Rencontre avec les sœurs Mottet
Le cœur à gauche, la propagande adroite

Mathilde Mottet, 29 ans, coprésidente des Femmes socialistes, lance polémique sur polémique. Sarah Mottet, 25 ans, l’une des étoiles montantes de la scène romande du stand-up, vient de monter son premier spectacle. Portraits et confidences.
Publié: 10.01.2025 à 15:47 heures
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Dernière mise à jour: 11.01.2025 à 08:38 heures
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Mathilde (à d.) et Sara Mottet, deux sœurs qui peuvent compter l'une sur l'autre. La politicienne et l'humoriste, toutes deux féministes, antiracistes et anticapitalistes, sont soudées par un lien très fort depuis des années.
Photo: Sedrik Nemeth
Antoine Hürlimann
L'Illustré

Un feu de cheminée crépite au cœur de l’imposante maison qui ouvre sa porte à «L'illustré», à Choëx, sur les hauteurs de Monthey, deuxième ville du Valais avec ses plus de 19'000 âmes. Une chaleur réconfortante se dégage du foyer et contraste avec le froid des flocons qui tombent inlassablement sur les aiguilles des sapins de l’autre côté des grandes fenêtres, en cette veille du réveillon de Noël.

Un jour blanc comme il y en a peu eu cet hiver, donc, même si l’ambiance et les discours sont plutôt teintés du rouge des luttes ouvrières. A gauche du lumineux salon allongé par une belle cuisine ouverte où repose nonchalamment l’édition du jour du quotidien «Le Temps», Sarah Mottet, 25 ans, l’une des étoiles montantes de la nouvelle et fourmillante scène romande du stand-up.

Encore plus à gauche (à moins que cela ne soit l’inverse), Mathilde Mottet, 29 ans, coprésidente des Femmes socialistes, polémiste parfois et marxiste toujours, qui n’hésite pas à dresser son majeur si elle le juge nécessaire, comme devant le drapeau suisse lors du 1er Août 2023 pour dénoncer la politique migratoire «inhumaine» de la Suisse. Un geste qui avait suscité l’ire de plusieurs personnalités conservatrices de premier plan, à l’instar de la vice-présidente de l’Union démocratique du centre (UDC), Céline Amaudruz.

Photo: Instagram

Les deux sœurs ne vivent plus dans cette cossue demeure familiale – Sarah est installée à Genève, où elle tient les rênes du Kitsch Comedy, et Mathilde à Berne – mais c’est ici qu’elles nous reçoivent en toute intimité, entre les épais murs qui les ont vues grandir aux côtés de leur «frère du milieu», Thibaut. Si leurs parcours diffèrent, leurs engagements résonnent: il ne faut pas longtemps ni beaucoup de mots pour comprendre qu’elles sont faites du même bois. Une essence plutôt exotique en terres valaisannes où le quasi tout-puissant Centre (ex-PDC) est solidement enraciné, puisqu’elles se revendiquent «féministes», «antiracistes» et «anticapitalistes».

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Mathilde est brillante, très inspirante et très influente
Sarah Mottet
»

Des engagements forts, mais pas autant que l’amour qui les soude. Leurs rires – nombreux! – et leurs gestes tendres ne trompent pas. Une complicité indéfectible qui permet d’aller au-delà de certains clichés. Aux yeux de Sarah, Mathilde est bien plus qu’une politicienne clivante. «C’est quelqu’un d’intellectuellement brillant, de très inspirant et de très influent dans le sens où ses contours personnels et politiques ont été définis tôt», glisse-t-elle en regardant avec affection son aînée droit dans les yeux. 

Une enfance militante

Un exemple concret? «A environ 10 ans, elle avait déjà affiché sur la porte du frigo tout un tas de règles écologiques, écrites à la première personne, qu’elle voulait imposer à la famille: «Je ne prends pas des douches de plus de sept minutes», «Je n’achète pas telle ou telle chose…» C’est incroyable quand on y repense!»

«
C'est Sarah qui a réussi à sensibiliser la famille à l'écologie
Mathilde Mottet
»

Mathilde se marre. «C’est vrai, mais ma démarche n’avait pas eu beaucoup de succès. C’est Sarah qui a réussi plus tard, lorsqu’elle devait avoir 18 ans, à sensibiliser la famille à l’écologie durant sa période «obsessionnelle» sur le zéro déchet. Elle a réussi à amener ça avec sa pédagogie et sa force de persuasion, ce que j’admire beaucoup chez elle.» Sarah, modeste, la complète: «Cela a fonctionné à ce moment-là parce que tu avais déjà préparé le terrain.» 

La cadette est donc rassembleuse. Quelles autres qualités Mathilde lui trouve-t-elle? «Elle est courageuse et calme! Elle est agronome de formation, mais a osé se lancer en tant qu’humoriste professionnelle, avec toutes les difficultés que cela présuppose. Cette force de caractère, ce n’est pas donné à tout le monde.»

