse afin de fuir l’incertitude créée par l’administration Trump. La station d’Andermatt (UR) est citée par le FT comme un point de chute attrayant en raison de ses règles avantageuses pour les propriétaires immobiliers étrangers.
Aux yeux d'un consultant qui a réagi à l'article du FT sur LinkedIn, «si la Suisse reste une plateforme bancaire et de conseil de tout premier plan, les Emirats offrent cependant une vision réglementaire moderne, avec notamment une sécurité juridique et un cadre adapté à la fintech, à la crypto et à la structuration transfrontalière».
Riyad bientôt mieux que Dubaï?
Un autre commentateur du secteur financier poursuit: «J'ai l'impression que Dubaï prend la place du Liechtenstein ou de Singapour du Moyen-Orient, place laissée vacante par le Liban.» Plus moderne encore serait Riyad, la capitale d'Arabie saoudite en plein essor, qui serait «la nouvelle Dubaï» aux yeux de connaisseurs de la région.
Pour un vétéran du métier, cette concurrence livrée à la Suisse par les juridictions du Golfe n'est pas étonnante: «C'est en effet une tendance actuelle. Les raisons sont nombreuses, mais l’on peut également citer l’entrée en vigueur en Suisse de la nouvelle loi sur le registre des ayants droit économiques (LTPM), l’impôt sur la fortune, une approche réglementaire de plus en plus étouffante, typique des 'premiers de la classe', à laquelle s’ajoute la faillite de Crédit Suisse, au cours de laquelle les actionnaires ont été privés de leurs droits fondamentaux.»
«Il faut également mentionner l’adoption disproportionnée des sanctions européennes contre la Russie, ou encore l’impôt anticipé non récupérable sur les fonds détenus par des non-résidents en Suisse.» Et de conclure: «La compétitivité actuelle de la Suisse repose essentiellement sur son héritage et sur l’image positive qu’elle continue de véhiculer à l’étranger. Pour combien de temps encore...»
Diversifier les juridictions
Pour un autre professionnel, une juridiction n'exclut pas l'autre: «Le choix de résidence aux Emirats est stratégique, même si la Suisse et le Luxembourg demeurent, selon moi, des places stables pour sécuriser ses avoirs, tout en diversifiant vers des juridictions comme Dubaï ou Abou Dhabi.»