Les négociations avec l'Union européenne (UE) sont attaquées de toutes parts. Alors que l'Union démocratique du centre (UDC) rejette le principe d'un nouvel accord bilatéral, les syndicats s'inquiètent non seulement du manque de protection des salaires, mais désormais aussi de la règle européenne sur les notes de frais. Une règle qui dérange même les employeurs.
Avec l'UDC, les partenaires sociaux menacent ainsi de condamner l'ensemble du paquet d'accords bilatéraux entre la Suisse et l'UE. Mais la règle sur les notes de frais a-t-elle vraiment des conséquences assez importantes pour tuer le projet d'accord institutionnel dans l'œuf?
Blick a examiné son impact à la loupe. Et, spoiler, les conséquences de la règle des notes de frais sont si peu claires qu'il est impossible de donner une réponse définitive quant à ses effets.
Des Polonais coûteraient 4130 francs moins cher que des Suisses
Une chose est sûre: le casse-tête des notes de frais concerne les travailleurs détachés en provenance de l'UE. Il s'agit par exemple d'artisans tchèques qui exécutent un mandat dans notre pays. Actuellement, ils sont soumis aux règles suisses en matière de notes de frais. Pour le plat du jour au restaurant du coin, les Tchèques reçoivent le forfait habituel pour la Suisse.
Dans le cadre du nouvel accord, la Confédération devrait toutefois adopter la règle de l'UE en matière de notes de frais. Cela signifierait que les travailleurs européens recevraient des montants calqués sur leur pays d'origine.
Cela aurait pour conséquence qu'un client en Suisse devrait payer 4310 francs de moins par mois pour un couvreur polonais que pour un couvreur local. C'est du moins ce que montrent les chiffres du Secrétariat d'État à l'économie (SECO). Ce montant se base sur l'hypothèse que les couvreurs polonais et suisses dînent tous les jours à l'extérieur et parcourent 200 kilomètres par semaine en voiture privée pour leur entreprise.
Et pourquoi les citoyens polonais seraient-ils beaucoup moins chers à mandater? La règle dans l'UE est pourtant la suivante: à travail égal, salaire égal. C'est vrai, mais pas pour les notes de frais. Selon les règles polonaises, les couvreurs ne reçoivent pas d'indemnités pour des frais annexes. Si les frais de déplacement et les indemnités de repas sont supprimés, le travailleur Polonais a donc un prix de revient bien moindre.
Une porte ouverte au dumping salarial?
Un cas évident de «dumping salarial»! Les syndicats et les employeurs s'accordent – comme rarement – sur ce point. Pour eux, il est inacceptable qu'un couvreur polonais qui pose des tuiles en vieille ville de Genève doive se nourrir de sa poche aux prix élevés des «Rues basses» et que son embauche soit nettement moins chère que celle d'un travailleur de Lancy ou Meyrin.
C'est pourquoi la règle suivante s'applique aux entreprises étrangères: «Si un employeur engage ses travailleurs à l'extérieur, il doit également payer les notes de frais», déclare Daniel Lampart, économiste en chef de l'Union syndicale suisse (USS).
Il est compréhensible qu'un tel changement dérange non seulement les syndicats, mais aussi les associations patronales. Avec cette réglementation, les entreprises des pays à bas salaires auraient un énorme avantage concurrentiel sur les entreprises suisses. C'est pourquoi l'Union suisse des arts et métiers (USAM) est «plutôt critique» à l'égard de cette règle, déclare une porte-parole de l'association.
Règles italiennes et françaises peu claires
Bien sûr, les travailleurs polonais n'exécutent pas la majorité des commandes locales. Selon les chiffres du SECO, seuls 4% des 83'296 personnes issues d'entreprises de l'UE et des quelque 20'000 indépendants européens qui ont exécuté des mandats en Suisse l'année dernière venaient de Pologne. Mais leur part devrait fortement augmenter si la nouvelle réglementation était adoptée.
Reste cependant que les effets de la règle européenne sur les notes de frais seraient minimes pour la majeure partie des travailleurs détachés de l'UE. En 2023, près de la moitié d'entre eux venaient en effet d'Allemagne et 7% d'Autriche. Conformément aux conventions collectives de travail (CCT) allemande et autrichienne, les travailleurs sont toujours entièrement indemnisés. Il est probable qu'il en soit de même à l'avenir, mais c'est loin d'être certain.
Parmi les autres travailleurs étrangers en provenance de l'UE, 17% venaient d'Italie et 10% de France. Pour ces pays, il est encore plus difficile de prévoir s'ils auraient ou non un avantage concurrentiel. Selon le SECO, les couvreurs italiens devraient certes être indemnisés pour leurs frais, mais cela dépend souvent des contrats de travail individuels. En France aussi, la situation est incertaine en matière de travail à l'étranger.
L'Allemagne et l'Autriche pourraient aussi en pâtir
Le manque de clarté quant aux conséquences d'une nouvelle réglementation est déjà problématique en tant que tel. Mais Daniel Lampart de l'USS y voit un problème encore plus important: «En Suisse, nous ne pouvons pas contrôler si un employeur paie des frais à ses employés en Allemagne. Et nous ne pouvons pas non plus le forcer à le faire. Car nous ne pouvons pas imposer le droit allemand en Suisse.»
Pour le syndicaliste, le risque est immense. Ce ne serait qu'une question de temps avant que la Commission européenne ne contraigne également l'Allemagne et l'Autriche à abandonner leur réglementation sur les notes de frais, qui est contraire au droit européen. Ces pays risqueraient donc eux aussi un nivellement par le bas.
Les discussions exploratoires du mandat de négociation du Conseil fédéral ont certainement réglé beaucoup de points. Mais en ce qui concerne les notes de frais, les discussions à venir devront encore apporter quelques éclaircissements.