Photo: Instagram

Famille privilégiée, et alors?

Une sérénité qui revigore les pétales de la figure du parti à la rose lorsqu’ils se fanent. «A chaque coup dur, c’est vers elle que je me tourne, souffle celle qui chronique par ailleurs sur les plateformes de blick.ch. Lors de mon dernier burn-out, l’automne passé, je suis allée vivre cinq jours chez elle au bout du Léman. C’était une évidence.»

Sarah lui prend la main. «Pour moi aussi, c’est pareil, rebondit-elle. Mathilde est l’une de mes premières ressources quand quelque chose ne va pas. C’est l’une des premières personnes que je contacte. C’est également vrai dans les bons moments: il y a quelques jours, c’est la première personne qui est entrée dans les coulisses du Théâtre des Grottes à la fin de la première de mon spectacle (ndlr: «Tout va bien, 60 minutes de déni»). On est systématiquement là l’une pour l’autre, dans toutes les étapes importantes de nos vies.»

«
Nos parents doivent travailler pour vivre et sont loin d'être des bourgeois
Mathilde Mottet
»

Une connexion aujourd’hui essentielle à leur existence qui s’est véritablement établie peu après l’adolescence. «Il a d’abord fallu déconstruire le schéma grande sœur-petite sœur pour nous mettre sur un pied d’égalité, explique Mathilde. Nous avons ensuite pu réfléchir ensemble au fonctionnement de notre famille avant de le remettre en question.» 

L’ancienne élue avale une gorgée de thé et développe: «Nos parents doivent travailler pour vivre et sont loin d’être des bourgeois. Mais nous sommes quand même nées dans une famille privilégiée: nos deux parents ont fait l’université, ont pu adapter leur temps de travail pour nous garder quand nous étions enfants et nous ont très tôt fait découvrir le monde lors des vacances. On a toujours parlé politique et on peut clairement dire que nous sommes tous à gauche. Néanmoins, en nous intéressant de plus près au féminisme, il a été parfois difficile de constater que l’organisation de notre famille n’était pas complètement égalitaire, notamment dans la répartition des tâches ménagères entre notre père et notre mère. Mais c’est normal, nous sommes tous des enfants d’une société patriarcale.»

Oser dire qui on est vraiment

Sarah hoche la tête et évoque la façon de consommer du ménage. «J’ai le souvenir d’avoir pété un câble contre notre père qui venait de s’acheter un troisième aspirateur sans fil sans réel besoin alors que, d’habitude, il bricole et récupère plein de choses. Soudain, on réalise qu’on incarne de temps en temps ce qu’on dénonce malgré les beaux discours. Mais nous avons de la chance de parler de tout avec nos parents. On se remet en question, autant de leur côté que du nôtre.» Mathilde renchérit: «Et aujourd’hui, tout le monde est d’accord de dire que ne pas acheter un troisième aspirateur ne sauvera pas la planète: on doit changer de système.» 

Très tendres l'une avec l'autre, Mathilde et Sarah mottet ne mettent pas longtemps à se prendre dans les bras devant l'appareil du photographe mandaté par «L'illustré».
Photo: Sedrik Nemeth

La relation presque fusionnelle des sœurs Mottet a, comme tous les liens de sang, été émaillée de conflits et de désaccords passés. Aujourd’hui, leur ardoise est-elle vierge de tout reproche? Sarah ouvre le bal: «Pas facile de trouver des critiques qu’on n’aurait jamais adressées à l’autre... Ah si, j’en ai une! Même si tu as l’audace de tenir des positions tranchantes dans tes idées, je trouve que paradoxalement, dans tes émotions, tu oses moins dire ce qui te convient ou si un comportement ou une phrase t’ont blessée.» 

Au tour de Mathilde. Elle se creuse la tête, hésite, puis se jette à l’eau: «J’ai l’impression que tu m’as dit des choses essentielles sur toi des années après les avoir découvertes et je me demande ce que j’aurais pu faire à l’époque pour que tu te sentes à l’aise de m’en parler.» A quoi fait-elle référence? «Au fait que Sarah est bisexuelle», clarifie-t-elle avec l’accord de sa complice. 

Sarah acquiesce et formule ses raisons: «Cela n’a jamais été l’expression d’un rejet de toi. Tes contours étaient définis très tôt et tu avais déjà fait ton coming out (ndlr: Mathilde est lesbienne). Affirmer mon identité devant toi, c’était l’affirmer pour de bon, comme affronter le dernier monstre dans Super Mario Bros.»

Un article de L'illustré

Cet article a été publié initialement dans le n°03 de L'illustré, paru en kiosque le 16 janvier 2025.

Cet article a été publié initialement dans le n°03 de L'illustré, paru en kiosque le 16 janvier 2025.

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